Des vaches (un peu) écoresponsables, c’est possible ?
Des vaches moins polluantes, c’est possible ? Rendues responsables aujourd’hui d’une grande part des émissions de méthane, donc des gaz à effet de serre, notamment par leurs rots, les vaches font l’objet d’attention de la part de chercheurs, dont ceux de l’INRAE en France. Ces derniers souhaitent aider les éleveurs à faire en sorte que leurs troupeaux soit moins polluants. Leurs pistes : « jouer » sur l’alimentation et la sélection génétique notamment.
Des vaches « choisies » génétiquement, parce qu’elles émettent le moins de méthane ; à qui l’on donne davantage de fourrage, donc d’herbe et de maïs, que de grains à manger, pour, aussi, leur permettre d’émettre moins de méthane ; que l’on emmène davantage dans les pâturages, toujours dans le même but… Voici quelques solutions que des chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et d’autres dans le monde cherchent à creuser, non pas pour en finir avec les élevages (car ces vaches servent aussi à l’agriculture, leur déjections servant entre autres d’engrais naturels, et parce qu’elles permettent de valoriser des terres qui ne sont pas ou peu propices à la culture), mais pour tendre vers des élevages davantage écoresponsables. Élevages composés de ruminants qui pètent et rotent moins.
Car, on le sait depuis longtemps maintenant, les animaux d’élevage, en digérant, libèrent du méthane, principalement par leurs rots. Et ce sont les bovins (élevés pour le lait ou pour la viande) qui sont les plus émetteurs. À l’échelle mondiale, c’est l’élevage qui pollue le plus, loin devant l’élevage de porcs et de volailles. Mais quelles sont ces solutions qui permettraient de les rendre moins polluantes ?
Faire une sélection génétique de vaches qui produisent moins de méthane
Première piste travaillée : tenter de réduire cette pollution grâce à une sélection génétique des vaches qui produisent moins de méthane. Car les chercheurs savent désormais que certaines vaches en produisent plus que d’autres en partie pour des raisons génétiques et qu’il y a un lien entre ces émissions et la composition de leur lait. Une chercheuse a réussi à établir une équation permettant de prédire les émanations de méthane en fonction de cette composition et il va donc être possible de donner cette information aux éleveurs : selon la teneur en graisse ou en protéines de ce lait, on va savoir en effet si la vache sera fortement émettrice ou faiblement émettrice, ce qui pourra donc aiguiller le choix des éleveurs dans la sélection des vaches. Et potentiellement leur permettre de transmettre ces caractéristiques génétiques à la descendance de ces vaches par insémination. La piste est intéressante, mais pas si simple néanmoins. Car les éleveurs, pour des raisons économiques, peuvent évidemment souhaiter plutôt conserver les animaux pour la génération suivante qui répondront à d’autres critères comme la résistance aux maladies ou encore le niveau de production de lait.
Modifier la composition des rations et les faire aller au pâturage
Pas question pour les chercheurs d’attendre que ce critère de choix relevant d’un souci environnemental prenne le pas sur les autres. Ils planchent donc sur d’autres solutions possibles. L’une d’elles est l’alimentation. Car la quantité d’émission de méthane varie aussi considérablement selon le type d’aliments que la vache digère.
Aujourd’hui, les vaches reçoivent une partie de leur ration alimentaire via des gamelles de graines. De l’aliment dit « concentré » à base de grains, de l’orge, du blé, de l’avoine, du tourteau de soja. Cette partie représente environ 30 % de leur ration annuelle, alors que les 70 %, elles les reçoivent sous forme dite de « fourrage », c’est-à-dire de l’herbe, de l’ensilage de maïs, de l’ensilage d’herbe, du foin… Première piste des chercheurs ? Réduire la part de grain dans la ration pour leur faire manger plus de fourrage.
D’autres pistes sont, ou ont été explorées. Une autre solution serait de compléter le fourrage par un concentré riche en céréales et oléagineux, ce qui pourrait réduire jusqu’à 20 % les émissions de méthane de la vache. Certains compléments à base d’algues rouges ou d’acides gras issus d’oléagineux comme le lin peuvent aussi réduire jusqu’à 40 % les émissions de méthane liées à la digestion de la vache. Néanmoins, ces produits représentent pour le moment un coût supplémentaire pour les exploitations. Quant aux algues, alors qu’une expérience réalisée en 2018 aurait montré que leur ajout au régime alimentaire d’une vache peut réduire de moitié sa production de méthane, les chercheurs ont constaté que les animaux ne semblaient pas beaucoup aimer le goût salé des algues !
Dans une autre étude publiée dans Scientific Reports en 2023, des chercheurs du Rural College d’Écosse ont découvert aussi qu’un extrait chimique de jonquilles pouvait réduire de manière significative les émissions de méthane du bétail. L’extrait, appelé hémanthamine, aurait permis de réduire de 96 % les émissions de méthane, des résultats néanmoins observés en laboratoire et provenant d’estomacs artificiels de vaches.
Expérimentations dans une ferme de Normandie
Enfin, les scientifiques de l’INRAE cherchent aussi à mesurer les effets bénéfiques si on arrive à faire davantage « pâturer » ces vaches, donc à les amener au pré pour brouter, au printemps. De bonne qualité, l’herbe présente une ration naturellement complète pour les vaches tout en permettant aussi de réduire les émissions de méthane. De plus, l’entretien des prairies par les animaux permet de stocker 80 tonnes de CO2 par hectare, à condition qu’elles ne soient pas labourées durant au moins 5 ans. Cela évite aussi les émissions de CO2 liées à la production et aux transports de céréales pour nourrir le troupeau.
Aujourd’hui, la modification de l’alimentation des vaches est perçue par les chercheurs comme un levier majeur qui permettrait de tendre vers de l’élevage écoresponsable. Ce qui explique que l’INRAE ,’y travaille pas seulement en laboratoire mais aussi en habitat naturel, notamment dans une ferme expérimentale basée en Normandie. Tout y est évalué : la quantité de nourriture ingérée, l’état d’engraissement, la taille de l’herbe, la composition du lait…, ainsi que les rots chargés de méthane, au pouvoir très réchauffant. Objectif de tous ces travaux et de toutes ces expérimentations ? Arriver à diminuer de 30 % les émissions de méthane des bovins d’ici à 2030.
Le bilan carbone de l’élevage
Si 40 % des émissions de méthane dans le monde sont naturelles (volcans, incendies, zones humides…), le reste est dit anthropique et provient de l’élevage de ruminants, de la combustion de la biomasse, des biocarburants, des décharges et de la combustion des énergies fossiles. Le méthane est un gaz qui résulte essentiellement de la fermentation et de la digestion : l’un des principales sources de méthane est la fermentation entérique (de l’estomac) des animaux qui consomment des végétaux, donc principalement les ruminants et les termites.
Selon l’INRAE, les émissions mondiales de gaz à effet de serre dues à l’agriculture s’élèvent à 14 %, dont 60 % proviennent de l’élevage. Ce sont les bovins, plus que les porcins, les ovins ou encore les volailles, qui sont les plus gros contributeurs à cette empreinte carbone, selon l’Organisation des Nations unies.
Si les émissions de méthane dues à l’agriculture ont diminué en Europe (-39 % entre 1990 et 2020), à l’échelle de la planète cependant, la concentration du méthane dans l’atmosphère augmente fortement. Sa structure physique rend son effet de serre 28 fois supérieur à celui du CO2. Néanmoins, si celui-ci a un donc un pouvoir de réchauffement global plus élevé que le CO2, il reste moins longtemps dans l’atmosphère que le dioxyde carbone (10 ans contre 100 ans pour le CO2).
Camille Pons
Crédit photo : Claudio Schwarz-Unsplash