Johan Heliot : « Je suis confiant dans la jeunesse »
Ancien prof de français et d’histoire, Johan Heliot est un des écrivains français les plus prolifiques de sa génération, et ce dans de nombreux genres : science-fiction, fantasy, thriller, polar, policier, horreur… Il a publié plus de 70 romans, dont une quarantaine pour la jeunesse, et a remporté un grand nombre de prix littéraires. Vivre au Lycée l’a rencontré.
Dans CIEL, un cycle de 4 romans, une intelligence artificielle prend le pouvoir sur Terre et décide « rationnellement » de la débarrasser des humains, qu’elle juge nuisibles. Ce thème de l’IA, mais aussi des données numériques, revient fréquemment dans vos histoires, comme dans Enigma par exemple. Quel message, ou quelle mise en garde, voulez-vous adresser à vos lecteurs ?
Le futur se pense dès aujourd’hui. Le progrès technologique va de plus en plus vite et loin. C’est formidable (je n’y suis pas allergique !) mais, comme le pouvoir de Spiderman, cela implique de grandes responsabilités – quel usage et quelles limites donner aux IA, par exemple ? Au big data ? Le citoyen doit s’emparer de ces questions (ce n’est hélas pas le cas, loin s’en faut !) car elles déterminent son avenir, sa place réelle dans la société. Mais je suis plutôt confiant dans la jeunesse quand je vois de quelle façon elle agit pour lutter contre le réchauffement climatique en ce moment, je me dis qu’elle évitera peut-être les erreurs que nous avons commises, nous, adultes, pourtant informés depuis longtemps des graves conséquences de nos actes (entre autres par les auteurs de S-F !).
« Que les ados s’évadent quelques heures de leur réalité »
Il est impossible d’évoquer ici tous vos romans pour la jeunesse. J’en cite quelques-uns de manière arbitraire : Au secours ! Les profs sont des zombies !, Ados sous contrôle, Les Substituts, Les Sous-vivants, Dans la peau d’une autre, Les Amants du génome… Qu’est-ce qui vous plaît dans l’écriture jeunesse ? Que voulez-vous raconter et dire aux ados ?
Pour dire la vérité, je ne pense jamais à l’âge du lecteur quand j’écris ! Je me laisse guider par mon intrigue, mes personnages, mon imagination – tout ça impose un style, une manière de raconter. Après coup, au moment de corriger, je vois si c’est adapté ou non au public visé par l’éditeur, mais c’est plus ce dernier que ça concerne. Sinon, je veux que les ados s’évadent quelques heures de leur réalité et, peut-être, se posent quelques questions sur le monde… C’est toute mon ambition !
En revanche la série Faerie Hackers, malgré son titre qui évoque les contes de fées, est un thriller plutôt noir qui s’adresse un peu plus aux adultes, non ?
Oui, c’est un roman écrit pour lecteurs plus chevronnés, mais tout dépend de l’âge auquel on devient adulte, en réalité !
La piraterie aussi, semble vous plaire. On pense à Forban ! et Flibustière !. Dans d’autres histoires la piraterie et la S-F se rencontrent, comme dans La Quête de l’espérance. D’où vous vient ce goût pour les pirates ?
Du cinéma hollywoodien découvert à la télé, gamin (merci monsieur Eddy et sa dernière séance, le Cinéma de minuit). Captain Blood avec Errol Flynn, L’île au trésor, Les contrebandiers de Moonfleet, ce genre de choses…
Lequel de vos romans conseilleriez-vous à un lycéen qui ne vous connaît pas et voudrait vous découvrir ?
Faërie Hackers (Folio S-F).
Louis XIV part à la conquête… de l’espace !
Les uchronies, ces histoires parallèles différentes de la nôtre, semblent vous passionner. Vous en avez écrit beaucoup : la Trilogie de la Lune, Reconquérants, Françatome, Les Fils de l’air, Frankenstein 1918 (lire plus loin) et l’extraordinaire série Grand siècle : sous le règne de Louis XIV, la découverte d’une étrange météorite, dont Blaise Pascal exploite les propriétés, permet l’exploration spatiale, rien que ça ! Comment vous est venue l’idée d’une telle histoire ?
Le plus souvent, tout part de l’association de deux éléments incompatibles en toute logique. Ici, le règne de Louis XIV et la conquête de l’espace ! Je commence par me demander de quelle façon les deux pourraient se raccorder et je laisse mon imagination faire le travail. Un scénario se construit au fur et à mesure des réponses apportées aux nombreuses questions soulevées par les improbabilités historiques ou autres. Et la science-fiction me permet la plupart du temps de passer outre l’impossible !
Ce roman et beaucoup d’autres sont remplis de références historiques très sérieuses, et aussi de clins d’œil pour initié. Dans l’uchronie La Lune seule le sait, qui se passe au début du XXe siècle, le code qu’utilise Jules Verne pour ouvrir une malle remise par un conspirateur est 030939… 3 septembre 1939, la date de déclaration de guerre à l’Allemagne ! A moins que cela ne soit une coïncidence 😉 ?
Franchement, je ne m’en souvenais plus ! Mais oui, j’aime émailler mes romans plus adultes et uchroniques de clins d’œil, quand cela ne nuit pas à l’intrigue et son déroulement. C’est un jeu qui m’amuse, et aussi le lecteur quand il les repère, sans que ça soit obligatoire pour se laisser porter par l’histoire.
« Je suis confiant dans la jeunesse »
Dans ce roman très steampunk, le conspirateur que nous évoquons n’est autre que… Victor Hugo. Vous semblez beaucoup admirer ce grand personnage…
Je suis moi aussi né à Besançon 😊. Plus sérieusement, je lui dois une bonne note à mon examen oral du concours de prof de lettres, alors… J’admire autant le poète que le romancier, l’homme politique et engagé. Il représente LA figure de l’intellectuel qui agit, avec une stature qu’aucun autre n’aura plus après lui.
« Je pense avoir été plutôt cool avec mes élèves »
En quelques mots, quel est votre parcours scolaire ?
Bac B (éco), études d’Histoire jusqu’en maîtrise – option Antiquité romaine.
Vous avez été professeur d’histoire-géographie et de français. Quel genre de prof étiez-vous ?
Honnêtement, je pense avoir été plutôt cool avec mes élèves et leur avoir laissé un bon souvenir ! En tout cas, pas du tout sévère, je détestais sanctionner et même noter !
Et vous-même, au collège et au lycée, quel genre d’élève étiez-vous : plutôt turbulent sympa, paresseux, insolent… ?
Le genre à ne pas se faire trop remarquer et attendre que ça se passe ! Je ne détestais pas les cours, mais de là à aimer ça… Je participais le plus en français, j’adorais écrire des rédactions. En revanche, je m’ennuyais terriblement en sciences, en langues…
Quel est l’événement ou l’anecdote le plus marquant de votre parcours scolaire ?
La découverte de la littérature de science-fiction grâce à ma prof de français de 6e et l’anthologie Histoires de robots.
A partir de quand peut-on arriver à vivre de sa plume ? J’ai lu que vos aviez « galéré » une dizaine d’années avant que ça ne se décante vraiment ?
Galéré, pas vraiment, j’avais mon métier de prof. Mais il m’a fallu environ dix ans avant de publier un premier roman. Pas parce qu’on m’en refusait, non, mais parce que je ne me sentais pas prêt et que je n’écrivais que des nouvelles. Ensuite, il a fallu que je me mette à publier pour la jeunesse pour pouvoir lâcher l’enseignement et commencer à vivre de ma plume – c’était il y a maintenant dix-sept ans !
Quels sont les livres et les auteurs qui vont ont donné le goût de la lecture, mais aussi (et surtout) de l’écriture ?
Maurice Leblanc, Gaston Leroux, Conan Doyle – les feuilletonnistes de la fin du XIXe et du début XXe, en gros. Sans oublier le lieutenant X dans la Bibliothèque Verte, de son vrai nom Vladimir Volkoff, le génial créateur de Langelot ! Et puis tous les « classiques » de la S-F anglo-saxonne : Dick, Vance, Van Vogt, Silverberg, Sheckley, Heinlein… Plus tard, dans un autre genre, il y eu la claque Bukowski et Fante, et aussi Jean-Patrick Manchette !
« Lire, lire et lire encore, de tout ! »
Quels conseils donneriez-vous à des ados qui voudraient se lancer dans l’écriture ? Commencer par écrire des nouvelles par exemple ?
Oui, plutôt que par le premier tome de 500 pages d’une trilogie, parce que mieux vaut faire ses erreurs de débutant (inévitables et formatrices !) sur un format court. Et, surtout, lire, lire et lire encore, de tout ! Et enfin, écrire, écrire, écrire !
Vous animez des ateliers d’écriture et intervenez dans des collèges et des lycées. Si des élèves ou des enseignants souhaitent vous faire venir, comment peuvent-ils s’y prendre ?
En me contactant via ma page Facebook ou encore plus directement à l’adresse mail suivante : johan.heliot@wanadoo.fr
.Vous aviez lancé, avec d’autres élèves, une revue de fans de S-F, un « fanzine »…
Mon premier fanzine, au lycée, s’appelait « La fesse » (oui, oui) et n’avait comme son nom l’indique rien à avoir avec la S-F, mais était d’influence Hara-Kiri, Charlie… Quelques années plus tard, avec un groupe d’amis, j’ai lancé MaelströM, consacré aux différentes littératures et à l’imaginaire, qui m’a permis de faire mes premiers pas en écriture (sous pseudo !). Je suis fier d’y avoir publié des textes d’écrivains de S-F que j’admire, au premier rang desquels le regretté Roland Wagner.
Avez-vous des passions qui n’ont rien à voir avec votre métier mais que vous cultivez par pur plaisir ?
La cinéphagie de films bis, série B à Z avec une prédilection pour les années 70 et 80 italiennes (jeune lecteur curieux, découvre Lucio Fulci, Mario Bava, Sergio Sollima, tu me remercieras… ou pas !)
Quel est votre dernier coup de cœur musical ?
Sleaford Mods, un duo anglais de rap-punk engagé, féroce et drôle. Ou sinon Kadavar, un chouette trio metal allemand sous influence 70’s (Led Zep, Black Sabbath…).
Le livre qui trône actuellement sur votre table de chevet ?
L’autobiographie de Dee Dee Ramone, Mort aux Ramones !, parue au Diable Vauvert il y a quelques années. Sinon, je vais attaquer la trilogie Starfish – Rifteurs – Béhémoth de Peter Watts, un des auteurs de S-F les plus stimulants du moment.
Votre citation préférée, ou un leitmotiv qui vous accompagne dans les moments difficiles (ou les deux) ?
« Le véritable talent, c’est la persévérance. » Stephen King (je ne garantis pas les termes exacts, mais l’esprit, oui !).
Propos recueillis par Fabien Cluzel
Frankenstein 1918
Nous sommes 1914, pendant la Première Guerre mondiale, mais dans une « histoire parallèle », différente de la nôtre. Après des premiers combats désastreux, les Anglais lancent l’opération Frankenstein : à partir des archives du fameux docteur et grâce à la production d’électricité, ils fabriquent des soldats pouvant être sacrifiés sans remords.
Mais l’opération est finalement interrompue, et l’un d’eux, Victor, échappe au massacre. Il est secouru par la grande scientifique franco-polonaise Marie Curie, qui le rend à la vie consciente grâce aux radiations. Réfugié dans les décombres de Londres, qui a été détruite et rendue inhabitable par un bombardement à l’arme chimique, Victor retrouve le laboratoire où il est né, et engage un combat pour l’émancipation des siens. C’est là qu’un jeune couple, elle, résistante à l’occupation, lui, historien, finit par le retrouver en 1958, dans l’espoir de lever le voile sur ce versant secret de l’Histoire que la censure en vigueur ne suffit pas à expliquer. Se dessine, au fil de la lecture, un panorama fascinant des conséquences d’une Grande Guerre qui n’aurait pas pris fin en 1918, dont le cœur est un hommage à Mary Shelley (l’auteure du Frankenstein original) et sa fameuse créature.
Comment travaille-t-il ? Johan Heliot vous dit tout
Comment une histoire se construit-elle ? Combien de temps prend l’écriture d’un roman ? Est-ce que les éditeurs corrigent les écrivains comme les profs corrigent les élèves ? D’où vient l’inspiration ? Comment est choisie l’illustration de couverture ? Dans cette rencontre avec des élèves dans une médiathèque, Johan Heliot explique sa démarche et son travail avec beaucoup de clarté.