Anne-Charlotte Dagorn, coordinatrice de la consultation environnementale Big Review du Shift Project : « Nous avons besoin des lycéens ! »
Laboratoire d’idées à mi-chemin entre l’association environnementale et le centre de recherches, nous vous avions fait découvrir le Shift Project à l’occasion d’une précédente interview. L’organisation vient de lancer une grande consultation, la Big Review, pour recueillir les avis des citoyens, dont les lycéens, sur le Plan de transformation de l’économie française que le Shift Project a rédigé dans le cadre d’un projet de transition énergétique. Vivre au Lycée a rencontré sa coordinatrice, Anne-Charlotte Dagorn. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la consultation Big Review ? Une des raisons d’être du Shift Project est de réfléchir aux moyens de décarboner l’économie en réduisant notre dépendance aux énergies fossiles. Cela l’a amené à concevoir un Plan de transformation de l’économie française (PTEF). C’est dans ce contexte que les Shifters, les bénévoles de l’organisation, ont décidé d’organiser une consultation appelée Big Review, qui court jusqu’à juillet 2021. L’objectif est de faire connaitre ce Plan aux citoyen(ne)s et de les encourager à réfléchir à la société à laquelle ils aspirent, et aux modifications qu’ils sont prêts à apporter à leurs modes de vie. Nous voulons recueillir les avis de tous sur les propositions contenues dans ce Plan, pour nous assurer que celles-ci sont compréhensibles, acceptables, voire désirables. En quoi cette consultation s’adresse-t-elle aussi à la jeunesse et aux lycéens ? Nous ne voulons pas que le PTEF soit une énième étude qui finisse dans un placard, mais qu’il implique les citoyens pour co-construire un projet de société, tester son acceptabilité sociale. Nous voulons que cela soit un projet concerté sur notre société et notre économie de demain. Pour que le résultat soit représentatif de la société, nous avons aussi besoin des lycéens ! Et ils sont d’autant plus concernés qu’ils vont hériter de cette société. Il faut donc qu’ils donnent leur avis sur ce qu’ils veulent faire, comment ils veulent le faire, comment ils sont prêts à changer leurs pratiques au quotidien, et comment ils veulent que la société et l’économie évoluent. Faut-il avoir des connaissances particulières pour y participer, et notamment aux ateliers ? Non, aucune, car ce qu’on veut ce n’est pas des avis d’experts mais de citoyens. Le principe n’est pas de chercher si telle idée est vraie ou fausse (des experts nourrissent nos avis sur cette question), mais de tester si nos propositions leur semblent acceptables, donc d’avoir l’avis des gens du quotidien sur des aspects très concrets. Par exemple, faut-il diminuer la part de la viande dans nos assiettes ? Faut-il limiter les trajets aériens ? Et si oui, comment ? A quoi êtes-vous prêts pour atteindre ces objectifs ? A accepter ou non ? Dans la consultation, les citoyens peuvent aussi dire « ceci ou cela ne me convient pas, pour telle et telle raisons »… The Shift recrute-t-il aussi des Shifters parmi les lycéens ? Que faut-il faire pour devenir membre ? Oui, nous en avons besoin ! Nous avons parmi nos membres beaucoup d’ingénieurs, des étudiants aussi, mais peu de lycéens et c’est intéressant pour nous d’en accueillir davantage. Ils peuvent venir comme membres « passifs », pour s’informer, suivre nos travaux, ou comme membres « actifs », pour aider nos équipes, par exemple dans nos opérations de communication. Ce serait formidable que les Shifters aient des ambassadeurs lycéens dans les lycées, comme nous avons des ambassadeurs étudiants dans des établissements d’enseignement supérieur. Par ailleurs, nous sommes prêts à aller dans les lycées, à la demande des lycéens et/ou des enseignants, pour organiser des activités, des ateliers. Pour devenir Shifter, rien de plus simple, il suffit de se rendre sur cette page ! Pourquoi vous-êtes vous engagée dans le Shift Project ? J’ai toujours été passionnée par les problématiques environnementales. D’ailleurs mon master de Sciences po portait sur le développement durable. Aujourd’hui, je travaille chez Assystem, une société d’ingénierie spécialisée dans la transition énergétique. M’engager chez les Shifters était le moyen d’être encore plus en conformité avec mes valeurs. J’essaie d’agir au quotidien, je suis végétarienne, j’essaie de limiter ma consommation, etc. Mais cela ne me semblait pas assez et je voulais compléter cet engagement avec une action de bénévole au quotidien. Et c’est important d’agir, chacun à son échelle devant l’urgence climatique. Même si cela peut sembler peu à notre mesure, contribuer à l’émergence d’une dynamique, avec un groupe et dans une synergie, c’est constructif et ça fait du bien. C’est apaisant et stimulant de ne pas être seul(e) à s’intéresser à ces questions ! Vous vous êtes « adjoint » les services d’un auteur de science-fiction, Laurent Ladouari, qui a écrit une nouvelle, Raison d’y croire, dans le cadre de la Big Review. C’est original… Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’accompagner l’initiative par cette nouvelle ? Comme je l’ai dit, nous voulons que le Plan de transformation que nous proposons ne soit pas qu’une étude technique, mais un projet de société. Pour que les gens s’intéressent au sujet, il faut rendre les choses tangibles, concrètes. Laurent Ladouari a fait du PTEF une histoire, une ouverture sur le champ des possibles, sur ce à quoi pourrait ressembler la société et l’économie au moment de la transformation que nous prônons. Cela aide à se projeter, à se représenter concrètement à quoi « l’après » pourrait ressembler. La nouvelle est accompagnée d’un journal de fiction, avec de « vrais-faux » articles de presse du futur qui se penchent sur la société de l’après transformation. C’est très original, j’invite vos lecteurs à lire cette nouvelle ! Vous occupez une fonction de dirigeante dans une grande entreprise, en l’occurrence directrice du marketing et de la communication dans le Groupe Assystem. Vous avez notamment pour responsabilité un « Gender Diversity Programm », dont l’objectif est de promouvoir la diversité des genres dans l’entreprise. Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Assystem est une entreprise spécialisée dans les infrastructures complexes, notamment dans les domaines de l’énergie bas carbone, du nucléaire, des énergies renouvelables, ou des transports. Dans tous ces secteurs, les femmes sont sous-représentées, comme d’ailleurs dans les écoles d’ingénieurs… Et forcément à l’arrivée, peu nombreuses aux postes de dirigeantes. Partant de ce constat, Assystem a lancé il y a dix ans le programme que vous évoquez, et qui s’articule autour de trois piliers. D’abord, agir en amont avec des actions de sensibilisation et de recrutement pour encourager les jeunes filles à embrasser des carrières scientifiques et techniques. Cela peut se matérialiser par des partenariats avec des écoles supérieures, des témoignages de femmes ingénieures auprès des jeunes, des événements de recrutement au féminin, des campagnes de communication pour rendre attractives les filières scientifiques et techniques auprès des filles… Aujourd’hui, Assystem comprend 35 % de femmes dans ses effectifs, avec un objectif de 40 % en 2025. Deuxième pilier, la « fidélisation » : une fois recrutées, on fait en sorte que les femmes soient bien dans l’entreprise, qu’elles aient envie d’y rester, qu’elles y trouvent leur place malgré un environnement où il y a encore beaucoup de codes masculins. C’est pourquoi nous faisons des formations à l’inclusion, des coaching et formations sur des problématiques souvent plus spécifiques aux femmes (retour de maternité, leadership au féminin…). Enfin, dernier pilier, l’évolution de carrière, et particulièrement l’évolution vers les plus hauts postes. Cela passe notamment par des programmes de mentoring et des formations pour que les hauts potentiels féminins puissent atteindre les plus hauts postes. Quelles sont à votre avis les freins qui limitent ou freinent l’accès des filles aux carrières scientifiques, et notamment de haut niveau ? Bien que les représentations aient évolué, il y a toujours des stéréotypes dans l’imaginaire et l’éducation, et encore beaucoup de femmes pensent que les métiers techniques ou l’ingénierie ne s’adressent pas à elles. Nous devons continuer à faire changer cet imaginaire. Mais ces stéréotypes s’appliquent aussi au monde de l’entreprise. Encore aujourd’hui, dans le management, il y a des codes d’entreprise pensés avec un référentiel masculin. Cela veut dire qu’au-delà des compétences, les femmes « devraient » s’adapter à des codes. Cela peut se traduire par des choses toutes bêtes : par exemple, les femmes se font davantage couper la parole que les hommes en réunion. Autre exemple, on ne pense pas toujours à donner une promotion à une femme qui revient de congés maternité de peur que cela lui pose problème dans son organisation. Il y a toute une culture d’entreprise, voire de société à revoir. Beaucoup a déjà été fait, mais la route reste longue. Vous êtes passée par Sciences Po Paris, une grande école qui attire beaucoup mais dont l’accès est très sélectif. Quels conseils donneriez-vous à des lycéen(ne)s qui envisageraient d’être candidat(e) à l’admission ? Il faut savoir que Sciences Po Paris ne cherche pas que de très bons élèves, mais s’intéresse aussi à ceux qui ont un projet, qui ont des passions, et cela peut faire la différence lors de la sélection. Un candidat qui explique pourquoi il veut faire Sciences Po, ce que ça va lui apporter, ce qu’il veut faire de cette formation, bref, qui a un projet… Cela peut faire la différence, à compétences égales, avec des candidats plus « scolaires ». Avez-vous eu pendant vos années lycée une lecture marquante, qui a participé à votre construction, ou qui a été déterminante à un titre ou un autre ? Une lecture en particulier non, mais la lecture en général a été fondamentale. Et en termes pratico-pratiques, lire beaucoup consolide des compétences capitales : savoir écrire correctement, synthétiser, développer clairement des idées. C’est indispensable aussi pour la stimulation de l’imagination et l’ouverture sur le monde… Or, le goût de la lecture peut se perdre aujourd’hui, car nous sommes happés par d’innombrables sollicitations, numériques notamment. Je dis à vos lecteurs « ne lâchez pas la lecture ! ». C’est une source indispensable de développement personnel et professionnel. Avez-vous une citation fétiche qui vous revient régulièrement, qui vous sert dans certains moments ? « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». Cette citation de Lao-Tseu est une invitation à oser. La première chose à faire, c’est le premier pas. Comme remplir un dossier de candidature, puis le remettre ; ou postuler à un stage, ou oser demander à quelqu’un, dont le parcours ou le métier nous intéresse, de le rencontrer. La plupart du temps, les gens sont ravis qu’un jeune leur pose des questions. Une petite action aujourd’hui peut ouvrir de grandes portes demain, alors osez ! Propos recueillis par Fabien Cluzel
« Faut-il limiter les trajets aériens ? Et si oui, comment ? »
« Agir chacun à son échelle devant l’urgence climatique »
« La lecture est indispensable pour la stimulation de l’imagination et l’ouverture sur le monde »
A LIRE AUSSI SUR VIVRE AU LYCEE
Clémence Vorreux (Shift Project) : « 90 % de l’impact carbone d’un smartphone est produit lors de sa fabrication »