Et si, et si, et si… L’uchronie, les romans de l’histoire parallèle
Et si Napoléon avait gagné à Waterloo ? Et si les Européens n’avaient pas découvert l’Amérique ? Et si les Etats-Unis n’étaient pas entrés en guerre et que les Allemands avaient gagné la seconde guerre mondiale ? Ou qu’Hitler avait été assassiné en 1939 ? Et si, et si… ça s'appelle l'uchronie et ça peut être un régal à explorer !
Vous l’avez compris, un récit uchronique part d’un point de divergence historique, tel qu’un événement majeur qui ne se serait pas produit (l’assassinat de John Kennedy) ou, au contraire, d’un événement qui se serait produit (la colonisation de l’Amérique par les Vikings). L’uchronie est donc une histoire « alternative », qui aurait pu être si un moment clé de notre trame historique avait connu une issue différente de celle que nous connaissons.
A partir de là, une infinité d’histoires parallèles sont imaginables !
U-chronos, le temps qui n’existe pas
Ouvrons rapidement une parenthèse étymologique : le terme uchronie se compose du u privatif (« qui n’existe pas », comme dans utopie, « u-topos », l’endroit qui n’existe pas), et de chronos, le temps. L’uchronie qualifie donc « un temps qui n’existe pas ». Le terme, aujourd’hui internationalement employé, fût forgé par le philosophe français Charles Renouvier en 1857.
Beaucoup de romanciers, depuis des décennies, se sont plongés dans le délice de ces histoires parallèles, certains d’ailleurs avec beaucoup de talent.
Evidemment, l’histoire du 20e siècle est riche en événements prétextes à une réécriture alternative de l’histoire et, sans surprise, l’issue de la Seconde Guerre mondiale a allègrement inspiré les romanciers. Mais l’Histoire est infiniment riche en points de divergences possibles, tels que la peste noire du Moyen Âge, la chute de l’Empire romain ou la mort d’Alexandre le Grand… Vivre au Lycée vous propose son top 10 des romans uchroniques.
Le top 10 de Vivre au Lycée
Fatherland, Robert Harris
Chronique des années noires, Kim Stanley Robinson
Dans notre ligne de temps, la peste noire de 1348 a vu périr entre le quart et le tiers de la population européenne. Mais le bilan aurait pu être bien plus lourd. Dans cette uchronie qui se déploie sur 700 ans, le fléau a décimé la quasi-totalité de la population. Et c’est la Chine et l’Islam qui s’affrontent pour développer leur culture, leur pouvoir et leur science. Un roman consistant (plus de 1 000 pages), épique, érudit, et écrit dans un style remarquable.
La Porte des Mondes, Robert Silverberg
Le Maître du haut-château, Philip K. Dick
C’est un classique, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation par Amazon, The Man in the High Castle. Nous sommes aux Etats-Unis. La Seconde guerre mondiale a été remportée par les Allemands et les Japonais, qui occupent le pays. Au passage, les allemands ont développé l’arme atomique, les Russes ont perdu la bataille de Stalingrad et ont été envahis par les Japonais, tandis que l’Angleterre a capitulé. Dick fait ce qu’on appelle une mise en abyme en imaginant un écrivain qui écrit lui-même une uchronie dans laquelle les Etats-Unis et ses alliés auraient gagné la Seconde Guerre mondiale.
Le Complot contre l’Amérique, Philip Roth
Dans ce roman signé par un des plus grands écrivains américains du 20e siècle, c’est l’aviateur Charles Lindbergh – le premier à avoir traversé l’Atlantique en avion – qui est devenu président des Etats-Unis en 1941 à la place de Franklin Roosevelt. Lindbergh était, dans notre histoire comme dans cette uchronie, un héros populaire, opposé à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Allemagne, mais aussi antisémite et séduit, dans les années 30, par le régime hitlérien. Le narrateur, issu d’une famille juive du New Jersey, livre la chronique de ces années de plomb.
La Lune seule le sait, Johan Heliot
La Part de l’autre, Eric-Emmanuel Schmitt
Adolf Hitler voulait devenir un grand peintre, mais il a été recalé à l’entrée de l'Ecole des beaux-arts de Vienne. Et si, en 1908, il y avait été admis et avait épanoui ses ambitions d'artiste ? Cette biographie uchronique, qui fait défiler deux vies alternatives du dictateur, nous interroge sur l’itinéraire du mal, le destin des hommes et le poids des événements sur leurs trajectoires. C’est, à notre avis, un roman parfaitement maîtrisé. Le récit est suivi du journal qui a accompagné son écriture, dans lequel l’auteur exprime son trouble, ses doutes, mais aussi le regard des autres sur ce roman pas comme les autres.
La Machine à différences, William Gibson et Bruce Sterling
Roma Æterna, Robert Silverberg
Voyage, de Stephen Baxter
Et si John Fitzgerald Kennedy n'avait pas été assassiné ? Pour Stephen Baxter, un des plus grands écrivains britanniques de S-F, l'une des conséquences aurait été la conquête de Mars par les Etats-Unis, dans la foulée de leurs premiers pas sur la Lune en 1969.
Des mondes parallèles mais réalistes
Un des grands plaisirs que procure la lecture de ces uchronies, lorsque l’on s’intéresse à l’Histoire, c’est de s’immerger dans des mondes parallèles mais néanmoins très réalistes, car les auteurs d’uchronies sont généralement très bien documentés.
Si vous cherchez des lectures plus « confortables », la BD n’est pas en reste. On pense à la série fantastique/S-F Uchronie[s] (Glénat), mais surtout à l’excellente série Jour J éditée par Delcourt. Avec près de 40 tomes à ce jour, Jour J décline l’uchronie depuis de multiples points de divergences : alunissage des Russes, occupation de Paris par l’Armée rouge, décès accidentel du général de Gaulle en mai 1968, guerre nucléaire après la crise de Cuba (1962), crucifixion de Barrabas au lieu de Jésus, attaque de Rome par les Mongols…
Enfin, sachez que l’uchronie est prise très au sérieux par les historiens. Il y a quelques années, un collectif a publié une copieuse histoire alternative du début de la seconde guerre mondiale, Et si la France avait continué la guerre. Sur une base pointilleuse (forces militaires, ressources économiques, paysage politique…), ils ont imaginé, au lieu de la défaite et de l’armistice de la France, un retrait de ses forces en Afrique du Nord et la poursuite du combat. Attention, ce n’est pas un roman mais un essai, et la lecture des deux tomes est exigeante.
Pourquoi cet intérêt pour l’uchronie de la part de gens « sérieux » ? Parce que l’histoire contrefactuelle (nom de l’approche uchronique chez les universitaires) permet aux historiens de déconstruire les événements et leurs causes, afin de mieux en comprendre les mécanismes. A l’intention de férus d’Histoire parmi vous, le meilleur travail de vulgarisation sur le sujet est probablement Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu, de Jacques Lesourne. En excellent prospectiviste, il nous apprend à lire le passé afin de mieux penser le futur.
Mais de là à mettre l’histoire sous équations, comme le fait le personnage de Hary Seldon, inventeur de la « psychohistoire », dans le monumental roman de S-F Fondation d’Isaac Asimov, il n’y a qu’un pas que l’on se gardera bien de franchir…
Fabien Cluzel
L’assassinat de Kennedy n’aura pas lieu
Avez-vous entendu parler de 22/11/63 ? Ce roman de Stephen King eu droit à son adaptation en série télé – à ajouter à votre liste ! Il met en scène un personnage qui, découvrant une porte vers le passé, cherche à empêcher rétroactivement le meurtre de John Kennedy. Mais étrangement, le passé semble résister aux tentatives de le modifier. Et quand il reviendra dans « son » temps, le personnage prendra avec effroi toute la mesure des conséquences de ses actes… C’est très réussi, mais aussi très sombre!
Le steampunk, qu’est-ce que c’est ?
Le steampunk est un mode d’uchronie dans lequel le point de divergence s’articule autour de la révolution industrielle du 19e siècle : au lieu du pétrole, c’est le charbon et la machine à vapeur qui produisent l’énergie qui structure les activités humaines (vapeur en anglais se dit steam). Les romans steampunk sont bourrés de clins d’œil à l’histoire politique, militaire et scientifique. Et on les apprécie d’autant plus qu’on la connaît bien.
Les bibles de l’uchronie
Le Guide de l’uchronie, Karine Gobled & Bertrand Campeis, ActusSF, 346 pages, 10 euros.
L'Histoire revisitée, Panorama de l'uchronie sous toutes ses formes, Encrage, Éric B. Henriet, 415 pages, 45 euros.