Attention, cet article est susceptible d'être irritant ! Jeux vidéo, échanges sur les réseaux
sociaux : les ados sont les plus actifs en la matière, le smartphone ayant permis un accès à
Internet partout et n'importe quand. Certes, les adultes ne montrent pas le bon exemple. Mais
si on modérait un peu ces usages pour gagner plus en sommeil, en attention et dans nos
relations aux autres ?
Déjà, en 1954, un chercheur, Jacques Ellul, pointait du doigt la solitude des personnes âgées aux
États-Unis face à leurs écrans de télévision. Plus d'un demi-siècle plus tard, des études mettent en
avant les risques, dont l'isolement, auxquels sont confrontés les jeunes trop rivés à leurs écrans,
ordinateurs connectés, tablettes ou encore smartphones, surtout en cas de surconsommation de
jeux en ligne et de réseaux sociaux. Et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a même reconnu
cette année le phénomène d'addiction aux jeux vidéos, au même titre que la cocaïne ou les jeux
d'argent.
«
Ce n'est plus un mythe, c'est une réalité ! », commente le chercheur Daniel Moatti, du
laboratoire Sic.lab Méditerranée (université de Nice Sophia Antipolis). Celui-ci regrette que le
phénomène ne soit pas davantage pris au sérieux alors même que ce ne sont pas que les jeunes,
«
mais toute la société dans son ensemble, adultes inclus, qui est dépendante du numérique ».
23 minutes pour se concentrer à nouveau après avoir été dérangé
Certes, les chiffres de l'addiction sont faibles : l'usage problématique des écrans toucherait entre 1
et 2 % de la population française et 5 % des adolescents, selon des chiffres de
l'Observatoire
français des drogues et de la toxicomanie (OFDT). Mais le temps passé devant les écrans (hors
travail scolaire) est évalué entre 6 et 7 heures par jour chez les garçons et 5 et 6 heures chez les
filles. Et une récente
enquête de l'Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC)
montre qu'un quart des 10-24 ans joue tous les jours ou presque, et 29 % jouent régulièrement
(au moins 2 fois par semaine).
Et ils sont presque autant à reconnaître qu'en raison du temps passé devant les écrans, ils ont
rencontré un problème avec leurs parents ou à l'école. Ce que confirment d'autres études : par
exemple, des chercheurs de Microsoft ont estimé qu'on mettait 23 minutes à se concentrer à
nouveau sur la tâche que l'on effectuait avant d'avoir été dérangé par une notification.
« Qui n'a pas un smartphone ? C'est devenu une extension de soi ! »
L’effet « doudou » du smartphone
Le portable n'arrange pas les choses. «
Qui n'a pas un smartphone ? C'est devenu une extension de
soi ! On y a nos numéros de téléphone pros, les numéros de nos amis, on peut y consulter le journal
et tout ce que l'on veut jusqu'à des sites pornos ! », commente encore Daniel Moatti. Portable que
de nombreux jeunes gardent dans la main toute la nuit pour pouvoir répondre à tout moment à
n'importe quel message. Résultats : «
moins de temps pour le reste qui va être bâclé, moins de
sommeil aussi », commente encore le chercheur. 2 heures de sommeil perdues en 20 ans selon le réseau « Morphée ». Ce qui rejoint les résultats d'une
enquête mise en ligne sur Eduscol , selon
laquelle 54,4 % des jeunes de 11 à 20 ans disent jouer le soir entre 19 h et 23 h.
Une question de dosage
Pas question pour autant de revenir à l'âge de pierre. L'IFAC souligne d'ailleurs que «
les jeux vidéo
peuvent développer des capacités cognitives, des capacités d’attention, de concentration. Ils
améliorent la mémoire, la coordination entre l'œil et la main ». Ou encore «
l'acuité et l'attention
visuelle », «
une meilleure représentation de l'espace », alors que la participation à une guilde peut
aussi développer «
l'estime de soi ».
Que retenir alors ? Que le numérique, c'est ludique, utile, indispensable par moments, mais pour
certains et pas tout le temps. Jouer d'ailleurs, c'est normal. Quelle société ne joue pas, aux dés,
aux cartes... ? Mais tout est question de mesure. Quant à son usage dans le cadre scolaire, pour
Daniel Moatti, s'il se justifie au lycée pour échanger, récupérer des informations techniques,
développer des compétences technologiques, il a moins sa place au collège et encore moins à
l'école.
Car l'accès instantané à des informations brutes a surtout un principal effet pervers, selon lui :
«
les jeunes ne savent pas quoi en faire ». Le numérique doit donc être un outil parmi d'autres, ce
que s'accordent d'ailleurs à dire les enseignants qui l'introduisent dans leurs classes, aucun d'entre
eux ne supprimant les autres ressources ni leur rôle de « chef d'orchestre ».
Camille Pons