Épicurisme et stoïcisme : quelles différences ?
Épicurisme et stoïcisme sont deux courants philosophiques hellénistiques qui partagent une quête commune : la recherche de l’ataraxie (l’absence de trouble) qui correspond à un état de tranquillité de l’âme. Si elles partagent un objectif commun, ces deux philosophies ont aussi d’importants points de divergence. Épicurisme et stoïcisme, quels points communs et quelles différences ? On vous dit tout !
On doit l’épicurisme à Epicure (341-270 av. J.-C.), un philosophe de la Grèce antique qui a fondé l’école épicurienne à Athènes nommée l’école du Jardin. Le stoïcisme nous vient quant à lui de Zénon de Kition (334-262 av. J.-C.), également philosophe grec.
Si épicuriens et stoïciens partagent la même quête, celle du bonheur, leur méthode pour l’atteindre est différente, car la source de la misère humaine n’est pas la même pour l’un et pour l’autre. Les stoïciens considèrent qu’elle est provoquée par la recherche du plaisir et de l’intérêt égoïste, tandis que les épicuriens la pensent provoquée par la recherche de faux plaisirs. Pour bien comprendre comment cette considération des racines de la misère humaine impacte la façon de rechercher le bonheur, il faut entrer plus en profondeur dans chacun de ces courants philosophiques.
Les stoïciens et la vertu
Commençons par nous pencher sur le stoïcisme. Les stoïciens considèrent que l’homme est conditionné par son destin et qu’un grand nombre de choses dans sa vie lui échappent : vous ne choisissez pas de naître beau ou laid, riche ou pauvre, vous n’avez pas de contrôle sur la maladie ou sur la mort, etc. Nous sommes tous en permanence livrés aux accidents de la vie et à ses aléas. Il en résulte, pour les stoïciens, que les hommes sont malheureux car ils cherchent à avoir le contrôle sur des choses sur lesquelles ils ne peuvent pas en avoir. Une chose (une seule) dépend de nous, c’est notre volonté de faire le bien et d’agir conformément à la raison. C’est dans cette volonté de faire le bien que l’homme trouve la liberté, l’indépendance, l’invulnérabilité et la cohérence avec lui-même.
Les stoïciens opèrent une distinction entre ce qui est « moral » et ce qui est « indifférent ». Est indifférent ce qui ne dépend pas de nous, ce dont nous parlions plus haut : l’enchaînement nécessaire des causes et des effets, le destin, la vie et la mort, la santé et la maladie, le plaisir et la souffrance, la beauté et la laideur, la richesse, la gloire, etc. La seule chose qui n’est pas indifférente et qui donc dépend de nous est l’intention morale, qui engage l’homme à se modifier lui-même et à modifier son attitude à l’égard du monde.
Les épicuriens et le plaisir
Allons maintenant voir du côté des épicuriens. Cette citation d’Epicure vous donne les grandes lignes des fondements de ce courant philosophique : « Voix de la chair, ne pas avoir faim, ne pas avoir soif, ne pas avoir froid ; celui qui dispose de cela, et a l’espoir d’en disposer à l’avenir, peut lutter même avec Zeus pour le bonheur ».
Si pour les stoïciens les hommes sont malheureux car ils n’ont pas de prise sur la grande majorité des éléments de leur vie, les épicuriens considèrent que le malheur des hommes vient de ce qu’ils ignorent le seul plaisir véritable : le plaisir d’exister. Leur insatisfaction et leur douleur sont liées à la recherche de plaisirs non-nécessaires qui sont insatiables et qui, arrivés à un certain degré d’intensité, redeviennent des souffrances. Ces plaisirs « mobiles » sont à distinguer du plaisir “stable”, qui correspond à l’état du corps apaisé et sans souffrance quand il n’a ni faim, ni froid, ni soif. Cet état de suppression de la souffrance est un état de tranquillité de l’âme et d’absence de trouble qui rend l’homme libre de prendre conscience du plaisir de son existence.
Pour atteindre ce plaisir stable, la méthode consiste en un ascèse des désirs, qui se fonde sur la distinction entre :
- les désirs naturels et nécessaires qui correspondent aux besoins élémentaires (ce qui vous sert à vous maintenir en vie), dont la satisfaction délivre d’une douleur ;
- les désirs naturels mais non-nécessaires, dont vous ne dépendez pas pour survivre mais qui sont bons pour vous avec parcimonie (vouloir manger quelque chose qui vous fait vraiment plaisir gustativement, au-delà de l’aspect nécessaire de l’alimentation, par exemple) ;
- les désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires, qui sont des désirs vides comme ceux de la richesse, de la gloire ou de l’immortalité.
Cet ascèse consiste donc à supprimer les désirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires, à limiter le plus possible ceux qui sont naturels mais pas nécessaires et à satisfaire les besoins fondamentaux de l’être. En somme, il s’agit de se contenter de ce qui est nécessaire et de renoncer à ce qui est superflu.
Mort et monde physique
Parmi les enseignements des deux courants philosophiques, un autre point est très important à aborder : le rapport à la mort.
Pour vivre heureux il faut, selon les enseignements de l’épicurisme, se débarrasser de la peur. Or, il n’existe pas de peurs plus puissantes que celles de la mort et des dieux. Pour les épicuriens, le monde est composé de vide et d’atomes qui s’agrègent et se désagrègent de manière imprévisible. Ces atomes sont des éléments insécables et inaltérables et ils composent toute la matière du monde, dont notre corps et notre âme. Lorsque nous mourrons, ces atomes qui composent notre âme se recomposent ailleurs dans d’autres configurations. Il est résulte nécessairement que la mort n’est rien pour nous, ce qui nous débarrasse de cette première peur existentielle. Quant aux dieux, il n’y a pas non plus de raisons de les craindre, car si l’on s’en réfère à cette vision atomiste du monde, l’univers est dû au hasard, à des combinaisons aléatoires d’atomes, ce qui implique donc que les dieux ne sont pas intervenus dans sa création et qu’ils sont indifférents au sort des hommes.
Comme chez les épicuriens, l’étude du monde physique a, chez les stoïciens, une finalité éthique. Elle apprend à l’homme à reconnaître que certaines choses ne dépendent pas de lui mais bien de causes extérieures et qui s’enchaînent de manière nécessaire. Il n’y a donc pas de hasard, mais bien un destin car chaque événement est la conséquence d’une cause antérieure. Ainsi, il faut pouvoir se détacher de la peur de la mort, qui est la plus angoissante des idées et donc un frein à la sérénité, car celle-ci fait partie du cours naturel des choses. Il est dans notre nature de mourir, il faut donc se libérer de cette peur et, pour ce faire, s’y confronter.
« Qu’est-ce que mourir ? Si l’on envisage la mort en elle-même, et si, divisant sa notion, on en écarte les fantômes dont elle s’est revêtue, il ne restera plus autre chose à penser, sinon qu’elle est une action naturelle ». Pensées pour moi-même, Marc Aurèle
Ce qu’il faut retenir
Épicurisme et stoïcisme sont deux courants philosophiques hellénistiques dont l’objet est la quête du bonheur. Les épicuriens considèrent que pour être heureux il faut chercher à éviter la douleur et rechercher le plaisir, à condition que celui-ci ne soit pas en excès et qu’il se limite à des besoins naturels. C’est par l’ascèse des désirs que l’on peut atteindre l’ataraxie (l’absence de trouble). Pour les stoïciens, la source du bonheur se trouve dans la vertu. Il faut apprendre et comprendre que certaines choses ne dépendent pas de moi et ne pas les laisser m’atteindre et me désespérer. En revanche, ma volonté de faire le bien dépend de moi et c’est grâce à cette volonté que je peux vivre en cohérence avec moi-même.
Citations
« Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y en a d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépend de nous, ce sont nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions : en un mot, toutes les œuvres qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est notre corps, c’est la richesse, la célébrité, le pouvoir ; en un mot, toutes les œuvres qui ne nous appartiennent pas. » Manuel, I, 1 – Epictète
« Tous ces enseignements, médite-les donc jour et nuit et à part toi et aussi avec un compagnon semblable à toi. Ainsi tu n’éprouveras de trouble ni en songe ni dans la veille, mais tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Habitue-toi à vivre dans cette pensée que la mort n’est rien pour nous. » – Lettre à Ménécée, Epicure
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Crédit photo : Zénon de Kition-Shakko-Wikimedia