Éric Tosti, réalisateur de Terra Willy : « Nous jouons sur le même terrain que Pixar ou Dreamworks »
Réalisateur au sein de TAT Productions, avec David Alaux, Éric Tosti s'est fait un nom avec la série animée Les As de la Jungle et des courts-métrage Spike. Alors que le studio toulousain, l'un des plus créatifs et dynamiques de France, ne cesse de monter en puissance, Éric Tosti se retrouve aujourd'hui à la tête de Terra Willy – Planète Inconnue, un tout nouveau long-métrage d'animation sorti de mois-ci. Vivre au Lycée est allé à sa rencontre.
Quel est votre parcours scolaire ?
J'ai fait un bac C (scientifique). J'ai ensuite poursuivi par des études d'ingénieur – cinq ans à l'INSA (Institut national des sciences appliquées) à Toulouse. Je me suis par la suite reconverti dans l'audiovisuel et le cinéma en autodidacte. Avec David Alaux, après avoir travaillé pour d'autres sociétés, nous avons fondé TAT en 2000. Nous avions alors déjà travaillé dans le montage et les effets spéciaux pour d'autres réalisateurs. Nous avions également réalisé un court-métrage qui avait bien fonctionné. Nous tenions à développer notre propre structure pour travailler sur nos projets.
« À nous de nous faire une place le plus intelligemment possible »
En quoi est-ce différent de travailler dans le cinéma à Toulouse, plutôt qu'à Paris ou à Hollywood ?
Notre objectif, vu que nous étions bien à Toulouse, était de développer notre activité ici. Aux États-Unis, les budgets sont plus confortables. Ce qui permet d'aller plus loin dans les détails. Un luxe que nous n'avons pas forcément. Pour ce qui est de travailler à Paris... À Toulouse, la vie est moins chère. Notamment au niveau des locaux. On est également loin de la pression parisienne. On peut ainsi avancer sans trop se soucier de ce qu'on va penser de nous au niveau de la sphère parisienne.
Comment se situe TAT par rapport aux géants américains de l'animation 3D ?
Par rapport à Pixar ou Dreamworks ? On peut dire que nous jouons sur le même terrain mais nous n'avons pas les mêmes moyens – surtout en termes de marketing. À nous de réussir, en choisissant notamment les dates de sortie, à ne pas être en concurrence directe. À nous de nous faire une place le plus intelligemment possible. Les objectifs ne sont pas les mêmes et cela nous permet de gérer la pression !
« Comprendre comment les films sont faits et comment les histoires sont racontées »
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire votre métier et réaliser des films d'animation ?
Il faut déjà aimer le cinéma. Il faut voir beaucoup de films également. Idéalement, il faut lire, s’intéresser à la culture, à l'art et à son histoire. Cela dit, pour moi, il n'y aucune règle. On peut tout à fait ne pas s'intéresser à l'histoire de l'art et tout de même réussir à faire des films. Il faut comprendre comment les films sont faits et comment les histoires sont racontées. Dans notre métier, il y a aussi plein de spécialisations différentes. Pour faire de l'image de synthèse comme nous, il y a beaucoup d'écoles post-bac ou post-prépa. Il y a beaucoup d'écoles en France qui sont très bien et qui demandent d'avoir une base artistique. Les jeunes qui veulent faire du dessin-animé peuvent ainsi prendre des cours de dessins. Car il y a souvent un minimum requis pour accéder à ces écoles.
« La saison 3 des As de la Jungle est prévue »
Comment est né le projet Terra Willy ?
Ce film a demandé cinq ans de préparation. Quand on a lancé le film Les As de la Jungle, on s'est dit que nous devions travailler en parallèle sur notre prochain film. L'idée de TAT à ce jour, est de s’orienter exclusivement vers le cinéma et de peut-être faire une pause niveau séries, même si la saison 3 des As de la Jungle est prévue. On aimerait sortir un film par an. Le prochain arrivera aussi dans les deux ans mais nous aimerions anticiper de manière à sortir un film par an. Nous avons commencé à penser à Terra Willy très tôt. L'idée était de se différencier des As de la Jungle. C'est notamment pour cela que nous avons souhaité mettre en scène des humains et non plus des animaux exclusivement. Nous avons voulu changer d'air par rapport aux As de Jungle. On avait envie de se renouveler, pour montrer au public qu'on en était capable.
Quelles sont vos influences ? Le pitch rappelle un peu celui de la série Perdus dans l'Espace. On pense aussi bien sûr à Jules Vernes.
Il y a plein de choses. Nous a été beaucoup influencé par le film Seul au Monde. L'influence des films qu'on regardait adolescents, comme Star Wars ou Indiana Jones. Au final, nous sommes arrivés à ce mélange de science-fiction et de comédie. On voulait aussi traiter de la solitude de ce petit garçon avec son robot et des créatures qu'il va rencontrer. Les influences sont donc multiples. Nous voulions faire un film avec plein de découvertes. L'animation est propice à cela. Notre but était d'embarquer avec le héros et de découvrir plein de choses à chaque minute.
« Chaque projet nous permet d'apprendre de nos erreurs »
Comment avez-vous abordé Terra Willy d'un point de vue technique ?
Le gros avantage, c'est qu'on travaille avec des équipes qu'on connaît bien. On évolue ensemble et chaque projet nous permet d'apprendre de nos erreurs. Cela nous permet de nous améliorer de film en film. Les outils sont aussi de plus en plus performants. Il y a la volonté d'offrir le maximum au spectateur. C'est la règle de base. C'est très motivant. On a envie de se dépasser. On fait tout chez nous à Toulouse et cela nous permet de vraiment maîtriser les coûts. On ne délocalise pas. On peut ainsi optimiser la production.
Dans cette logique, nous nous étions fixés comme règle de n'avoir aucune limite au moment de l'écriture. On s'autorise ainsi tout au niveau du script et par la suite, on peut éventuellement faire le tri. Mais il arrive assez rarement que l'on supprime des créatures ou des séquences. On aime se donner des challenges.
Buck, le robot, est doublé par Edouard Baer. Est-ce que vous avez conçu le personnage en pensant à lui ou est-il arrivé après ?
Au début, le robot a été écrit comme on voulait qu'il soit. Par la suite, en se demandant qui pouvait l'interpréter, Edouard Baer s'est rapidement imposé comme le candidat idéal. Nous l'avons contacté, il a accepté très vite. Il a joué le jeu et il a vite compris le personnage. Il n'a pas essayé de faire du Edouard Baer. Il s'est vraiment investi.
Pensez-vous qu'il soit indispensable aujourd'hui d'avoir des stars au générique d'un film d'animation ?
C'est difficile à dire. Sur Les As de la Jungle, nous n'avions pas de stars et le film a très bien marché. Le fait d'avoir Edouard Baer apporte une plus-value car il a une super voix et c'est un excellent comédien. Artistiquement, il y a un intérêt. Sur un plan marketing, je ne sais pas. En tout cas, personnellement, sur un plan purement artistique, cela ne me semble pas indispensable. Mais sur Terra Willy, cela me semble pertinent néanmoins...
Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur Les As de la Jungle 2. En 2021, nous allons sortir Les Aventures de Pink, une comédie d'aventure médiévale. En 2022, ce sera au tour des Argonautes, une comédie d'aventure mythologique. Et puis en 2023, Les As de la Jungle reviendront encore une fois.
Propos recueillis par Gilles Rolland
Concevez-vous vos films en pensant aux adultes et aux enfants ?
C'est l'une des préoccupations principales de tous les auteurs d'animation français. Comment aussi intéresser les adultes ? Est-ce qu'il faut mettre du second degré ? C'est très difficile, car il ne faut pas perdre les enfants. Un de nos points de vue, c'est qu'il faut reconnaître que la majorité des spectateurs sera des enfants. Les parents qui viennent sont principalement des accompagnants. Ce qu'on s'interdit, c'est donc d'aller trop dans la dérision et le second degré au risque de perdre les plus jeunes. Mais on sait très bien que pour le film marche, il faut qu'il soit aussi accessible aux adultes de manière à ce qu'ils ne s'ennuient pas. Le fait que les adultes puissent aller le voir seuls n'est pas notre préoccupation principale. Après, ça fait toujours plaisir de faire un petit clin d’œil aux « grands » de temps en temps !