Platon et La République – partie 3
Pour la troisième et dernière partie de notre présentation de La République de Platon, nous allons enfin trouver une réponse à la question qui traverse l’ouvrage : vaut-il mieux être juste ou injuste ?
Livre VIII : de l’aristocratie à la tyrannie
Penser la Cité idéale implique nécessairement de s’interroger sur son régime. Pour Socrate, le bon gouvernement est aristocratique (ou monarchique). Il existe quatre autres sortes de mauvais gouvernements qui sont, par ordre de dégradation : la timarchie, l’oligarchie, la démocratie et la tyrannie.
Suivons la réflexion de Socrate et voyons comment, en partant du régime idéal qu’est l’aristocratie, la Cité peut se dégrader jusqu’à la tyrannie.
Dans notre Cité idéale, il est possible que des unions imparfaites voient le jour. Ainsi, en suivant la logique du mythe fondateur, il est probable que l’on verra naître des enfants de gardiens mêlés d’or et d’argent ou de fer et d’argent. Devenus adultes, ces nouveaux gardiens se diviseront entre ceux qui sont subordonnés par l’esprit et ceux qui le sont par le cœur. Ils se disputent entre eux, tantôt pour les honneurs, tantôt pour l’accroissement des richesses, et mettent en place un régime timarchique, dominé par les ambitieux, ceux qui recherchent les honneurs.
Dans cette timarchie, le goût pour l’enrichissement finit par prendre le pas sur la vertu. Petit à petit, le critère pour appartenir à la classe dirigeante devient la fortune. On passe alors à un régime oligarchique. Ce régime n’est pas viable, car la fortune ne fait pas les bons dirigeants. Pire encore, ce régime entraîne la plus grande partie de la population dans la pauvreté.
Une grande partie des citoyens étant réduite à la pauvreté, ces derniers se rebellent et, à la faveur d’une révolution, s’emparent du pouvoir. C’est le début du régime démocratique dont les principes fondateurs sont l’égalité et la liberté. Ici, tous peuvent se permettre d’accéder aux postes de dirigeants.
Mais son désir de liberté précipite la démocratie dans la tyrannie. D’abord, elle se transforme en anarchie, car elle entraîne un refus de toute autorité. “Dans ce régime, le maître craint ceux qui sont placés sous sa gouverne et il est complaisant à leur endroit. Les élèves, eux, ont peu de respect pour leurs pédagogues.”
Lassés des fortes dissensions causées par cette anarchie, les citoyens se tournent vers celui qu’ils considèrent comme étant l’homme providentiel : c’est l’avènement du tyran. Celui-ci, après avoir gagné la confiance du peuple, commence à exercer pleinement son pouvoir. Quand le peuple se rend compte que ce dernier a mis en place un régime tyrannique, il est déjà trop tard.
Ainsi, par dépravations successives, le modèle idéal se dégrade et dégénère.
Livre IX : l’homme tyrannique est-il heureux ?
L’homme tyrannique, qui s’octroie tous les pouvoirs, est-il heureux ? On pourrait le croire au premier abord, car le tyran, par la violence et la contrainte, peut tout obtenir.
S’il se croît maître, il est en fait esclave. Socrate le compare à un particulier tyrannique. Celui-ci, retiré dans un endroit désert avec sa famille et ses biens, possède un grand nombre d’esclaves et vit entouré de voisins envieux. Encerclé d’ennemis, il vit là comme dans une prison.
“Ainsi donc, en réalité, et même si on pense le contraire, le véritable tyran est un véritable esclave […]. Il passe toute sa vie dans la peur, pris de crampes et de convulsions, s’il est vrai que son état ressemble à celui de la cité qu’il commande”, déclare Socrate.
Socrate divise les hommes en trois catégories : les amis de la sagesse dont le désir est de connaître et d’être sages (les philosophes) ; les amis du triomphe dont le désir est de dominer et de rechercher les honneurs ; les amis du gain qui désirent l’amour, la nourriture et les richesses. Vous vous en doutez, pour Socrate le premier, le philosophe, est supérieur car le véritable plaisir ne s’attache pas à ce qui est périssable mais à ce qui est éternel et naît de la contemplation. Le tyran, qui est quant à lui un ami du gain, ne peut trouver de véritable bonheur.
Livre X : de l’immortalité de l’âme
Pourquoi se donner la peine d’être juste ? Cette question, qui traverse l’œuvre, trouve enfin sa réponse au dernier livre de La République. Deux aspects principaux ressortent : les conséquences dans la vie humaine et les conséquences dans l’immortalité.
“Quant aux hommes injustes, j’affirme que la plupart d’entre eux, à supposer que durant leur jeunesse ils aient pu demeurer inaperçus, quand ils arrivent en fin de parcours, ils se font prendre et deviennent un objet de risée. Parvenus à la vieillesse, misérables, ils sont couverts d’insultes de la part des étrangers et aussi de leurs concitoyens”.
Pour Socrate, l’immortalité et la destinée de l’âme justifient également la nécessité d’agir de façon juste.
Pour appuyer son propos, il présente le mythe d’Er le Pamphylien, guerrier mort au combat et ressuscité après douze jours, qui fait le récit de ce qu’il a vu durant sa mort. Ce récit, c’est celui du voyage des âmes après la mort du corps, voyage au cours duquel elles sont jugées et envoyées vers le ciel ou vers la région inférieure, en fonction de leurs actions terrestres. “Par les deux ouvertures, [Er le Pamphylien] observa pour l’une, remontant de sous la terre, des âmes couvertes d’immondices et de poussières, et pour l’autre, d’autres âmes qui descendaient du ciel et qui étaient pures. […] Et elles se racontaient leur histoire les unes autres autres, les unes en pleurant et en gémissant au souvenir des maux de toutes sortes qu’elles avaient endurés et dont elles avaient été témoins dans leur pérégrination souterraine tandis que les autres, celles qui venaient du ciel, racontaient leurs expériences heureuses et les visions d’une prodigieuse splendeur qu’elles avaient contemplées”.
“Pour toutes les injustices commises dans le passé par chacune des âmes, et pour chacun de ceux que ces injustices avaient atteint, justice était rendue pour toutes ces injustices considérées une par une, et pour chacune la peine était décuplée […] afin qu’elles aient à payer, au regard de l’injustice commise, un châtiment dix fois plus grand”.
Au livre X de La République, Platon ramène ainsi le regard vers la dimension divine de l’âme, vers son immortalité et vers ce que cela amène de nécessité d’être juste.
Au-delà de l’aspect châtiment, la justice est aussi liée à la notion de bonheur, vu comme un Bien absolu et désirable, et en est même une condition nécessaire. Cette question du bonheur prend toute sa dimension par rapport à l’éternité, et non par rapport au temps insignifiant de la vie humaine.
Ce qu’il faut retenir
Avec La République, Platon propose le premier ouvrage de philosophie politique et met en scène un dialogue qui amène les protagonistes à s’interroger sur la notion de justice. Une question, notamment, traverse l’œuvre : vaut-il mieux être juste ou injuste ? Si, de premier abord, l’injustice semble plus profitable aux hommes, Socrate, qui mène le dialogue, démontre qu’il vaut mieux agir de façon juste, pour plusieurs raisons :
- S’ils semblent récolter pendant un moment les fruits de leurs actions, les injustes finissent par être démasqués et deviennent objet de risée ;
- L’âme est immortelle et jugée une fois la vie terrestre terminée. Dès lors, les châtiments réservés aux injustes et les récompenses offertes aux justes justifient d’agir justement ;
- Le bonheur est un bien absolu qu’il faut rechercher et celui-ci est dépendant de la justice.
Pour en savoir plus sur la vie de Socrate, on vous invite à découvrir la vidéo de Cyrus North sur le sujet.