Pourquoi cherche-t-on le neutrino ? (1/2)
Neutrino vs antineutrino
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Au-delà de son aspect philosophique, cette question intéresse bien évidemment les scientifiques, pour des raisons bien spécifiques. Au moment du Big Bang, matière et antimatière ont été créées en quantité parfaitement égale. Or, quand une particule de matière rencontre son antiparticule, toutes deux s’annihilent mutuellement en rayonnement. Donc, puisqu’une quantité égale de matière et d’antimatière a été créée à son commencement, l’Univers aurait dû se retrouver entièrement vide, à l’exception de ce rayonnement, une fraction de seconde après le Big Bang.
Puisque vous êtes là pour lire cet article et vous demander pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, c’est visiblement que la pratique n’a pas rejoint la théorie et que les particules de matière et d’antimatière ne sont pas toutes annihilées au commencement de notre Univers. C’est que, dans la pratique, quelque chose a favorisé la matière plutôt que l’antimatière.
En physique, on nomme Symétrie CP (Charge-Parité) l’idée que les lois physiques sont les mêmes pour une particule donnée et son antiparticule inversée dans le miroir. Peu de particules violent cette symétrie fondamentale. C’est le cas notamment des quarks, les constituants des protons et des neutrons, mais ils ne violent pas assez cette symétrie pour expliquer la domination de la matière sur l’antimatière dans l’Univers. La violation de la Symétrie CP est appelée Violation de CP et elle concerne également les neutrinos. Depuis plusieurs années, les scientifiques se penchent donc sur l’asymétrie entre les comportements des neutrinos et des antineutrinos pour expliquer l’ascendant de la matière sur l’antimatière.
“Parmi toutes les particules élémentaires qui constituent la matière, les neutrinos sont les plus mystérieuses. Une meilleure connaissance de leurs propriétés pourrait nous ouvrir une porte sur une nouvelle physique.” – Christine Marquet, Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan
Une place dans le Modèle standard
Les neutrinos font partie des particules élémentaires qui constituent la matière (on appelle élémentaires les particules que l’on ne peut pas décomposer en de plus petites particules). Ils proviennent de sources variées, venant des vestiges du Big Bang, de la mort d’étoiles, de désintégrations radioactives ou encore dans la haute atmosphère sous l’effet de la collision des rayons cosmiques.
La théorie actuelle de la physique des particules se nomme “Modèle standard de la physique des particules” et permet d’expliquer les phénomènes observables à l’échelle des particules. Le Modèle standard englobe toutes les particules connues mais également trois interactions ayant un effet à l’échelle des particules : l’interaction électromagnétique, l’interaction forte (ou force forte), l’interaction faible (ou force faible). La gravitation, la quatrième force fondamentale, n’entre pas dans le cadre du Modèle Standard.
Le Modèle Standard de la physique des particules stipule qu’il existe deux types de particules de matière : les quarks et les leptons. Les quarks ressentent la force forte qui maintient les noyaux atomiques ensemble, tandis que les leptons ne ressentent pas cette force.
Les neutrinos entrent dans la catégorie des leptons et n’ont pas de charge électrique. Des quatre forces, ils ne ressentent que la force faible et la gravité.
Une faille dans la théorie ?
Des neutrinos, il y en a beaucoup… vraiment beaucoup. Plusieurs milliards d’entre eux vous traversent d’ailleurs à chaque seconde sans même que vous ne vous en rendiez compte. S’ils sont très abondants, ils sont aussi très discrets et, de fait, interagissent si peu avec la matière qu’ils traversent tout sur leur passage. Sur 10 milliards d’entre eux traversant la Terre, un seul entrera en contact avec un atome.
Les neutrinos existent sous trois états, que l’on nomme “saveurs” : électronique, muonique et tauique. Ils sont capables de passer d’une saveur à l’autre spontanément au cours de leur déplacement. On nomme cette propriété l’oscillation. Dans la pratique, le neutrino naît d’un certain type puis devient un conglomérat mouvant composé des trois sortes de neutrinos durant son voyage pour finalement se révéler différent à l’arrivée dans un détecteur.
L’une des conséquences de leur propriété d’oscillation est que les neutrinos doivent nécessairement avoir une masse. Cela fût une surprise pour les chercheurs car, comme l’explique Michel Gonin, chercheur au Laboratoire Leprince-Ringuet, “d’après le Modèle standard, […] les neutrinos ne devraient pas en avoir. C’est une faille dans la théorie, le signe qu’il faut revoir notre modèle, ou tout du moins le compléter”. Mais, s’ils ont une masse, celle-ci est très faible : moins d’un millionième de la masse d’un électron.
Le saviez-vous ? En 2015, le Prix Nobel de Physique a été décerné au japonais Takaaki Kajita et au canadien Arthur B. McDonald pour leur découverte de l’oscillation des neutrinos qui montre qu’ils ont une masse.
Du coup, pour tenter de comprendre pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, étudier le comportement des neutrinos est une piste intéressante. Pour cela, les chercheurs mettent en place d’impressionnants détecteurs. Dans la deuxième partie de cet article, nous vous dévoilerons les coulisses de ces projets de recherche hors normes.
À suivre…