Riad Sattouf : « C’est rafraîchissant pour le genre humain que les générations se renouvellent »
Observateur très attentif de la jeunesse, dessinateur ultra récompensé, réalisateur original distingué par un César, Riad Sattoufest un ovni dans le paysage de la BD française… et internationale. Traduit dans 17 langues, sa série biographique L’Arabe du futur s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, et ça n’est pas fini puisque deux tomes restent à paraître. Nous l’avons rencontré pour vous, et nous sommes tombés sous le charme de sa gentillesse et de franchise.
En quelques mots, quel est votre parcours scolaire ?J’ai fait un bac littéraire puis une école d’arts appliqués à Nantes, l’école Pivaut, dont j’ai suivi les cours pendant deux ans avant de rentrer à l’École des Gobelins de Paris, en section animation. Quel genre d’élève étiez-vous ?
Je dessinais tout le temps et, assez rapidement, je me suis rendu compte que je voulais faire de cette passion ma vie. Je n’ai jamais redoublé, je me suis dirigé vers des études qui me permettraient d’exercer ma passion. Je ne peux pas tout vous dire, car une grande partie de cette histoire sera dévoilé dans la suite de L’Arabe du futur…
Quels conseils donneriez-vous à des ados qui voudraient se lancer dans la BD ?
Ce que je vais dire n’engage que moi : j’ai le sentiment que dessinateur de BD, ce n’est pas un métier. Si on veut le faire, il faut que cela soit une passion. Partant de là, on n’a pas besoin de conseil, ça vient tout seul ! Je me suis dirigé vers les arts appliqués car c’était le parcours d’un de mes héros, le dessinateur Mœbius/Jean Giraud ; je voulais faire comme lui… Le plus important, c’est de vouloir raconter des histoires et de se lancer, de faire sa BD. Mais sachez que cela peut être très ingrat. Pendant 15 ans, j’ai très mal gagné ma vie et j’avais très peu de lecteurs. Mais j’étais heureux car je vivais ma passion.
On vous sent très calme, très paisible lorsque l’on vous voit on que l’on vous entend à la radio. Qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ?
Pourtant, je suis habité des par des milliards de colères ! Mais je les passe dans mes dessins. Le fait de faire ce que j’aime et d’être en accord avec moi-même m’apaise. J’ai rêvé de faire de la BD, et j’en fais : j’ai le sentiment d’un trajet accompli, la BD m’a tout donné, et cela m’apaise. Récemment, alors que je traversais la rue sur un passage protégé, un chauffeur de VTC, qui estimait que je n’avançais pas assez vite, m’a frôlé en me jetant un regard menaçant. C’est ce genre de situation qui m’a amené à créer le personnage de Pascal Brutal, comme un moyen d’exprimer de la frustration et de faire passer cette colère. Pascal lui aurait détruit la gueule !
Ce que je vais dire n’engage que moi : j’ai le sentiment que dessinateur de BD, ce n’est pas un métier. Si on veut le faire, il faut que cela soit une passion. Partant de là, on n’a pas besoin de conseil, ça vient tout seul ! Je me suis dirigé vers les arts appliqués car c’était le parcours d’un de mes héros, le dessinateur Mœbius/Jean Giraud ; je voulais faire comme lui… Le plus important, c’est de vouloir raconter des histoires et de se lancer, de faire sa BD. Mais sachez que cela peut être très ingrat. Pendant 15 ans, j’ai très mal gagné ma vie et j’avais très peu de lecteurs. Mais j’étais heureux car je vivais ma passion.
« Pascal Brutal : un moyen d’exprimer de la frustration et de faire passer ma colère »
On vous sent très calme, très paisible lorsque l’on vous voit on que l’on vous entend à la radio. Qu’est-ce qui peut vous mettre en colère ?« Pascal Brutal : un moyen d’exprimer de la frustration et de faire passer ma colère »
Pourtant, je suis habité des par des milliards de colères ! Mais je les passe dans mes dessins. Le fait de faire ce que j’aime et d’être en accord avec moi-même m’apaise. J’ai rêvé de faire de la BD, et j’en fais : j’ai le sentiment d’un trajet accompli, la BD m’a tout donné, et cela m’apaise. Récemment, alors que je traversais la rue sur un passage protégé, un chauffeur de VTC, qui estimait que je n’avançais pas assez vite, m’a frôlé en me jetant un regard menaçant. C’est ce genre de situation qui m’a amené à créer le personnage de Pascal Brutal, comme un moyen d’exprimer de la frustration et de faire passer cette colère. Pascal lui aurait détruit la gueule !
Quel rapport entretenez-vous avez le français et la littérature en général ?
J’ai énormément lu quand j’étais adolescent. Aujourd’hui, je ne lis rien de récent, que cela soit des livres ou des BD, pour ne pas être influencé dans mon propre travail. Je lis et relis seulement ce qui m’a marqué, pour trouver la recette secrète de ce qui m’a plut. En particulier Hergé, Blutch, Goscinny, les grands maîtres... J’idolâtre en particulier un auteur américain, Chris Ware, qui a poussé la BD dans ses derniers retranchements. C’est un vrai génie. Ne lire que ses BD serait suffisant. C’est un Balzac ou un Victor Hugo de la BD, il a réalisé des œuvres totales dont on peut se nourrir sans fin ! En parlant d’œuvres, y a-t’il des lectures qui vous ont particulièrement marqué ?
Oui, je pense à deux grands classiques qui ont la réputation d’être ennuyeux, compliqués et difficiles à lire : À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, et Les mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Ce sont deux livres immenses en taille et en importance. Lorsque j’étais lycéen, les adultes m’en avaient renvoyé l’image d’œuvres difficilement digérables, alors qu’elles sont simples, puissantes et magnifiques. Au collège, j’étais obsessionnel de Stephen King et de romans d’horreur. J’ai dévoré Lovecraft, beaucoup de science-fiction aussi avec Isaac Asimov, Dan Simmons, puis Franck Herbert…
Avec notamment Retour au Collège, Manuel du puceau, La Vie secrète des jeunes et Les Cahiers d’Esther, les jeunes et les ados sont une grande source d’inspiration dans votre travail. On vous sent très sensible à ce qu’ils ressentent, à ce qu’ils disent et à la manière dont ils le disent. Quel regard portez-vous sur eux ?
Précisément, quand j’aborde la jeunesse dans mes BD, j’essaie de ne pas avoir un regard, mais de montrer simplement les faits. De la même manière que quand j’ai réalisé le film Les beaux gosses, j’ai laissé les comédiens s’exprimer par eux-mêmes. C’est important de se mettre à la hauteur des personnages mais de ne pas les juger. Dans L’Arabe du futur et Les Cahiers d’Esther, j’ai pris ce parti, peu importe que ce que disent ou fassent les personnages soit grinçant, grossier ou émouvant. J’aime beaucoup les jeunes, j’ai l’impression qu’ils ont toujours raison, même quand ils se trompent. Ils sont émouvants dans leurs rêves, leurs attitudes… Ils posent un regard neuf sur le monde et la vie, avec leurs forces et leurs faiblesses. C’est rafraîchissant pour le genre humain que les générations se renouvellent.
J’ai énormément lu quand j’étais adolescent. Aujourd’hui, je ne lis rien de récent, que cela soit des livres ou des BD, pour ne pas être influencé dans mon propre travail. Je lis et relis seulement ce qui m’a marqué, pour trouver la recette secrète de ce qui m’a plut. En particulier Hergé, Blutch, Goscinny, les grands maîtres... J’idolâtre en particulier un auteur américain, Chris Ware, qui a poussé la BD dans ses derniers retranchements. C’est un vrai génie. Ne lire que ses BD serait suffisant. C’est un Balzac ou un Victor Hugo de la BD, il a réalisé des œuvres totales dont on peut se nourrir sans fin ! En parlant d’œuvres, y a-t’il des lectures qui vous ont particulièrement marqué ?
Oui, je pense à deux grands classiques qui ont la réputation d’être ennuyeux, compliqués et difficiles à lire : À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, et Les mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Ce sont deux livres immenses en taille et en importance. Lorsque j’étais lycéen, les adultes m’en avaient renvoyé l’image d’œuvres difficilement digérables, alors qu’elles sont simples, puissantes et magnifiques. Au collège, j’étais obsessionnel de Stephen King et de romans d’horreur. J’ai dévoré Lovecraft, beaucoup de science-fiction aussi avec Isaac Asimov, Dan Simmons, puis Franck Herbert…
« J’ai l’impression que les jeunes ont toujours raison, même quand ils se trompent »
Avec notamment Retour au Collège, Manuel du puceau, La Vie secrète des jeunes et Les Cahiers d’Esther, les jeunes et les ados sont une grande source d’inspiration dans votre travail. On vous sent très sensible à ce qu’ils ressentent, à ce qu’ils disent et à la manière dont ils le disent. Quel regard portez-vous sur eux ?« J’ai l’impression que les jeunes ont toujours raison, même quand ils se trompent »
Précisément, quand j’aborde la jeunesse dans mes BD, j’essaie de ne pas avoir un regard, mais de montrer simplement les faits. De la même manière que quand j’ai réalisé le film Les beaux gosses, j’ai laissé les comédiens s’exprimer par eux-mêmes. C’est important de se mettre à la hauteur des personnages mais de ne pas les juger. Dans L’Arabe du futur et Les Cahiers d’Esther, j’ai pris ce parti, peu importe que ce que disent ou fassent les personnages soit grinçant, grossier ou émouvant. J’aime beaucoup les jeunes, j’ai l’impression qu’ils ont toujours raison, même quand ils se trompent. Ils sont émouvants dans leurs rêves, leurs attitudes… Ils posent un regard neuf sur le monde et la vie, avec leurs forces et leurs faiblesses. C’est rafraîchissant pour le genre humain que les générations se renouvellent.
Si vous pouviez demander au futur président de la République de mettre en œuvre une mesure très importante en faveur de la jeunesse, quelle serait-elle ?
Il y a deux choses très importantes qui m’ont manqué pendant ma scolarité, et ce serait bien que l’école les propose : d’abord, des cours sur l’égalité des sexes dans l’histoire et dans le monde. Je parle de deux ou trois heures par semaine, expliquant la lutte pour les droits des femmes, démontrant que les filles sont les égales des garçons en tout, et que cela soit fait de manière scientifique et pas sujet à interprétation. Ensuite, des cours sur l’analyse de l’image(1) : pour que les jeunes apprennent à décrypter ce qu’ils voient, avec notamment des cours de mise en scène, afin qu’après, quand on regarde par exemple le journal télévisé, on puisse décrypter toutes les mises en scène : pourquoi y a-t’il un flou sur telle image, pourquoi le présentateur change de caméra lorsqu’il parle… ? Tout a du sens et peut participer à la manipulation par l’image du spectateur, car toute image est une fabrication. Comme beaucoup de gens – et de jeunes – je passe beaucoup de temps à lire des informations sur mon smartphone : encore une fois, tout est une fabrication pour nous attirer. Si l’on n’est pas capable de décrypter tout ça, on est fortement manipulé par une image, un montage ou un contenu.
Votre citation préférée ?
« Un homme n’a pas de racines, il a des pieds.(2) » Je suis intéressé par toutes les cultures humaines. Il n’y a pas une vérité. Un être humain n’a pas à être conditionné par l’endroit où il est né. C’est pour cette raison que les nationalismes me font horreur. Quelque chose d’insolite que vous avez fait ou qui vous est arrivé ?
Je suis allé assister à un concert de Nirvana (3) deux semaines avant le suicide du chanteur Kurt Cobain. Avec mes amis, nous avions réussi à rentrer dans la salle pendant que le groupe faisait les réglages son. Kurt Cobain nous a vu et a pris le micro en personne pour nous dire « Sorry, it’s not possible », et deux vigiles sont venus pour nous faire sortir ! Quel est votre dernier coup de cœur musical ?
Je dirais Vildjharta un groupe de métal suédois extrême que j’adore ! Ça me rappelle le lycée !
Propos recueillis par Fabien Cluzel
Il y a deux choses très importantes qui m’ont manqué pendant ma scolarité, et ce serait bien que l’école les propose : d’abord, des cours sur l’égalité des sexes dans l’histoire et dans le monde. Je parle de deux ou trois heures par semaine, expliquant la lutte pour les droits des femmes, démontrant que les filles sont les égales des garçons en tout, et que cela soit fait de manière scientifique et pas sujet à interprétation. Ensuite, des cours sur l’analyse de l’image(1) : pour que les jeunes apprennent à décrypter ce qu’ils voient, avec notamment des cours de mise en scène, afin qu’après, quand on regarde par exemple le journal télévisé, on puisse décrypter toutes les mises en scène : pourquoi y a-t’il un flou sur telle image, pourquoi le présentateur change de caméra lorsqu’il parle… ? Tout a du sens et peut participer à la manipulation par l’image du spectateur, car toute image est une fabrication. Comme beaucoup de gens – et de jeunes – je passe beaucoup de temps à lire des informations sur mon smartphone : encore une fois, tout est une fabrication pour nous attirer. Si l’on n’est pas capable de décrypter tout ça, on est fortement manipulé par une image, un montage ou un contenu.
« Je suis intéressé par toutes les cultures humaines »
Votre citation préférée ?« Je suis intéressé par toutes les cultures humaines »
« Un homme n’a pas de racines, il a des pieds.(2) » Je suis intéressé par toutes les cultures humaines. Il n’y a pas une vérité. Un être humain n’a pas à être conditionné par l’endroit où il est né. C’est pour cette raison que les nationalismes me font horreur. Quelque chose d’insolite que vous avez fait ou qui vous est arrivé ?
Je suis allé assister à un concert de Nirvana (3) deux semaines avant le suicide du chanteur Kurt Cobain. Avec mes amis, nous avions réussi à rentrer dans la salle pendant que le groupe faisait les réglages son. Kurt Cobain nous a vu et a pris le micro en personne pour nous dire « Sorry, it’s not possible », et deux vigiles sont venus pour nous faire sortir ! Quel est votre dernier coup de cœur musical ?
Je dirais Vildjharta un groupe de métal suédois extrême que j’adore ! Ça me rappelle le lycée !
Propos recueillis par Fabien Cluzel
(1) C’est notamment, aujourd’hui, un des objectifs du Clemi et de La Semaine de la presse à l’école.
(2) Citation de Salman Rushdie, écrivain britannique d’origine indienne, auteur notamment du roman Les Versets sataniques, condamné à mort par les autorités religieuses d’Iran. Cet auteur est un symbole de la lutte pour la liberté d’expression et contre les obscurantismes religieux.
(3) Groupe mythique du courant grunge dans les années 90.