Qu’est-ce que la philosophie des sciences ? Rencontre avec Baptiste Le Bihan
Baptiste Le Bihan est philosophe des sciences. Très porté sur la science-fiction depuis son plus jeune âge, c’est avec elle qu’il a développé son amour pour la philosophie et les grandes questions. Vivre au lycée est allé à sa rencontre pour qu’il nous parle de son parcours et nous éclaire sur les nombreux intérêts de la philosophie. Philosophe des sciences, en quoi est-ce que ça consiste ? Que pensiez-vous des cours de philo au lycée ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer dans cette branche ? Que diriez-vous à des élèves qui penseraient que la philo ça ne sert à rien ? Au delà de ça, elle permet de développer des compétences qui sont très intéressantes, notamment l’analyse du langage et la synthèse, qui sont aussi très utiles dans d’autres domaines. La philosophie permet aussi de prendre du recul sur notre vie de tous les jours, de s’intéresser aux grandes questions auxquelles on ne peut peut-être pas répondre, mais qui méritent quand même d’être posées. Après le bac, vous avez fait un double cursus philosophie et physique-chimie-géosciences et ingénierie. Le rythme était-il difficile ? Quels conseils pourriez-vous donner à des lycéens qui envisagent de s’engager dans un double cursus après leur bac ? Que peut-on faire après des études de philo ? Vous travaillez actuellement en Suisse, à l’Université de Genève. Etait-ce un souhait de votre part de travailler à l’étranger plutôt qu’en France ? Vous avez publié votre premier livre fin 2019, Qu’est-ce que le temps ?. Faites-nous un petit résumé… “Le temps” fait partie des notions proposées à l’étude pour le bac de philo 2021. Des lectures à conseiller pour commencer à appréhender ce sujet ? Plus généralement, quels ouvrages vous paraissent indispensables (et accessibles pour de tous jeunes philosophes) à une culture philosophique ? Y a-t-il un livre qui vous a particulièrement marqué dans votre jeunesse ? Connaissez-vous des vulgarisateurs (auteurs ou youtubeurs par exemple) que vous pourriez conseiller pour se familiariser avec certaines notions philosophiques ? De très connu sur Youtube, il y a évidemment Monsieur Phi, qui traite de sujets très larges en philosophie. Il y a également Politikon qui, lui, traite de questions de philosophie politique. Je recommande vivement ces deux-là. Un leitmotiv ou une citation à nous partager ? Un leitmotiv à partager serait : « Fais-toi confiance mais doute de tout ». Propos recueillis par Fanny Aici.
La philosophie des sciences, c’est la discipline qui prend pour objet d’étude les sciences en général ou une science particulière comme la physique, la biologie, la chimie, etc., et qui s’intéresse à des questions philosophiques sur ces objets. On peut donc avoir une philosophie des sciences qui s’intéresse à une branche scientifique particulière, mais il existe également une philosophie des sciences qui traite des questions plus générale, qui s’intéresse à des sujets comme : qu’est-ce qu’une loi scientifique ? Qu’est-ce que la causalité ?
J’ai eu la chance d’avoir un bon prof de philosophie au lycée, que je trouvais passionnant et, au-delà de ça, j’ai découvert avec les cours de philosophie que j’aimais la philosophie déjà avant, sans le savoir. Tout cela m’était déjà venu avant, grâce à mon intérêt pour la science-fiction. Je m’intéressais beaucoup aux questions fondamentales sur la nature de la réalité que j’avais rencontrées dans mes lectures. Ce qui m’a donné envie de continuer dans cette branche, c’est tout simplement le fait que c’était pour moi une passion, c’était ce que j’avais envie de faire.
« L’informatique est née d’un projet philosophique »
Plusieurs choses. Une manière un peu frontale serait de dire que ce n’est tout simplement pas vrai. En philosophie, on s’intéresse à des questions auxquelles on ne sait pas répondre mais, au bout d’un moment, on arrive à trouver des réponses à certaines de ces questions. Il existe un exemple assez frappant à mon sens, c’est l’invention de l’informatique. Les nouvelles technologies utilisent de la physique mais aussi de l’informatique, et l’informatique même est née d’un projet philosophique, celui d’appliquer les mathématiques au langage. La philosophie a eu des succès importants, seulement, le succès est généralement accordé au nouveau champ du savoir qui est apparu, et donc on ne se rend pas forcément compte du lien avec la philosophie.
Quand j’étais étudiant, les cursus en sciences représentaient environ 25 heures de cours par semaine, contre 10 à 15 heures par semaine pour le parcours de philosophie. Une stratégie serait donc d’être un peu plus studieux du côté du cursus scientifique.
C’est effectivement un rythme difficile. Je ne l’ai réellement fait que pendant un an. Ensuite ma stratégie a été de découper ma deuxième année de physique en deux parties qui s’étalaient sur ma L2 et ma L3 de philo.
Il existe assez peu de débouchés pratiques en philosophie en dehors de l’enseignement. Une bonne stratégie serait de commencer par une licence de philosophie et ensuite, en master, de faire un cursus plus appliqué, par exemple en gestion. Le point positif des études en philosophie c’est qu’elles permettent de développer des compétences qui peuvent ensuite être utiles pour faire une formation. Ça arme pour beaucoup de choses, pour préparer des concours par exemple, comme ceux de la fonction publique. Pour ce qui est des débouchés en philosophie pure et dure, ce sont la recherche et l’enseignement qui restent centraux.
Effectivement, c’est assez difficile dans le système français de trouver du travail en raison de l’état des universités. Il y a peu de postes.
Ensuite, je suis content d’être dans le système suisse parce qu’il y a plus de structures, plus de financements pour créer des projets, pour créer de la recherche. Ces financements permettent plus de mobilité et donc de rencontrer plus de chercheurs étrangers. L’avantage du système suisse, c’est qu’il est beaucoup plus connecté au reste du monde, anglo-saxon en particulier.
« La théorie de l’univers bloc inclut toutes les choses qui sont dans le passé et le futur »
Ce livre défend une thèse sur la nature du temps dans le contexte d’un débat qui oppose deux grandes manières de penser la nature du temps : la théorie de l’univers bloc et la théorie du devenir. La théorie de l’univers bloc est une thèse selon laquelle toutes les choses de la réalité ne se réduisent pas à ce que l’on trouve dans le présent, mais que cela inclut également toutes les choses qui sont dans le passé et le futur. L’idée du livre est donc de défendre cette théorie de l’univers-bloc contre l’autre approche du temps, la théorie du devenir, qui est l’idée selon laquelle la réalité est juste le présent, un présent en devenir, en constant renouvellement, thèse très difficile à réconcilier avec la physique actuelle.
Je recommande chaudement de lire mon livre 😉 ! Il existe en fait beaucoup de choses sur l’histoire du concept de temps dans la philosophie, mais il existe peu de littérature en français qui donne une perspective contemporaine sur ce que l’on sait à l’heure actuelle de ce qu’est le temps. Pour ce qui est des ressources internet, je conseille l’Encyclopédie Philosophique qui permet de se familiariser avec pas mal de notions. J’ai notamment écrit un article sur le temps dans cette encyclopédie.
Je répondrais qu’il n’y en a pas, parce que je m’oppose à l’idée de “livres essentiels”. Il n’y a pour moi rien de réellement indispensable. On peut se former avec beaucoup d’ouvrages différents et je ne pense même pas qu’il y ait un auteur qu’il soit indispensable de connaître. Je peux par contre recommander ces ouvrages :
« La Ligne verte de Stephen King m’a énormément touché »
Il y a en a eu beaucoup. Pour me limiter à trois, je dirais La Ligne verte de Stephen King, parce qu’il m’a énormément touché. Ensuite, Rama Révélé et 2001 : L’Odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke. C’est ce qui a un peu lancé ma fascination pour la philosophie et la physique, l’idée de comprendre la réalité dans sa totalité ou essayer de comprendre pourquoi moi-même, en tant qu’être humain, je suis intéressé par des questions comme celle là. C’était le début d’une fascination pour des objets astronomiques comme les trous noirs, et pour l’envie de comprendre les origines de l’univers.