Flaubert, Madame Bovary
Régulièrement, Vivre au Lycée vous présente des classiques de la littérature francophone afin de développer votre culture littéraire et de renforcer vos bases en vue des épreuves de français. Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de la très célèbre Emma Bovary, au travers des pages d’un roman résolument moderne, qui a valu à Flaubert de se retrouver sur le banc des accusés pour outrage à la morale publique.
REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES
Gustave Flaubert naît à Rouen le 12 décembre 1821. Fils de médecin, il mène une enfance tranquille et s’intéresse très jeune à la littérature. Dès 1834, il fonde avec Ernest Chevalier, qu’il rencontre au Lycée de Rouen, Art et Progrès, un journal manuscrit où il fait paraître son premier texte public. Deux ans plus tard, il fait la rencontre à Trouville de Mme Schlésinger, dont il tombe follement amoureux. Cette rencontre et cette passion seront transposées, plus tard, dans les pages de L’Éducation sentimentale.
En 1841, il commence ses études de droit à Paris, où il se consacre en partie à l’écriture et fait la rencontre de personnalités du monde des arts, dont Victor Hugo. En 1844, il abandonne ses études de droit suite à une grave crise d’épilepsie et va s’installer à Croisset, au bord de la Seine, près de Rouen. Là, il rédige quelques nouvelles et une première version de L’Éducation sentimentale.
Deux ans plus tard, son père et sa sœur (dont il est très proche) décèdent à quelques semaines d’intervalle. Flaubert reçoit un héritage conséquent qui lui permet de se consacrer pleinement à son écriture. Cette même année, il fait la rencontre de Louise Colet, avec qui il entretiendra une liaison intermittente pendant une dizaine d’années.
De 1849 à 1852, il réalise un long voyage en Orient. C’est à l’occasion de ce voyage qu’il commence la rédaction de Madame Bovary, en 1851. Cinq ans plus tard, en 1856, il termine l’écriture de son roman. Entre le 1er octobre et le 15 décembre de l’année 1856, Madame Bovary paraît dans la Revue de Paris. En janvier 1857, le roman fait l’objet d’un procès pour outrage à la morale publique et atteinte aux bonnes mœurs. En février, Flaubert est acquitté et, en avril, Madame Bovary est publié chez Michel Lévy.
L’OEUVRE
Première partie
Madame Bovary retrace le parcours d’Emma Rouault qui, très vite dans le roman, épouse Charles Bovary, officier de santé qu’elle rencontre alors qu’il vient soigner son père. Une importante différence de caractère se fait pourtant sentir entre les deux personnages : Charles, d’un caractère plutôt facile et satisfait, se trouve très heureux dans son mariage tandis qu’Emma, insatisfaite de sa vie, le repousse très rapidement après leur mariage.
Insatisfaite, c’est bien le mot qui décrit Emma Bovary. Une fois les noces passées et son quotidien installé auprès de son nouveau mari, elle se met à rêver de ce que sa vie aurait pu être. Cela ne s’arrange pas lorsque le couple est invité au château du marquis d’Andervilliers pour une soirée dont Emma gardera le souvenir en mémoire pendant très longtemps. Le luxe, les manières, la danse avec un Vicomte… tout cela nourrit le sentiment d’insatisfaction d’Emma au point de lui déclencher une maladie nerveuse.
Afin de satisfaire son épouse, Charles accepte de déménager et tous deux s’installent à Yonville-l’Abbaye, où Emma accouche de leur fille. Si elle pense au début que la naissance de sa fille donnera du sens à sa vie, elle replonge vite dans l’ennui.
Deuxième partie
C’est dans la littérature qu’Emma trouve une échappatoire à son quotidien. Lire des romans lui permet de s’échapper du monde réel et de rêver de ce que sa vie aurait pu (dû selon elle) être.
C’est alors qu’elle tombe amoureuse de Léon, un jeune clerc de notaire. Pour résister à ses sentiments, Emma décide alors de se tourner vers l’église, sans succès. Elle qui souhaite alors être une mère et une épouse modèle en arrive à détester plus encore son mari et à rejeter sa fille, qu’elle trouve laide.
Plus tard, entre deux périodes faites d’ennui et de rêveries, Emma rencontre Rodolphe Boulanger, châtelain de la Huchette, qui devient son amant. Elle voit alors en Rodolphe une échappatoire, la possibilité d’avoir la vie qu’elle a toujours méritée et de se défaire de son quotidien avec Charles, qu’elle méprise de plus en plus. Alors qu’ils prévoient de s’enfuir ensemble, Rodolphe quitte Emma par lettre, ce qui la dévaste profondément.
Emma tente alors de se réconcilier avec la religion et de se repentir. Charles l’emmène à l’opéra à Rouen, où ils font par hasard la rencontre de Léon.
Troisième partie
Emma entretient alors une liaison avec Léon en feignant de prendre des leçons de piano à Rouen.
En parallèle de ses histoires de tromperies, Emma, souhaitant toujours améliorer son niveau de vie, s’endette sur le dos de son mari pour s’acheter de beaux objets, à tel point que le couple se retrouve dans une situation financière catastrophique. Complètement dépassée par ses dettes, elle en vient à solliciter de l’aide auprès de tous ceux à qui elle peut penser, mais personne ne lui prête de l’argent.
Dans un état second, elle avale de l’arsenic, ce qui la condamne à une mort lente et douloureuse, sous les yeux de son mari impuissant et complètement dévasté.
L’OEUVRE EN CONTEXTE
Le procès Bovary
Impossible de présenter Madame Bovary sans évoquer le procès qui a suivi sa publication, l’un des plus célèbres de l’histoire de la littérature francophone. S’il n’a rien de choquant pour un lecteur du XXIe siècle, le roman de Flaubert a déchaîné les passions lors de sa parution.
Le roman de Flaubert n’est pas tout de suite publié comme tel. En effet, nous l’avons vu, Madame Bovary est publié en livraisons entre octobre et décembre de l’année 1856, dans la Revue de Paris. Quelques mois plus tard, le 31 janvier 1857, Flaubert est assis sur le banc des accusés aux côtés du gérant de la Revue de Paris et de l’imprimeur.
Pour quelles raisons ? Outrages à la morale publique, aux bonnes mœurs et à la morale religieuse. Un exemple de ce qui choque à l’époque est le fait qu’Emma Bovary ne soit pas une bonne mère. Si l’adultère n’est pas ce qui est retenu contre Flaubert car assez courant dans la littérature de l’époque, faire d’Emma une mauvaise mère est considéré comme un outrage à la morale publique. C’est pour le “réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères” que Flaubert est mis en cause, et aussi parce que son narrateur ne remet jamais en question la conduite des personnages dans le roman.
A l’issue du procès, aucune charge n’est retenue contre Flaubert, qui est acquitté. Probablement au grand désarroi des opposants, le procès a pour effet de mettre Madame Bovary sous le feu des projecteurs et ainsi d’assurer son succès, participant peut-être à en faire un classique de la littérature française.
Madame Bovary, résolument moderne
Madame Bovary est un roman moderne. Pour l’époque, il opère même une révolution, à tel point que Maupassant écrit à son sujet : “c’est la vie elle-même apparue”. Rien que ça.
La raison pour laquelle ce roman est résolument moderne, c’est qu’il opère un changement au niveau de la conscience. Dans Madame Bovary, le lecteur est au cœur de la subjectivité. Et c’est précisément cela qui représente une révolution. Le lecteur ne voit pas Emma de l’extérieur, il a accès à sa conscience, à sa pensée. Une pensée non pas hors-norme ou particulièrement brillante. Au contraire, Emma n’a rien d’une héroïne classique de roman. La conscience dans laquelle nous pénétrons dans ce roman est ordinaire, voire banale. Le roman ne nous permet pas de nous évader du monde, il nous y plonge plus profondément, en nous confrontant au réel.
“La révolution de la vision de représentation du monde qui découle et est exprimée par cette syntaxe est peut-être aussi grande que celle de Kant déplaçant le centre de la connaissance du monde dans l’âme.” – Proust
Pour rédiger ce roman, il n’est pas question pour Flaubert de se laisser aller à son imagination et de laisser couler au hasard les mots sur le papier. Il rompt au contraire avec la tradition de l’artiste inspiré.
“Méfions-nous de cette espèce d’échauffement qu’on appelle l’inspiration, et où il entre plus souvent d’émotion nerveuse que de force musculaire… Je connais ces bals masqués de l’imagination d’où l’on revient la mort au cœur, épuisé, n’ayant vu que du faux et débité des sottises”, écrit-il dans une lettre à Louise Colet.
Pour Flaubert, il faut écrire froidement, car “ce n’est pas avec le cœur qu’on écrit, c’est avec la tête”.
Le saviez-vous ?
Le personnage d’Emma Bovary a donné naissance au terme bovarysme, qui décrit un état ou un sentiment d’insatisfaction, une tendance à s’imaginer autre que l’on est, à rêver un autre destin.