« Dans la BD, tout le monde a sa chance, mais les gros bosseurs plus que les autres »
Dessinateur et scénariste prolifique, Mo/CDM a signé plusieurs dizaines de BD et collabore depuis longtemps avec le mythique Fluide Glacial, ainsi qu’avec le magazine Psikopat. Parmi ses œuvres, citons Cosmik Roger, le cosmonaute aussi sympathique que crétin, Forbidden Zone et son savant fou, et le très actuel et très drôle La Planète des Riches… Bref, Mo/CDM est un dessinateur doté d’un humour XXL, et il est inconcevable de le méconnaître. Nous l’avons rencontré pour lui poser des questions très importantes.
Bonjour. Il fait un peu chaud là, on peut ouvrir la fenêtre ?
D’accord.
Rahh zut, j’ai bêtement gaspillé une question… Bon, passons au choses sérieuses, si toutefois vous en êtes capable… Quel est votre parcours scolaire ? Et comment en êtes vous arrivé au dessin et à la BD ?
Tout d’abord, j’ai continué à dessiner après la maternelle. Ça c’est la clef ! Puis bac A3 dessin-histoire de l’Art à Paul Valéry à Paris (c’est un des anciens bac L) suivi de deux mois aux Beaux arts de Cergy : juste ce qu’il fallait pour réaliser que je n’étais pas à ma place… Et enfin, une année de BTS Arts appliqués à Duperré. Là, j’ai abandonné lâchement mon BTS et j’ai commencé à envoyer des dessins à gauche à droite. Ça a commencé par six mois de refus à revoir mes exigences à la baisse, jusqu’à une toute petite pige* : un jeu d’un quart de page, dans un journal de Jeux. J’étais très loin de mes idéaux d’adolescent, j’abordais le métier par une minuscule porte, mais elle était ouverte. Je ne l’ai jamais laissée se refermer.
« Les auteurs de BD doivent se diversifier »
Franchement, est-ce bien raisonnable ? Qu’en pensent vos parents ? Nos lecteurs sont très sensibles à ce que pensent les parents, surtout les leurs…
Ils m’ont toujours soutenu (je parle de mes parents hein ? Pas des parents de vos lecteurs…). Évidemment, des parents qui vous soutiennent, ça aide beaucoup.
Vous avez publié plusieurs dizaines de BD, des guides illustrés… En fait, vous êtes un WTF de fichu bosseur, pas vrai ?
J’adore dessiner, comme beaucoup de mes consœurs et confrères et ça tombe plutôt bien, parce que mis à part quelques talentueux auteurs, la plupart d’entre nous ne vivent pas de la BD. Les nouveautés sont innombrables. Il faut donc multiplier les sources d’approvisionnement de ce foutu liquide que l’on appelle le pognon. Exploration sous-marine, construction de ponts, chirurgie cardiaque, loto… Les auteurs de BD doivent se diversifier s’ils veulent vivre correctement.
On vous sent un peu déconneur (quelques indices ici ou là…). Non ? Ma belle-sœur, qui est très gentille, dit qu’on ne peut pas rire de tout. Êtes-vous d’accord avec elle ?
Vaste question. L’actualité tragique de ces dernières années semble donner raison à votre belle-sœur. Rester fidèle à ce que l’on est vraiment devient donc de plus en plus compliqué.
Parmi toute vos œuvres, j’ai adoré Le Grand cirque de la vie, sous-titré Conseils philosophiques pratiques pour bien réussir son passage sur Terre. C’est drôle, subtil et parfois trash, mais toujours jouissif… Avez-vous le sentiment d’avoir approché le sens caché de la vie ? Ou quelque chose comme ça… Ne vous défilez pas, c’est très sérieux.
Merci ! Le sens caché de la vie non, mais le « non-sens pas caché de la vie », certainement.
Certains possèdent de quoi vivre 2000 ans mais sont prêts à tout pour augmenter leurs profits. Des datas centers géants sortent chaque jour de terre pour abriter des millions de téraoctets de photos de chatons trop mignons la tête coincée dans une tranche de pain de mie et autres selfies ratés devant des couchers de soleil flous.
On ne cesse de nous dire que le monde se réchauffe, que les glaciers fondent et au moindre flocon, les routes sont gavées de véhicules à essence pleins de gens qui s’offusqueront une semaine plus tard que le monde se réchauffe et que les glaciers fondent. Bien malin ou désespéré celui ou celle qui trouvera un sens à tout ça...
« J’ai 15 ans depuis une trentaine d’années »
Dans votre album Geekwar, Le conflit de générations, les jeunes et les vieux se livrent une guerre stupide bourrée de gags. On retrouve aussi un drôle d’ado dans What the Future (WTF…), qui met en scène une famille désabusée dans un futur pas très joyeux. L’ado en question est envoyé en centre de rééducation Facebook pour insuffisance de publications, c’est très bon ! Bref, les ados vous inspirent pas mal, non ?
Oui, c’est vrai. Il faut dire que j’ai 15 ans depuis une trentaine d’années alors forcément, je sais de quoi je parle.
Et vous, quel genre d’ados étiez-vous ?
Le genre fan de S-F. J’adorais trainer chez les libraires. Je choisissais les livres en fonction de leurs couvertures et de leurs illustrateurs : Caza chez J’ai lu, Manchu au livre de poche, Chris Foss un peu partout… Souvent, les dessins n’avaient rien à voir avec le récit. J’adorais ce décalage. Je trouvais que ça donnait lieu à une troisième histoire, une histoire non écrite qui permettait de raccorder le texte et le dessin de la couv’. Je ne suis pas certain d’être très clair, mais je suis très sincère…
Vous êtes plutôt Facebook ou bistrot ? C’est quoi, pour vous, la différence ?
Bistrot ! Ça ne laisse pas de traces. Facebook (et Internet d’une façon générale), c’est redoutable. Tout est archivé. C’est comme un tatouage. Faut bien réfléchir avant d’écrire, de commenter ou de poster. La photo compromettante de fin de soirée déguisée qui ressurgit 15 ans après lors d’un entretien d’embauche, c’est un peu gênant. Mais pour ceux qui maitrisent tout ça, il faut reconnaitre que, les réseaux sociaux sont une invention génialissime.
Dans la plupart de vos BD, le monde actuel ou à venir est particulièrement pollué… On dirait que ça vous inquiète, ça ?
Oh que oui et quel dommage ! Il suffirait de pas grands chose pour inverser la tendance. Des petits gestes du quotidien et quelques efforts multipliés par 7 milliards d’habitants multiplié par 365 jours ! Ça serait plus efficace que toutes les lois du monde.
Vous êtes un grand fan de Jean-Claude Mézières, le père de Valérian. Pas trop déçu par l’adaptation de Luc Besson ?
Je l’ai regardé comme un film de S-F, pas vraiment comme un Valérian. Dans les années 60, à l’avant-première de l’adaptation de Tintin en film, une petite fille aurait répondu à Hergé qui lui demandait si elle avait aimé le film : « Pas trop, parce que Tintin il n’a pas la même voix que dans la BD ». Voilà. Quel que soit le talent du réalisateur, je serai toujours d’accord avec cette petite fille concernant les adaptations BD-ciné.
« Les blockbusters ne nous surprennent plus »
Je crois que le cinéma est aussi une de vos grandes sources d’inspiration ?
Oh que oui… Le cinéma fantastique et S-F. Et en particulier les petits budgets, les films que l’on dit de série B. Petit budget, grande liberté ! Les blockbusters d’aujourd’hui ont atteint un degré de perfection ahurissant mais ils ne nous surprennent (presque) plus. Les enjeux financiers sont tels que les récits sont formatés. À force de vouloir plaire à tout le monde, ils risquent de ne plus plaire à personne.
Revenons à la BD. Quels sont les autres auteurs qui vous ont marqué ?
Moebius et Mézières bien sûr, mais aussi Solé (père et fils), Goossens, Édika, Alexis, Otomo, Carlos Gimenez, Jack Davis, Mort Drucker, Corben, pepe Moreno, Dave Gibbons, Brian Bolland, Jaime Hewlett, des illustrateurs comme Ralph Mc Quarrie, Frazetta, les frères Hildebrandt, Basil Gogos, Jean Frisano, Michel Jouin… Il y a tant de dessinateurs géniaux.
Quelles sont vos prochaines sorties, ou projets secrets mais pas-trop-quand-même ?
Le tome 2 de La Planète des riches au mois de juin.
Un truc particulièrement débile que vous avez fait pendant votre scolarité ? Je veux dire, à part ce que vous avez subir à votre prof de français en 4e, parce que ça on n’a pas le droit d’en parler…
Rien du tout, j’étais sage comme une image. J’ai même été élu Ange d’or de l’Éducation nationale de 1978 à 1987 (excepté en 1982 où j’ai fini 2e).
Quel est votre dernier coup de cœur musical ?
Mon fils qui bosse son violon derrière moi.
Votre citation préférée ?
« Si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul », Montaigne.
On arrive en fin d’interview. Je crois qu’il est temps de nous dire d’où vient votre nom d’artiste…
Mo, c’est le diminutif de mon prénom Heimoana (je suis né à Tahiti). CDM, c’est le sigle de « Chieurs de mondes », un fanzine dans lequel j’ai débuté. Notre objectif n’était pas de faire « chier » le monde mais bel et bien d’en créer. Et puis cela faisait écho à un album de Moebius publié par les humanoïdes associés, Tueur de monde.
Propos recueillis par Fabien Cluzel
* Une pige est une commande passée par un journal à un auteur (journaliste, illustrateur).