En seconde, j’ai compris que je jouais les 50 prochaines années de ma vie
Vous êtes aussi écrivain, avec trois romans à votre actif. L’un d’entre eux, Un père en colère, évoque les relations difficiles qu’un père peut avoir avec ses enfants. Quels constats, quels sentiments vous ont amené à écrire sur ce sujet ?
Je suis passionné de littérature depuis mon adolescence, et j’ai franchi le pas il y à 10 ans.
Un père en colère est mon second roman édité. Je l’ai écrit non par projection d’une situation personnelle, mais par révolte devant l’accroissement de la violence et de la brutalité dans les rapports humains. A l’époque, j’avais identifié une lente et irrésistible inversion des valeurs depuis des décennies qui rendait l’éducation des enfants extrêmement difficile. Au fond, ce père en colère qui créé un blog pour hurler ses douleurs a compris que jamais, dans l’histoire humaine, la société n’a été autant l’ennemi des tentatives de créer des êtres éclairés, bienveillants et doté d’un sens critique. A l’époque, je venais d’avoir mes deux enfants. J’ai compris que le chemin serait ardu !
Dans ce roman, vous semblez déplorer aussi, à travers le personnage du père, que la société de consommation se soit éloignée des valeurs éducatives et humanistes, ou encore que la représentation de la violence (notamment dans les films) se soit banalisée…
Absolument. Les parents doivent se battre sur tous les fronts : pour garder leur job, contre la société de consommation qui transforme leur progéniture en grignoteurs matérialistes, contre les dérives des réseaux sociaux, contre l’hyper-violence importée des US et finalement contre une sourde tendance qui a vu depuis les années 70 l’enfant roi magnifié et l’autorité devenir honteuse. La femme du père en colère, est professeure. Elle aussi doit se battre au collège contre cet ensauvagement où la nuance et la raison disparaissent au profit de la puissance du groupe, des Fake News ou de celui qui crie le plus fort. Le « tout se vaut » a détruit tous les référentiels et la « verticalité » pourtant si nécessaire. Jeunes, nous avons besoin de cadre et aussi de « héros ». Désormais, parents et professeurs constituent des remparts fragiles face à la puissance de l’image et l’immédiateté des désirs. Hanouna est plus prisé que
Sylvain Tesson [écrivain voyageur, NdlR]…
Comme je n’étais pas doué, j’ai beaucoup travaillé
Fils d’agriculteur, vous êtes aujourd’hui à la tête d’un groupe de plus de 300 salariés. En quelques mots, quel est votre parcours scolaire ?
Mon père m’a transmis le socle : la fidélité de la parole donnée, l’exigence du travail bien fait, la résilience, la volonté et la tolérance aux autres. Mes professeurs ont été mon levier, ils m’ont tiré vers le haut, et je peux dire que j’ai eu la chance de vivre à l’époque à laquelle l’ascenseur social fonctionnait mieux qu’aujourd’hui.
Jusqu’en 3
e, j’étais un élève très moyen, façon 11 de moyenne, un peu d’indiscipliné (un entrepreneur au fond est toujours un peu indiscipliné). Puis, en seconde, j’ai compris qu’en 4 à 5 ans, j’allais jouer les 50 prochaines années de ma vie. J’ai voulu gagner au grand jeu du réel, le seul qui soit palpable et qui procure les plus grandes joies. Comme je n’étais pas doué, j’ai beaucoup travaillé. J’ai fait une terminale scientifique où je voyais des élèves qui comprenaient tout, tout de suite. Je le dis à ceux qui me liront qu’il ne faut pas en être jaloux. Les parcours professionnels des besogneux et des courageux sont bien souvent plus réussis que ceux qui, doués, n’ont pas à apprendre l’effort.
J’ai décidé de faire un cursus scientifique car la littérature étant une passion, je ne voulais surtout pas en faire mon métier. Et les mathématiques portaient en elle un mystère que je ne saisissais pas. A tous ceux qui ne comprennent pas à quoi servent les maths, je dirais avec le recul qu’elles servent tout simplement à rendre plus intelligent. Elles nous forcent à manipuler des symboles, et elles accroissent notre « CPU » [processeur] et la taille de notre « mémoire vive », si je fais une analogie avec un ordinateur.
Après mon bac, j’ai fait une prépa Math sup-spé, puis je suis devenu ingénieur Télécoms, et ensuite, conscient de mes talents désastreux de développeur informatique, je me suis orienté vers le commerce. J’ai passé un concours pour intégrer HEC en seconde année. En troisième année, j’ai rencontré Fréderic, mon associé depuis 27 ans, et nous avons monté notre première entreprise, Planète Interactive, qui réalisait des sites internet avant de créer la seconde, Teaminside, en 2011.
Quel rapport entretenez-vous avez le français et la littérature en général ?
Un rapport puissant, intime. Je voue à la littérature une admiration sans limite. La culture offre un champ de plaisir infini. Elle est aussi très utile dans une carrière. Dans les entreprises, à partir de 5 à 10 ans d’expérience, il faut savoir décoder l’irrationnel, comprendre les autres, savoir les convaincre. A un responsable d’un grand groupe qui me demandait comment développer ce sens psychologique, j’ai répondu : lisez Stefan Zweig, notamment ses biographies qui sont remarquables.
La littérature nous permet de comprendre les autres, de déchiffrer la comédie humaine. Avec les livres, des centaines de destins nous sont offerts, en profondeur. On vit plusieurs vies, on perçoit le monde dans sa globalité et dans ses nuances, on intègre la complexité des sentiments humains, leurs richesses et leurs contradictions.
Pour quelqu’un qui veut atteindre ses objectifs (par exemple séduire avec efficacité, convaincre ses potes, négocier une note avec un professeur …), lire est donc un moyen puissant, et en plus c’est un loisir !
Pour moi, le français s’est révélé une langue d’une beauté envoûtante qui procure des émotions puissantes. Combien de fois ai-je relu les 100 premières pages des
Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. C’est un plaisir simple et pur.
Y a-t-il une œuvre que vous avez lue, pendant vos années lycée, qui vous a particulièrement marqué ?
Les grands livres qui m’ont marqué pour la vie sont venus à moi un peu plus tard, quand j’étais étudiant (
Dostoïevski surtout). Mais bien entendu, au lycée
Les Fleurs du mal de Baudelaire m’ont touché, tout comme
Les liaisons dangereuses au style parfois ardu quand on n’a que 15 ou 16 ans (mais il y a tellement d’esprit et d’intelligence dans ce texte). Au fond, je me dis que les
Fables de La Fontaine qu’on étudie plus jeune devraient être réétudiées au lycée (c’est peut-être le cas) : tant de bon sens en si peu de mots !
Quel est l’événement ou l’anecdote le plus marquant de votre parcours scolaire ?
Je crois que je n’ai pas de souvenir précis de ce type, ce qui doit être le symptôme d’une période somme toute heureuse. J’ai souvent à l’esprit cette idée que l’adolescent hérite de l’enfant tout comme ensuite l’être adulte hérite de l’adolescent et que ces trois âges constituent presque trois vies différentes. Je remercie l’adolescent que j’étais d’avoir su construire des amitiés fortes à cette époque, et s’il a fait quelques « conneries », il n’a jamais mis en péril l’avenir de celui que je suis aujourd’hui. Je retiens de mon parcours scolaire ce goût pour le beau et le juste que m’ont transmis mes professeurs notamment Mme D’Escortes) ou Mme Ferréol (spéciale dédicace !). En m’offrant des personnages de roman, des héros qui m’ont inspiré, elles m’ont donné l’ambition de construire ma vie en osant y croire et en tentant de tenir le stylo de mon destin.
Propos recueillis par Fabien Cluzel