Entretien avec Émilie, une prof de japonais
Vous adorez les mangas et les anime et vous rêvez du Japon toutes les nuits ? Apprendre le japonais vous tente mais vous fait aussi un peu peur ?
Nous sommes partis à la rencontre d’Émilie, une professeure française de japonais (et d’anglais) qui a vécu de longues années au Japon. L’occasion de non seulement en savoir plus sur l’apprentissage de cette langue fascinante mais aussi de glaner de précieux conseils pour se lancer.
Comment est née ton envie d’apprendre le japonais ? À quel âge as-tu commencé ?
J’ai grandi dans les années 90 et comme tous les enfants de mon âge, j’ai été bercée par le Club Dorothée sur TF1. C’est grâce à ce programme que j’ai découvert l’univers des anime japonais. À la maison, nous avions une console de jeux vidéo, la Sega Megadrive, et puis à mon entrée au collège, la PlayStation 1 avec comme premier jeu un certain Final Fantasy VII.
Adolescente, je me suis intéressée aux mangas. Le style me plaisait tellement que je dessinais des personnages manga et m’amusais à inventer des kanjis.
Une fois le bac option Scientifique en poche, je voulais faire quelque chose de plus « léger » et à l’opposé de ce que j’avais étudié jusqu’alors. N’ayant pas eu de vocation professionnelle particulière à 18 ans, je me suis concentrée sur ce qui m’animait depuis l’enfance : la culture japonaise. L’université Toulouse – Jean Jaurès proposait et propose encore une licence de LLCE (Langues Littératures et Civilisations Étrangères) option Japonais. J’ai donc posé mes valises à Toulouse pour entamer mon aventure linguistique.
Tu as d’ailleurs vécu au Japon. Peux-tu nous parler de ton expérience ? Qu’est-ce qui t’as séduit de prime abord dans ce pays ? Le décalage avec la France est-il aussi important qu’on le dit parfois ?
Oui, 11 ans au total. J’ai d’abord découvert le Japon avec deux amies. Puis, j’ai eu l’opportunité d’y retourner avec un programme d’échange universitaire d’un an une fois ma licence validée. J’avais choisi l’université des Ryûkyû de la belle île d’Okinawa. Une fois rentrée en France, j’avais fait les démarches pour y repartir le plus rapidement possible avec le visa vacances-travail. Encore un retour en France un an après mais l’appel de l’île s’était rapidement fait ressentir à nouveau. J’ai repris l’avion 3 ans plus tard. Cette fois-ci, j’y suis restée 9 ans. J’ai fait 1001 boulots : serveuse, comédienne voix off pour audio-guides français de musées et publicités, enseignante d’anglais dans des écoles professionnelles ou encore primaires, modèle photo, figurante pour publicités, coordinatrice pour les Jeux Olympiques et Paralympiques etc. Des boulots que je n’aurais jamais pu imaginer faire en France pour la grande majorité.
Pour moi, et pour beaucoup aussi, être au Japon, c’est comme se retrouver sur une autre planète. Absolument tout y est différent : la culture, la langue, l’architecture, la faune, la flore, les voitures, les manières, les bruits, les odeurs, les saveurs etc. On s’émerveille d’un rien et chaque jour est rempli de découvertes. Même après plusieurs années au Japon, je trouvais toujours ce petit détail amusant qui n’existe pas en France.
« Ce qui frappe le plus, dès l’arrivée à l’aéroport, c’est le comportement des Japonais. Il faut savoir que c’est un pays qui prône la pensée collective plutôt que l’individualisme. Alors vous pouvez être certains que la qualité de leur service est ce qui se fait de mieux. La politesse, le respect et la loyauté sont des valeurs fortes que l’on apprécie tous les jours. »
Ensuite, la propreté des espaces publics. On la leur enseigne dès l’école primaire en leur faisant nettoyer leur classe après le repas du midi, repas servi par les élèves eux-mêmes d’ailleurs. Ce n’est pas une légende et je peux le confirmer : les Japonais sont les champions des toilettes publiques propres (et il y en a partout)!
Ils ont également ce don de rendre tout objet pratique. L’esthétique importe peu tant que l’objet est simple à utiliser, qu’il nous fait gagner du temps et qu’il nous rend la vie plus facile. C’est fascinant au point de se dire: « Mais comment ont-ils pu penser à ça et pas nous ? ».
Le Japon a bien un gros décalage avec la France mais je crois aussi avec le reste du monde. La France et le Japon sont deux nations qui s’admirent mutuellement. Les Japonais envient notre franc parler, notre désinvolture, nos longues vacances comme on s’émerveille de leur sens exemplaire du service, du respect et de la discipline. C’est comme si ces deux pays se complétaient quelque part et c’est ce qui explique aussi, je pense, un attrait réciproque.
Est-il d’après toi indispensable d’effectuer des séjours linguistiques pour vraiment parvenir à devenir bilingue ?
Pour découvrir la langue dans son vrai environnement, les voyages linguistiques sont évidents. Et je pense que c’est primordial de se confronter à cette réalité afin de mieux poursuivre son apprentissage par la suite. Mais ce n’est pas forcément pour autant que l’on devient bilingue. On peut tout à fait aller étudier au Japon un an, revenir en France et oublier la majorité de ce que l’on a assimilé pendant le séjour si on ne continue pas d’étudier par la suite. L’apprentissage d’une langue étrangère, comme beaucoup d’autres apprentissages, ce n’est pas comme le vélo : il faut une discipline de fer pour pouvoir entretenir et améliorer ses compétences afin d’atteindre un niveau avancé. C’est connu, le cerveau a tendance a oublier très rapidement.
Quand nous n’avons pas les moyens ou l’opportunité de faire des séjours linguistiques, il faut faire venir le Japon chez soi en s’y immergeant à travers les mangas, les anime, la musique, les vidéos, les podcasts, les livres ou les vidéos d’apprentissage etc. Aujourd’hui avec Internet, il est tellement plus facile de se procurer des supports pédagogiques numériques et d’avoir accès à la culture japonaise en seulement quelques clics! Il faut penser, respirer japonais, s’intéresser à l’Histoire du Japon, comprendre ses mœurs, ses valeurs, échanger avec d’autres apprenants et bien sûr, si l’on peut, pratiquer la conversation avec des Japonais natifs.
Existe-t-il en France des endroits, comme des clubs ou des associations, pour échanger en japonais avec d’autres personnes, apprenants ou natifs ?
Oui. À l’université Toulouse – Jean Jaurès par exemple, il y a une association étudiante franco-japonaise et il en existe dans bien d’autres universités. Il existe également l’association France-Japon dans la ville rose, des événements comme le Toulouse Game Show ou La Quinzaine du Japon en Occitanie où des rencontres avec des apprenants et natifs du Japon sont possibles.
Les programmes d’échanges permettent notamment de faire venir de nombreux élèves et étudiants japonais dans les lycées et universités concernées pour quelques semaines voire une année.
Des événements autour du Japon existent partout en France et ce n’est pas chose rare. Pour savoir s’il y en a pas loin de chez soi, il est possible de se renseigner en ligne sur les sites des mairies voire même de l’ambassade ou des consulats du Japon. Il existe aussi des groupes de discussion sur Facebook ou autres réseaux sociaux où l’on peut échanger avec d’autres apprenants sur le Japon et l’apprentissage de la langue. Il faut bien sûr trier et se pencher sur des groupes sérieux qui proposent vraiment des partages de connaissances.
Le japonais a la réputation d’être une langue difficile. Ne serait-ce qu’à cause de l’alphabet, qui n’a rien à voir avec le notre. Qu’en penses-tu ?
Il est vrai que le japonais est réputé pour avoir un système d’écriture relativement difficile. De plus, il ne se contente pas d’un mais de quatre systèmes : les hiragana et les katakana (les kana), les kanjis et les rômajis. Pour essayer de faire simple, les kana sont des caractères japonais qui forment un syllabaire avec les mêmes sons mais des écritures différentes. On les utilise quand aucun mot japonais ne correspond à un kanji. Les kanjis sont des caractères d’origine chinoise. Ils peuvent à eux seuls correspondre à un mot ou une partie de mot. Les rômajis sont simplement les caractères de l’alphabet latin (comme l’alphabet français ou anglais), aussi utilisés dans la langue japonaise.
Quand je m’étais inscrite à l’université, on m’avait remis un CD-ROM avec un logiciel d’apprentissage (l’ancêtre d’une application) des hiragana et katakana à apprendre par cœur pendant les vacances d’été. C’est la toute première étape tant redoutée dans l’apprentissage du japonais.
Pour ce qui est de l’assimilation des kanji, elle vient généralement une fois la base des kana solidement acquise. La liste officielle des kanji d’usage général (apprise depuis le primaire jusqu’au lycée) en compte 2 136. Mais on peut évidemment bien comprendre, lire, et parler le japonais et même vivre au Japon sans les connaître tous.
En ce qui concerne les techniques d’apprentissage de l’écriture japonaise, il en existe évidemment plusieurs: les flashcards avec des mnémoniques (un kana ou kanji = une image mentale ou son) ou sans, les fiches avec des lignes de kana et kanjis à tracer, les quiz en ligne, les applications sur smartphone etc. Aujourd’hui, il y en a pour tous les goûts !
Il est vrai que ce n’est pas un exercice facile. Beaucoup de ceux qui n’avaient pas mesuré l’ampleur du travail abandonnent avant même d’avoir commencé l’étape des kana. Mais quand on est passionné(e), motivé(e) et TRÈS patient(e), cela devient beaucoup plus aisé. Et quand on commence à pouvoir lire ne serait-ce que quelques kana et kanjis par-ci par-là et par la suite des mots et une phrase complète, alors la machine est lancée.
Tu enseignes aujourd’hui le japonais. Quelles sont les motivations les plus récurrentes qui poussent tes élèves à venir frapper à ta porte ?
Il y a ceux qui, comme moi initialement, sont tout simplement fans de mangas et anime japonais, ceux qui veulent apprendre quelques phrases pour pouvoir « survivre » lors de leur premier ou énième voyage au Japon, ceux qui y habitent et veulent améliorer leurs capacités à l’oral pour le travail ou la vie quotidienne, ceux qui veulent passer le JLPT (Japanese Language Proficiency Test), ceux qui ont des origines japonaises mais qui n’ont pas eu l’opportunité d’apprendre la langue au sein de leur famille, des conjoints de Japonais(e)s ou encore des polyglottes qui veulent apprendre une nouvelle langue.
Mes élèves sont de tous âges et de contrées différentes. J’ai principalement des apprenants francophones et anglophones qui préfèrent apprendre les bases du japonais avec un(e) enseignant(e) non natif/native qui peut tout leur expliquer dans leur langue maternelle ou secondaire et ainsi, faciliter le processus. Cependant, je leur conseille, une fois à l’aise dans leur progression, de se lancer dans l’aventure avec un(e) enseignant(e) japonais(e).
La France est le deuxième pays au monde en ce qui concerne la consommation de mangas. Vouloir lire des mangas et regarder des anime en version originale sont-il pour toi des motivations suffisantes pour parvenir à maîtriser le japonais ?
C’est la motivation numéro 1 pour la majorité des futurs apprenants et ce fut un peu la mienne aussi donc oui, pourquoi pas ? Je pense que plus on avance dans l’apprentissage, plus on découvre d’autres intérêts ou buts tels que lire le journal, des romans, écrire, chanter en japonais, regarder des dramas et films sans sous-titres … Et il est très important à mon avis de travailler équitablement les 4 compétences linguistiques (compréhension orale et écrite et production orale et écrite) si l’on veut atteindre la maîtrise de la langue japonaise.
Et d’ailleurs, en ce qui concerne la culture (musique, cinéma, littérature ou arts graphiques), quelles œuvres conseillerais-tu à quelqu’un qui veut se familiariser avec le Japon ?
Je ne vais pas être très originale mais je conseillerais à 100% les films d’animation du grand Hayao Miyazaki du Studio Ghibli, du célèbre Takeshi Kitano, les œuvres d’écrivains contemporains comme Toshikazu Kawaguchi ou encore Haruki Murakami et pour les plus classiques, les romans de Natsume Sôseki ou de Yasunari Kawabata, entre autres.
Les plate-formes de streaming proposent aussi des anime et dramas qualitatifs pour tous les genres mais j’ai un faible pour l’excellent drama My Boss, My Hero avec l’acteur Tomoya Nagase. Il y a un anime à l’apparence très « kawaii » (mignonne), Agressive Retsuko, qui aborde des thèmes matures et réalistes en nous livrant en toute transparence et beaucoup d’humour les bons et mauvais côtés de la société japonaise. Côté musique, je pense aux chanteuses Hikaru Utada et Anna Tsuchiya, au groupe X-Japan pour découvrir le heavy metal japonais classique. L’arc-En-Ciel est aussi l’un des groupes de rock alternatifs les plus populaires. Nujabes était un DJ japonais très apprécié qui a laissé derrière lui des morceaux alternatifs/indé et hip-hop/rap. La chaîne YouTube The First Take est une bonne source pour découvrir des artistes et groupes japonais.
« Aujourd’hui, encore une fois grâce à Internet, il est très facile de trouver de quoi découvrir le Japon et il y en a pour absolument tous les goûts. »
Quels conseils donnerais-tu à une personne qui veut se lancer et apprendre le japonais ? À plus forte raison si cette personne étudie dans un lycée qui ne propose pas cet enseignement…
Je dirais d’abord de commencer par l’apprentissage des kanas (hiragana et katakana). Nombreux sont ceux qui voudraient brûler cette étape cruciale pour n’apprendre le japonais qu’avec les rômajis mais malheureusement, cela reste très limité et au bout d’un moment, il est impossible de progresser.Ensuite, une fois les kanas assimilés, prendre des cours avec un(e) enseignant(e) au moins 1 fois par semaine et étudier si possible tous les jours au moins 15 à 30 minutes entre les leçons. C’est l’implication régulière dans l’apprentissage qui donne des résultats. Il existe plusieurs plate-formes d’apprentissage de langues en ligne comme italki (que j’utilise pour enseigner le japonais) qui proposent des leçons personnalisées et privées avec des enseignant(e)s professionnel(le)s ou tuteurs en japonais. Sinon, il existe aussi des cours de japonais en groupe proposés par des associations ou particuliers.
Puis, encore une fois, il est important de se créer un environnement japonais chez soi pour une immersion maximale, de trouver d’autres apprenants avec qui partager vos connaissances et de rencontrer des Japonais natifs avec qui pratiquer votre expression orale.
Il est essentiel de se fixer un but afin de pouvoir maintenir un certain rythme, entretenir sa motivation et véritablement progresser. Certains par exemple, se donnent le défi de passer le JLPT (Japanese Level Proficiency Test). Et puis surtout, de partir à l’aventure au Japon. Car, après tout, ne serait-ce pas l’objectif ultime ?
La passion, la détermination et l’autodiscipline sont des valeurs essentielles pour arriver à la maîtrise d’une langue. Les phases de frustration, de stagnation et de découragement existent mais sont tout à fait naturelles et passagères. La patience et la bienveillance envers soi-même et les difficultés rencontrées sont donc les meilleures alliées dans cette aventure de l’apprentissage du japonais. Bon voyage linguistique!
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