Des diplômés ingénieur spécialisés dans le Génie humain
Guillaume Tisserand Mouton, dit Mouts, et Nans Thomassey sont des ingénieurs qui se sont offerts une carrière originale. Titulaires d’un diplôme d’ingénieur en Génie civil – le bâtiment -, les deux complices lui ont préféré ensuite une spécialisation en Génie humain ! Ils ont lancé l’émission « Nus et Culottés » en 2012 sur France 5, où ils pratiquent « l’art du vagabondage » : le voyage sans ressources pour davantage aller à la rencontre de l’autre. Leur message à l’aube de votre orientation ? Écoutez aussi la voix(e) du cœur…
Quelle a été votre première expérience « nus et culottés » ?
Nans : Nous nous sommes rencontrés en 2005 à l’INSA Toulouse, où j’étais rentré en 3e année. Ma prof d’anglais nous a demandé de réaliser un exposé vidéo sur un thème de notre choix. J’ai eu l’idée d’un voyage sans ressources, en auto-stop et en dormant chez l’habitant. J’étais déjà habitué à faire de l’auto-stop pour rentrer chez moi, à Grenoble, et j’y ai découvert un véritable art de vivre. Dans l’habitacle de la voiture, on se retrouve avec un inconnu en regardant dans la même direction et on n’a rien à faire d’autre que d’échanger. Je découvrais des histoires qui me touchaient, me fascinaient ! Et j’étais bouleversé par cette solidarité que l’on trouve dans un acte aussi ordinaire que faire de l’auto-stop. Solidarité que j’avais déjà ressentie à l’âge de 6 ans, lorsque ma maison avait brûlé. J’avais envie de retrouver ça, sans que ma maison ne brûle ! Et j’étais aussi porté par l’envie de ramener à la maison des histoires inspirantes de l’extraordinaire diversité humaine qui nous entoure, alors que j’avais autour de moi des proches qui portaient une vision un peu sombre de l’humanité. Quand on prend le temps de rencontrer l’autre, on trouve des pépites !
Mouts : Je suis arrivé à l’INSA en 2e année où je me suis spécialisé dans le Génie civil car j’étais très sensible aux questions environnementales. Nans aussi, ce qui fait que nous nous sommes retrouvés aussi dans le club écolo que j’avais créé sur le campus. J’avais déjà expérimenté l’auto-stop en sillonnant la France pour aller rencontrer des entreprises dans des salons. Lorsque Nans a dû faire son film, il m’a dit « ça te dit de partir sans sac à dos, sans argent, en vadrouille ? ». S’en est suivi un concours de bluff et ça s’est fini par « Ok, on part à poil ! ». Et on ne s’est pas débiné ! Ça a été incroyable : nous avons fait de très belles rencontres et nous nous sommes sentis portés par la vie !
Crédit photo : Paul Villecourt
« Quand on prend le temps de rencontrer l’autre, on trouve des pépites ! » – Nans
Du virage au voyage, puis au documentaire, comment et pourquoi ?
Nans : Après mon diplôme, je me suis dit « pourquoi ne pas transposer la quête d’énergie que j’avais appliquée au bâtiment – concevoir un bâtiment où l’on consomme moins et où l’on se sent bien – au voyage, un voyage où l’on mettrait l’humain au centre ? » Je suis parti deux ans avec un autre ami, des Caraïbes aux États-Unis. Et avec un esprit ingénieur, en explorant des techniques pour se loger, se déplacer, se nourrir, en mettant l’humain au cœur du voyage ! Et en rentrant, en 2010, j’ai écrit La bible du grand voyageur, éditée par Lonely Planet, et j’ai dit à mon père que je n’avais plus envie d’être ingénieur ! J’étais un peu surpris et ému parce qu’il a répondu « Ok ». Il m’a dit : « Tu as écrit un livre, pourquoi tu ne ferais pas des vidéos ? » C’est là que nous avons décidé de reprendre la route avec Mouts.
Mouts : Après mon diplôme, j’avais aussi soif de voyage et je suis parti faire le tour du continent américain. 40 000 km pour rencontrer des centaines d’acteurs qui œuvraient sur des solutions pour répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux. Ce voyage m’a permis de déplacer le focus : j’ai réalisé que les freins pour progresser dans ce domaine n’étaient pas techniques, mais relevaient davantage de difficultés à coopérer entre ONG, porteurs de projets, financeurs… Bref, la question était : comment se fait-on confiance pour résoudre un problème ? Quand Nans m’a recontacté, son projet était dans le même esprit. Nous avons envoyé un petit film réalisé à nos retours de voyage à Bonne Pioche Productions et avons décroché un rendez-vous chez France 5 en février 2011. Et ça a marché ! Il a fallu tout apprendre sur le tas et aujourd’hui nous sommes à 44 documentaires sur 12 saisons.
« On aime dire que l’on est passé du Génie civil au Génie humain ! » – Mouts
Que cherchez-vous à faire passer via votre émission documentaire ?
Nans : Nous pratiquons l’art du vagabondage, un voyage alternatif avec très peu de ressources, en auto-stop, en dormant chez l’habitant. Nous sommes à la recherche du bonheur, dans la simplicité. Sans chercher à faire passer de message ou à donner de leçons, car nous sommes tout simplement heureux de voyager comme ça ! Nous voulons avant tout proposer des témoignages pour, de la même manière que j’avais envie de ramener à la maison des histoires inspirantes de l’extraordinaire diversité humaine qui nous entoure, montrer tout l’éventail des couleurs qu’abrite cette humanité.
Mouts : On aime dire que l’on est passé du Génie civil au Génie humain ! Nous abordons nos voyages avec le regard et l’énergie d’un enfant. Nous n’avons rien d’autre à revendiquer que notre joie et si ça peut donner des envies aux autres, tant mieux. Notre posture ? Faire un pas de côté pour donner à voir les gens différemment de la façon dont on serait tenté de les voir. Et nous réapprenons par le vagabondage la confiance, la compassion, la gratitude… Autant de qualités humaines dont on aura besoin pour relever les enjeux sociétaux et environnementaux d’aujourd’hui et de demain. Car quand on est sur la route, aller vers les autres n’est pas une option. Pour moi, le vagabondage est vraiment une école de la vie.
Crédit photo : Paul Villecourt
Quel lien peut-il y avoir entre ce que vous faites avec vos profils et une formation d’ingénieur ?
Nans : J’ai une grande reconnaissance envers l’INSA Toulouse qui m’a aidé à développer mon esprit analytique et à me structurer. Travailler sur des films exige d’être organisé : nous gérons de la technique, du juridique avec les droits à l’image, de l’humain, des problèmes en permanence. Et, lors de nos rencontres, il est important d’avoir de l’empathie et de la sensibilité, mais aussi d’être cartésien, dernier point sur lequel nous avons des facilités avec Mouts, car nous partageons une même culture analytique. L’autre chose que je salue à l’INSA : l’ouverture. J’ai été très inspiré par les conférences données par des intervenants extérieurs et j’ai adoré tous les modules d’ouverture qui m’ont permis de nourrir ma fibre artistique et sociale. Et nos diplômes d’ingénieur nous ont donné beaucoup de crédit quand nous avons sollicité Bonne Pioche pour lancer notre émission.
Mouts : Cette vision analytique nous sert effectivement toujours. Nous répertorions par exemple dans un tableur le nombre de kilomètres réalisés en tandem, en montgolfière, etc., de femmes et d’hommes rencontrés, les nuits chez l’habitant et celles passées dehors… Sur les 550 nuits passées en voyage, nous en avons passé seulement 16 dehors, ce qui représente seulement 3 % : c’est extrêmement intéressant d’avoir pu mettre en relation notre ressenti avec des chiffres ! De la même manière, l’apprentissage par projets et en groupe nous a appris à fonctionner ensemble. Et la formation nous a donné cette ouverture sur le monde : elle nous a encouragés à partir, à découvrir d’autres choses.
« J’aimerais inviter à aller davantage vers la voie du cœur, même si parfois ça paraît déraisonnable » – Mouts
Un message aux lycéens ? Doit-on suivre ses envies comme vous l’avez fait ?
Mouts : Il y a souvent une compétition entre la voie du cœur et la voie de la raison. J’aimerais inviter à aller davantage vers la voie du cœur, même si parfois ça paraît déraisonnable. Mais dans la mesure où l’on peut montrer du sérieux dans les choix qu’on fait, la voie du cœur peut porter ses fruits. Dans mon cas, le choix que j’ai fait, c’était de devenir ingénieur, un peu par dépit car je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Étant bon en maths, je suis partie en classe préparatoire et je me suis aperçu que ce n’était pas fait du tout pour moi. Là, j’ai un peu plus écouté la voie du cœur, j’ai choisi l’INSA, puis le Génie civil qui m’a amené vers les enjeux environnementaux et, suite à mon voyage en Amérique, j’ai complètement écouté la voie du cœur, ce qui m’a amené à la réalisation de documentaires sur les rencontres entre les humains. Paradoxalement, je réalise que je ne regrette pas non plus au départ d’avoir suivi la voie de la raison : ça a rassuré mes parents, ça m’a rassuré moi aussi, ça a aussi montré du sérieux quand on est allé voir Bonne pioche, car nos diplômes d’ingénieur n’ont pas été inutiles. Ces voies-là ne sont pas à opposer car elles se complètent. Mais l’invitation, c’est n’oubliez pas le cœur ! Entre la voie du cœur et la voie de la raison, comment savoir ? La boussole, c’est la joie. Ce qui donne l’orientation, c’est « est-ce qu’on a envie, est-ce qu’on a de l’élan, est-ce qu’on en parle aux autres, est-ce qu’on a envie de se documenter ? » Tous ces éléments donnent une indication très claire : « c’est vers ça que j’ai envie d’aller ».
Votre plus belle rencontre ?
Mouts : Il n’y en a pas une en particulier. Mais plutôt des rencontres durant lesquelles les gens nous ont partagé des expériences personnelles très difficiles, que ce soit des violences sexuelles subies dans l’enfance, des envies de mettre fin à leurs jours, la perte d’un être cher… Pourquoi ces rencontres me touchent-elles ? Parce que ce sont des expériences de vie où l’on n’a pas d’autre choix que d’être dans le cœur. À toutes ces personnes qui nous ont livrés leurs plus grandes épreuves, j’ai envie de leur dire merci. Car elles m’ont autorisé à voir les miennes, que je me cachais, et à leur faire face à nouveau. Ces expériences nous font grandir, nous permettent de continuer à avancer dans la vie en souriant avec confiance à ce qui se présente.
Votre prochain documentaire ?
Nans : Nous sommes partis chanter une berceuse au grand méchant loup ! À découvrir l’été prochain…
Une émission ET un magazine !
> Pour ceux qui ne les connaissent pas encore, sachez que l’on peut découvrir leurs 44 films déjà réalisés sur le site de France 5.
> Les deux « complices » publient également un magazine trimestriel qui parle de vagabondage.
Le prochain numéro, « Vivre l’impossible » est en prévente.
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Crédit photo : Nathalie GUYON
Crédit photo principale : Nathalie GUYON-FTV