Les jeunes et le bien-être
Une étude de la plate-forme IAMSTRONG s’est intéressée au bien-être des jeunes dans l’enseignement secondaire et supérieur. Le constat est considéré comme « alarmant ». Pourquoi ? Parce que même si le mal-être ne touche pas plus cette jeunesse que les générations qui l’ont précédée, en revanche, les troubles psychiques qui lui sont associés, comme la dépression ou les pensées suicidaires qui touchent de plus en plus de jeunes, sont « d’une ampleur et d’une gravité inégalées ».
En 1978, la France s’est mise à chanter « Allô Maman bobo | Maman, comment tu m’as fait, je suis pas beau ». Rentré depuis dans la culture populaire, ce refrain d’Alain Souchon pourrait très bien être repris, presque 50 ans plus tard, par les jeunes d’aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que dans ce morceau, comme le souligne la page Wikipédia dédiée à cette chanson, le chanteur capte la mélancolie et le désenchantement de la nouvelle génération de l’époque, explique son mal-être, un physique qu’il juge ingrat, sa fragilité face à la vie et ses tourments, l’absurdité de la vie moderne…
Et tout cela ressemble à s’y méprendre au mal-être que traîne la génération d’aujourd’hui, si l’on en croit une récente étude sur la santé mentale des jeunes. Réalisée par la plate-forme de coaching dédiée au bien-être mental des jeunes, IAMSTRONG, avec l’Ifop, et rendue publique ce mois de novembre, cette étude souligne comment le point de vue négatif des jeunes sur leur vie et sur la société peut être notamment déterminé par leur faible estime d’eux-mêmes sur plan physique, mais aussi parce qu’ils ont une faible opinion d’eux en tant qu’élève.
Surtout, cette enquête montre que les formes de détresse qui sont associées à ce mal-être sont plus alarmantes qu’à l’époque : dépression, idées suicidaires ou encore anti-dépresseurs s’avèrent être, en effet, le lot de pas mal de ces jeunes si l’on se fie en effet aux remontées faites par les 1 300 jeunes de 11 à 24 ans qui ont été sondés, et ce, bien plus que chez les jeunes des générations précédentes.
Un jeune sur deux a eu un épisode dépressif et un sur quatre des idées suicidaires
Un jeune sur quatre confie ainsi avoir déjà eu des idées suicidaires (23 %). Et en comparant ces résultats avec les données du baromètre Santé publique France, une étude annuelle menée depuis 1992, les auteurs notent que la proportion de jeunes adultes (18-24 ans) admettant des pensées suicidaires dans l’année écoulée a explosé en dix ans : alors que celles-ci concernaient 3,3 % des jeunes en 2014, elles atteint désormais 13 % en 2024.
Même tendance observée pour d’autres formes de détresse psychologique. Les états dépressifs au cours des 12 derniers mois chez les 18 à 24 ans ont aussi augmenté : alors qu’ils concernaient 11,7 % des 18-24 ans en 2017, cette proportion est passée à 35 % en 2024 !
Ceux qui ont peu d’estime d’eux-mêmes sont les plus fragiles (exposés aux pensées suicidaires)
Qui est le plus touché par ces troubles psychiques ? Ceux qui se perçoivent comme « pas beaux » ou « mauvais élèves », observe l’étude. Le niveau de stress et de solitude est ainsi bien plus élevé chez les jeunes ayant une mauvaise image de leur physique : 90 % des jeunes ne se trouvant pas beau ou belle indiquent être stressés, contre 68 % en moyenne. Et ces mêmes jeunes sont trois fois plus nombreux à avoir déjà pensé à se suicider que ceux ou celles se disant beaux/belles (59 % contre 11 %).
De la même manière, on constate que ceux qui font des épisodes dépressifs ont pour beaucoup d’entre eux une mauvaise image d’eux au-delà même du physique : ainsi, 79 % d’entre eux disent avoir du mal à voir leurs qualités, contre une moyenne de 53 % pour tous les jeunes (moyenne déjà importante d’ailleurs) et 69 % de ces jeunes ayant eu une dépression se sentent aussi moins doués que les autres (alors que cette impression est ressentie par un tiers des élèves tous profils confondus).
Des conséquences sur leur vie d’élèves ?
Le manque d’estime de soi physique semble peser aussi sur leur vie d’élève, l’enquête relevant que sont les mêmes qui vont porter des jugements plus négatifs sur leurs capacités scolaires. Certes, ils sont déjà nombreux à porter des jugements négatifs sur leurs capacités, puisque que 62 % des élèves reconnaissent avoir peur de l’échec et 44 % celle de de prendre la parole en cours. Mais ce sont, là aussi, les profils les plus en « détresse » qui ressentent plus fortement encore cette angoisse face aux notes et à la pression scolaire.
Ainsi, 69 % des élèves ne se sentant pas beaux n’ont pas confiance en eux sur le plan scolaire, contre 16 % de ceux qui se disent beaux. De même, ils ont davantage peur de l’échec ou de prendre la parole en cours que les élèves ne se jugeant pas beaux. Exemple particulièrement frappant, 93 % de ceux qui ont eu récemment des pensées suicidaires vivent avec cette peur de l’échec.
Inversement, avoir une faible estime de son niveau scolaire joue également un rôle négatif sur la santé mentale, puisque le nombre de jeunes ayant pensé à se suicider est plus important parmi ceux estimant être des mauvais élèves (31 %) que chez ceux s’estimant être très bons élèves (14 %).
Enfin, ils sont aussi nombreux à avoir des réactions qui peuvent également nuire indirectement à leur scolarité. Un tiers des jeunes dit avoir souvent envie de tout abandonner, des difficultés à dormir telles que des insomnies et des réveils nocturnes ou encore des maux de tête ou de ventre inexpliqués. Et ils sont tout autant à reconnaître avoir tendance à se mettre en colère pour pas grand-chose, des difficultés à contrôler leur énervement ou à tenir en place, ce qui peut aussi avoir des effets sur la scolarité.
Les filles plus sujettes à des problèmes de santé mentale ?
Enfin, l’enquête montre que le mal-être est beaucoup plus répandu chez les jeunes filles : celles-ci souffrent davantage de troubles anxieux (68 % contre 51 % chez les hommes), d’états dépressifs (55 % contre 40 %) ou de pensées suicidaires (27 % contre 18 %). Le niveau de stress est aussi beaucoup plus fort dans les rangs des femmes, celles-ci sont plus nombreuses à vouloir tout abandonner, à éprouver un sentiment de solitude et un plus fort écœurement à l’égard de la société environnante.
Effet culturel ou d’éducation – les hommes sont moins enclins à admettre leur fragilité – ? Changements pubertaires « souvent plus intenses » chez les femmes ? Ou encore injonctions à la perfection physique plus pesantes envers les filles ? Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette prédominance du mal-être chez les filles, comme le souligne l’une des autrices de l’étude.
Mais une jeunesse pas plus pessimiste que les précédentes
Mais pour pourtant – et on aurait pu commencer par ça pour casser certaines idées reçues -, même si cette enquête confirme une dégradation de la santé mentale des jeunes, elle montre aussi que cette génération n’est pas plus désabusée et désespérée par le monde dont elle a hérité que les jeunes générations qui l’ont précédées. C’est même le contraire.
Et oui, ils sont un peu moins nombreux à se sentir malchanceux de vivre à cette époque que les jeunes d’il y a trente ans (31 % aujourd’hui contre 36 % en 1994) et ceux qui le sont restent minoritaires. Ce n’est donc pas une caractéristique de leur génération. Et oui encore, les jeunes d’aujourd’hui sont moins nombreux que les jeunes d’il y a 50 ans à se dire « écœurés par ce qu’ils voient autour d’eux » (57 % des adolescents de 14 à 15 ans contre 70 % en 1973).
Deux conclusions s’imposent aux auteurs de l’étude. D’abord, n’en déplaise à certains, « le désenchantement adolescent à l’égard du monde et de la société est loin d’être une nouveauté ». Cette répétition d’une génération à l’autre serait due tout simplement à l’âge : « un âge où les jeunes sont soumis à des chamboulements physiques et physiologiques lourds mais aussi à des expériences parfois violentes » ; un âge où l’on est « attisé par les excès d’idéalisme » et où, donc, on « peine à trouver sa place »…
Ensuite, ce n’est pas « une génération fataliste ». « Au contraire, la tentation de baisser les bras et de tout abandonner affecte en 2024 à peine plus d’un quart des jeunes âgés de 14 à 15 ans, contre plus d’un tiers il y a une cinquantaine d’années, en 1973 ».
Camille Pons
Crédit photo : Brooke Cagle-Unsplash