Du soleil et de l’urine animale pour produire de l’acier ? C’est possible !
S’affranchir du charbon pour produire de l’acier, donc tendre vers une production décarbonée tout en prenant en compte la raréfaction des ressources ? C’est possible ! Des recherches sont déjà menées en ce sens.
Une équipe de chercheurs à Toulouse vise à mettre au point un procédé plutôt original, puisque celui-ci s’appuierait sur deux ressources naturelles renouvelables, le soleil et l’urée animale. Une substance que l’on rencontre dans le sang et l’urine des carnivores…
L’acier est partout. Dans le bâti, dans la construction métallique, pour renforcer des fondations, servir de « squelette » aux bâtiments en béton, aux ponts, aux plates-formes pétrolières…. Il sert aussi à habiller les façades et les toitures. Il est présent dans les voitures (châssis, carrosserie, pièces de moteur, de direction, de transmission, ligne d’échappement, carcasse de pneu…). On le retrouve dans les outils, les vis, les équipements de chantier ou encore dans la tuyauterie… Les boîtes de conserve, les trombones, les supports de puces électroniques sont également en acier. Inaltérable et parfaitement neutre vis à vis des tissus humains, l’inox se fait aussi prothèse, pour la hanche, le genou…, ou encore bistouri…
Bref, l’acier est à l’origine d’une infinité de produits élaborés par l’industrie humaine, de l’objet usuel à l’instrument le plus sophistiqué, du microscopique (pièce de moins d’un gramme dans les micromoteurs de montres électriques) au gigantesque. Et depuis la révolution industrielle, il a permis de décupler les activités de la société. Société qui ne pourrait, aujourd’hui, plus s’en passer.
Actuellement, cet acier est créé, dans une grande majorité des cas et pour sa première phase qui consiste à produire de la fonte liquide, dans un haut fourneau, à partir de minerai de fer ou de ferraille (des chutes de métal) et de coke (du carbone presque pur extrait du charbon) à de très hautes températures (au-dessus de 1400 °C). Or, cette production constitue un vrai problème à l’heure où les enjeux en termes de transition écologique sont énormes. Pourquoi ? Parce que le charbon, à partir duquel l’acier est donc produit en grande majorité, est une énergie fossile, donc épuisable, mais aussi une énergie combustible extrêmement nocive pour le climat.
L’urée animale comme matériau réducteur et le soleil pour l’énergie thermique
Si des chercheurs et des industriels essaient d’imaginer d’autres moyens de le produire en s’affranchissant totalement de l’énergie fossile, donc du coke – des entreprises suédoises et finlandaises, unies autour du projet Hybrit, cherchent par exemple à produire un acier en remplaçant le coke par de l’hydrogène produit à partir d’une source d’électricité décarbonée, l’hydro-électricité -, des chercheurs à l’INSA Toulouse explorent de leur côté une voie alternative originale : produire de l’acier en se servant d’urée animale et du soleil. Ce procédé s’appuierait donc sur le rayonnement solaire comme source d’énergie et sur de l’urée animale en tant qu’agent réducteur du minerai de fer.
Le choix de l’urée et du soleil, explique Sébastien Lachaize, l’un des deux chercheurs qui pilotent ce projet original baptisé Metasol, a été dicté par une conviction, à savoir la nécessité de s’orienter vers des modes de production éco-responsables, et deux raisons simples : ce sont des ressources naturelles et on peut les trouver partout dans le monde (à de rares exceptions près pour le soleil). « L’urée, qui peut se décomposer en hydrogène sous certaines conditions, est un réducteur chimique bio-sourcé [donc issu du vivant, ndlr] et ne dégage pas de CO2 » explique Sébastien Lachaize. Idem pour le soleil : c’est une énergie naturelle et elle peut servir à « atteindre les hautes températures nécessaires pour obtenir la réduction du fer, via un procédé permettant un rayonnement solaire concentré ». Ceci consiste à se servir de miroirs pour renvoyer tous les rayons en un seul point (dans ce cas précis, vers le réacteur de la réduction) afin d’accumuler l’énergie du rayonnement solaire.
Pourra-t-on en produire suffisamment pour répondre à tous les besoins de la société ?
D’ores et déjà, après des premières expérimentations menées en laboratoire, donc à petite échelle, ces chercheurs du LPCNO (Laboratoire de physique et chimie des nano-objets), peuvent répondre que, oui, c’est possible. En revanche, la deuxième question qui se pose, et sur laquelle cette équipe poursuit ses recherches actuellement, c’est « pourra-t-on produire suffisamment d’acier avec ce procédé, donc à grande échelle ? ». Une question d’autant plus importante que ce matériau est devenu un maillon essentiel de la société depuis la révolution industrielle, comme Julian Carrey, le deuxième chercheur qui pilote le projet, avait pu l’évaluer à l’occasion de ses précédentes recherches menées sur l’histoire des techniques.
Après avoir vérifié que le concept fonctionne à l’échelle du laboratoire, les chercheurs s’attellent donc à évaluer la productivité d’un tel système, en travaillant avec une autre équipe de recherche spécialiste du solaire à concentration, du laboratoire PROMES (Procédés matériaux et énergie solaire), qui dispose de plusieurs concentrateurs sur le site d’expérimentation d’Odeillo, situé à Font-Romeu, dans le département des Pyrénées-Orientales. L’étape suivante visera par ailleurs à évaluer son impact sur l’environnement, le climat, la santé, etc. D’où le rapprochement, aussi, avec des spécialistes de l’analyse des cycles de vie des procédés de TBI (Toulouse Biotechnology Institute).
Voir à plus petite échelle, mais beaucoup plus loin
Si les travaux ne sont pas finis, Sébastien Lachaize reconnaît que ces derniers ont de fortes chances de montrer que le niveau de production sera certainement « moindre » que celui que permet d’atteindre aujourd’hui la métallurgie traditionnelle. Mais cela ne signifie pas nécessairement que cette voie de production est à exclure. Car l’objectif premier n’est pas là, explique-t-il. « Nous avons d’autres critères que le rendement ou la productivité », explique le chercheur. « Nous pensons qu’aujourd’hui la métallurgie avec des ressources fossiles n’est pas pérenne. Ce travail s’inscrit donc dans un projet plus global : réfléchir à un système technique compatible avec une société pérenne, équitable et conviviale. » Pour lui, ce qui importe donc :
- Produire juste suffisamment pour assurer la viabilité de cette production ; c’est la pérennité ;
- Rendre ce système de production accessible partout et à tous ; c’est l’équité et la convivialité.
Crédit photo : Christophe Dion-Unsplash