Des recherches récompensées par les Ig Nobels 2024 pas si farfelues que ça…
Le 12 septembre dernier s’est tenue la 34e édition des Ig Nobel. Pour ceux qui ne connaissent pas, cette parodie des prix Nobel récompense chaque année des recherches et des découvertes scientifiques insolites et improbables. Recherches qui font rire… mais aussi réfléchir. Parmi le thèmes gagnants de cette année : des essais réussis d’oxygénation par l’anus, « l’élucidation » du sens de la pousse des cheveux, le calcul de la « vraie » probabilité qu’une pièce tombe sur pile ou bien sur face…
Les prix Ig Nobel 2024 (qui peuvent être prononcés Ignobel, un jeu de mot autour du mot ignoble en anglais et des très sérieux prix Nobel) ont en effet été décernés le jeudi 12 septembre 2024 au MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Cambridge, dans le Massachusetts. Avec cette année, le grand retour au « décor » traditionnel de la cérémonie d’origine puisque celle-ci a réuni tout le monde en présentiel, les lauréats, des « vrais » prix Nobel venus donner leurs récompenses aux premiers et un public, après quatre années d’une cérémonie qui s’est déroulée uniquement en ligne suite à la pandémie de Covid-19.
Les prix Ig Nobel sont décernés chaque fois un mois avant l’attribution des « vrais »prix Nobel dont elles sont la parodie. Ils récompensent chaque année dix recherches scientifiques. Mais si celles-ci paraissent un peu « ouf », voire inutiles, elles ne le sont peut-être pas tant que ça… Leur créateur, Marc Abrahams, éditeur et cofondateur du magazine scientifique humoristique Annals of Improbable Research (Annales des recherches improbables) avait d’ailleurs défini ainsi l’objectif de ces prix : « récompenser les réalisations qui font d’abord rire les gens, puis qui les font réfléchir ».
Nous avons sélectionné pour vous quelques-unes de ces recherches récompensées cette année.
1/ Respirer par l’anus, une option possible ?
Oui, vous avez bien lu, le prix Ig Nobel de physiologie a été décerné cette année à une équipe de chercheurs japonais, emmenée par Takanori Takebe, docteur en médecine régénérative à l’hôpital pour enfants de Cincinnati et à l’université médicale et dentaire de Tokyo, pour leur découverte surprenante selon laquelle certains mammifères peuvent respirer par l’anus. C’est en étudiant la ventilation de la loche, un poisson qui utilise ses intestins pour respirer, qu’ils ont eu l’idée de tenter l’expérience avec des mammifères en détresse respiratoire.
Ils ont mené une série d’expériences sur des souris, des rats et des porcs, et montré que ces animaux pouvaient absorber de l’oxygène liquide administré via le rectum. En fait, si la très grande majorité des cellules de mammifères obtiennent leur oxygène par le sang, lui-même oxygéné dans les poumons, quelques cellules peuvent recevoir une partie de leur oxygène par diffusion passive, dont celles situées dans la région externe de la peau. Certes, précise l’étude à ce stade, la respiration ne peut pas s’effectuer uniquement par-là, mais on pourrait imaginer, en cas d’urgence, être oxygéné par l’anus et pas seulement par les poumons. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si cette recherche a été lancée en pleine épidémie de Covid-19.
Cette recherche pourrait donc peut-être ouvrir la voie à un traitement de l’insuffisance respiratoire chez l’humain. Et elle va d’ailleurs être testée sur l’humain puisque l’équipe conduit un essai clinique de phase 1 sur des volontaires pour explorer cette approche.
2/ Les cheveux ne poussent pas dans le même sens selon que l’on soit dans l’hémisphère nord ou dans l’hémisphère sud.
Une généticienne, Marjolaine Willems, le chirurgien crânio-facial Roman Khonsari de l’hôpital Universitaire Necker-Enfants malades et son équipe ont également été récompensés en recevant de leur côté le prix d’anatomie pour leur étude sur le sens de la pousse des cheveux. Leurs recherches ont démontré que les tourbillons de cheveux appelés plus couramment « épis » se forment davantage dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord, alors que dans l’hémisphère sud, les cheveux semblent plus souvent pousser et boucler dans le sens inverse.
Pour aboutir à ce résultat qui reste néanmoins, pour ceux qui se poseraient la question du « pourquoi », « un mystère absolu » selon Roman Khonsari, ce dernier a collecté des photos d’environ 50 paires de jumeaux de même sexe et a demandé à des homologues au Chili de voir ce qu’il en était dans un autre environnement : 100 enfants chiliens ont été inclus dans l’étude et l’analyse des photos de leurs têtes a montré que les tourbillons de cheveux des jumeaux chiliens tournaient plus souvent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre que les épis de cheveux des enfants français.
3/ L’effet placebo plus efficace lorsqu’il provoque aussi des effets secondaires ?
Autre recherche qui fait sourire, mais donne aussi beaucoup à réfléchir sur la force que peut exercer notre cerveau sur la guérison. Lauréate de l’Ig Nobel de médecine, celle-ci a été menée par un chercheur allemand, un neuroscientifique de l’institut Max Planck, Lieven Schenk, avec une équipe du centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf. Elle montre que des faux médicaments (donc des placebo) sont plus efficaces s’ils provoquent des effets secondaires que lorsqu’ils n’en causent pas.
Ainsi, les patients croyant au traitement avec un vrai médicament et traités avec un spray nasal qui brûlait un peu – Lieven Schenk y avait ajouté volontairement de la capsaïcine, un composé que l’on retrouve dans les piments et qui est à l’origine de la sensation de chaleur et de brûlure en bouche – on cru à un effet secondaire et ils se sont aussi n peu mieux sentis que lorsqu’ils utilisaient un faux médicament qui ne brûlait pas. Selon ces chercheurs, qui ont publié un premier article sur cette étude dans la revue « Brain » en août 2024, ces résultats ne sont pas anodins car ils « montrent que des effets secondaires légers peuvent servir de signal pour un traitement efficace, influençant ainsi les attentes et les résultats du traitement ».
4/ Jouer à pile ou face : une probabilité de gagner vraiment de 50/50 ?
Et non, la probabilité de gagner au jeu du pile ou face ne serait pas de 50/50… Une recherche, qui s’est vue décerner le prix de la probabilité, nous apprend que la probabilité qu’une pièce tombe sur pile ou face n’est pas strictement de 50/50 : 350 757 lancers de pièces de monnaie auraient ainsi montré que ces pièces avaient en réalité 51 % de chances (50,8 % précisément) de retomber sur le même côté que leur position de départ, donc sur le côté dont la face est visible au moment du lancer.
C’est un doctorant en méthodes psychologiques et statistiques de l’université d’Amsterdam, František Bartoš, qui a mené cette expérimentation avec un groupe réunissant 49 étudiants, amis et professeurs. Pourquoi mener cette étude alors qu’un lancer de pièce est supposé être aléatoire, donc avec un résultat qui afficherait une probabilité de s’avérer juste à 50 % pour l’une ou l’autre face ? František Bartoš a voulu en fait vérifier une hypothèse qui avait été mise en avant dans un article, le fait qu’il pourrait y avoir un léger biais en faveur d’un côté : lorsque quelqu’un lance une pièce, il lui donne une légère oscillation par rapport au centre, ce qui fait qu’elle reste plus longtemps en l’air avec le côté de départ vers le haut. Mais l’effet étant très faible, il fallait un grand nombre de lancers pour pouvoir permettre à ce léger biais de se manifester. Le biais semble avoir été vérifié, mais on peut retenir aussi que les volontaires n’avaient pas non plus trop peur de perdre du temps car cela aurait pris pas moins de 650 heures à ces expérimentateurs de lancer ces plus de 350 000 pièces…
5/ Prix de la paix : des pigeons pour diriger des missiles
Enfin, le prix de la paix a été décerné au psychologue B. F. Skinner pour avoir étudié la possibilité d’utiliser des pigeons vivants pour guider des missiles, en plaçant ces volatiles à l’intérieur. C’est sa fille qui a accepté le prix pour son père, décédé en 1990, qui avait sérieusement étudié cette idée dans les années 1940 dans le cadre d’un programme de recherche mené pendant la Seconde Guerre mondiale. Si l’idée n’avait pas été retenue, B. F. Skinner avait néanmoins détaillé son approche dans un article paru en 1960.
Un prix avec des effets malgré tout tangibles ?
Et si ces prix ne s’avéraient pas non plus si inutiles que ça ? Certes, les lauréats gagnent un faux billet zimbabwéen de 10 000 milliards de dollars et un certificat signé par de vrais lauréats du prix Nobel, mais ils bénéficient quand même souvent, en acceptant cette récompense, d’une publicité et d’une notoriété qui peuvent les aider à poursuivre leurs recherches : en attirant par exemple d’autres chercheurs, d’autres laboratoires, des industriels, des financeurs…
Les plus curieux d’entre vous peuvent découvrir tous les Ig Nobel depuis leur création sur le site qui leur est dédié https://improbable.com/ig/winners/.