Julien Maniglier : le forgeron coutelier de l’émission Le Meilleur Forgeron !
Créée en 2015 par la chaîne History aux États-Unis, Le Meilleur Forgeron (Forged in Fire en version originale) fait actuellement les beaux jours de la TNT. Diffusée sur CSTAR, cette compétition, qui met habituellement en scène des artisans américains, a invité un Français, à savoir Julien Maniglier, un forgeron autodidacte de Haute-Savoie.
Finaliste de l’épisode international du Meilleur Forgeron, Julien Maniglier a su se démarquer. Tout d’abord grâce à son savoir-faire et à ses solides compétences, qui lui ont permis de rejoindre la finale, mais aussi grâce à sa personnalité attachante et un peu fantasque. Un artiste, un vrai, qui a accepté de répondre à nos questions, à l’occasion de la dernière diffusion en date de son épisode.
Comment es-tu devenu coutelier/forgeron ?
Par passion. La passion est indissociable du métier de créateur. Tu ne peux pas créer si tu n’es pas passionné car bien souvent, le retour sur investissement est ridicule. On ne compte pas nos heures. L’idée, c’est que si on veut pouvoir vivre de son art, il faut choisir un art qui nous passionne. Quand on est passionné, on n’a pas l’impression de travailler.
En ce qui me concerne, je me suis simplement levé un matin et j’ai soudainement compris que je n’avais pas le choix. Il me fallait absolument y aller et me lancer. Je suis entré dans ce métier car une petite voix dans ma tête me l’a ordonné. Je me suis dit à moi-même « Julien, il faut que tu fasses des couteaux ». On peut peut-être parler d’ésotérisme. Cela dit, j’ai toujours aimé les couteaux.
Personnellement, il a fallu que je souffre pour apprendre. Le fait de sortir de sa zone de confort, surtout quand tu as une famille, est très délicat. C’est vrai que c’est plutôt difficile de lâcher un emploi qui permet de vivre pour quelque chose d’inconnu. Tu espères que tu vas quand même réussir à gagner un peu d’argent.
Je n’ai rien forcé. Tout ce qui m’arrive… Ce n’est pas vraiment moi qui ai décidé. Tout s’est mis en place dès que j’ai arrêté de m’inquiéter, de me mettre dans des situations compliquées qui pouvaient me faire du tort au niveau mental. Je laisse venir les choses à moi et j’ai confiance en l’avenir. Désormais, je me laisse porter. Je suis donc à 100% autodidacte. Quand tu es passionné, tu va chercher les infos et tu les assimiles beaucoup plus vite. Au fond, ce n’est pas une question de talent. On y revient, mais le talent n’existe pas sans la passion.
Cette voix m’a d’ailleurs prévenu avant l’émission. Je vais sur l’ordi, je reçois un message : « le premier qui répond obtient une place pour Le Meilleur forgeron ».
Quelles sont les études qu’il est conseillé de faire pour devenir forgeron ?
Il y a le CAP ferronnerie-chaudronnerie. Mais si vous voulez fabriquer des couteaux, vous trouverez votre chemin. Je sais qu’il existe aussi un CAP sur Thiers mais il n’y a pas beaucoup de places.
Je pense que le métier de coutelier appelle une certaine tempérance. Il faut une certaine expérience de la vie. J’ai été plongeur en Irlande, militaire… J’ai multiplié les expériences dans tous les domaines. Ces emplois, qui à chaque fois, ont été de courte durée, n’avaient pas d’autre point commun que le fait qu’ils m’apportaient quelque chose et me motivaient. J’ai toujours eu des envies de jeu et j’ai donc passé la plupart de ma vie professionnelle à m’amuser au travail. Bien sûr, j’ai connu des périodes où il m’était un peu compliqué de vivre. Mais c’est aussi cela qui m’a forgé. Quand j’ai commencé la coutellerie, toutes ces expériences ont pris un nouveau sens, avec cette envie de me dépasser, de résister et de sortir de ma zone de confort.
J’ai également tenu à apprendre l’anglais. Cela m’a permis d’aller travailler au Texas, de vivre en Irlande et de travailler au maintien de la paix pour l’ONU. Au fond, tout ce que j’ai assimilé est resté en moi.
Forgeron est un métier technique, scientifique et émotionnel. Ce n’est pas un métier de rêveur. Il n’y a pas de coup de bol. Je pense qu’il est indispensable d’avoir une sensibilité à fleur de peau pour être forgeron.
Aujourd’hui, en France en tout cas, le forgeron semble surtout travailler dans la fabrication de pièces de ferronnerie. Existe-t-il beaucoup de couteliers comme vous ?
La ferronnerie, c’est juste le lien entre la forge profondément artistique, la coutellerie et le côté technique du serrurier. Les ferronniers d’art sont d’ailleurs souvent serruriers pour faire bouillir la marmite. C’est compliqué de sortir du lot quand on ne fait que du couteau. Il faut trouver la personne qui va acheter les créations. Pour cela, il est nécessaire de faire beaucoup de communication, sur les réseaux sociaux ou autres. Aujourd’hui, je ne vends plus de couteaux. Je propose des stages créatifs. Les gens arrivent dans mon atelier et repartent à la fin de la journée avec leur couteau.
Le métier de forgeron a changé. Il y a 60 ans, les aciers qu’on recevait étaient de piètre qualité. Maintenant, on a des aciers qui sont prévus pour l’industrie. Actuellement, un bon forgeron forge très rapidement. La seule magie qu’il y a dans cette histoire, c’est la magie du cœur. C’est toute l’attention que l’artisan a mis dans sa lame. On peut vendre notre âme au diable, mais à la fin, on met tellement de cette âme dans chaque lame qu’on forge qu’au moment de réclamer son dû, le diable n’aura plus rien.
Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le métier attire à nouveau des jeunes ?
Il y a deux siècles, le forgeron avait un statut social exceptionnel. Il réparait les outils, fabriquait les armes, soignait les chevaux…. Il possédait une vraie aura sociale. Après, avec la révolution industrielle, les forgerons ont plongé. Puis récemment, des séries et les films médiévaux comme Le Seigneur des Anneaux, Vikings et Game of Thrones sont arrivés. Des œuvres dans lesquelles le forgeron retrouve son prestige. On a cette image taciturne mais c’est à la fois un alchimiste, un sorcier, un créateur et un artisan.
Aujourd’hui, les gens veulent exister à travers une activité qui met le côté humain en valeur. Le fait de créer quelque chose, de pouvoir le montrer au monde, grâce à Internet notamment, permet de bénéficier d’un retour immédiat. Par la suite, quand on forge depuis un certain temps et qu’on gagne en expérience, le côté magique diminue. C’est à ce moment-là que d’après ce que j’ai pu observer, les forgerons persistent et deviennent de véritables artisans très techniques ou lâchent l’affaire et se retrouvent à faire deux ou trois démonstrations de temps en temps dans des fêtes médiévales avec une peau de mouton sur le dos et la coiffure de Ragnar.
Je pense que ce métier permet de devenir fier de soi. C’est un accomplissement personnel. Le « je suis ce que je fais » prend tout son sens. Impossible de se mentir à partir de là : on est ce que l’on fait.
Existe-t-il des différences fondamentales entre la pratique de votre métier en France et aux États-Unis ?
Oui et non. Les Américains ont une vision particulière du travail : pour eux, c’est un outil pour une opération. Ils vont toujours au plus rapide. Le côté ancestral de la forge, ils s’en moquent. Il faut que ça marche et que ça soit rentable. Nous, en France, on est beaucoup plus traditionaliste. Il y a une charte d’anciens qui affirme que c’était mieux avant. Les Américains ont très peu d’histoire à ce niveau. Ils commencent donc juste à l’écrire. Les Américains mettent donc en place des process pour être plus rentables. Nous, on veut faire vivre la mémoire des anciens. Cela dit, toutes les plus belles technologies de la coutellerie viennent aujourd’hui des USA car les forgerons vont chercher les détails et innovent. Je trouve que l’on est quoi qu’il en soit très complémentaires. Je partage beaucoup avec les Américains. Au niveau de nos techniques respectives notamment. La chauffe au chalumeau par exemple, qui permet de chauffer la lame avec plus de précision que dans une forge, vient de là-bas.
L’émission Le Meilleur forgeron a-t-elle changé quoi que ce soit pour vous ?
Elle m’a donné de la confiance. Elle a été ma petite bouée de secours. À chaque fois que je déprime, je repense à cette époque (Julien a participé à l’émission en mai 2017, ndr). Je n’avais plus rien quand j’ai été appelé. J’ai survécu et je me suis battu.
Un ami forgeron, le fondateur de la coutellerie Bastinelli, a été invité aux États-Unis. Son départ a d’ailleurs fait de lui l’objet de beaucoup de critiques. Je me suis alors rendu compte que Doug Marcaida, le juge spécialiste du maniement des armes blanches du Meilleur Forgeron, faisait partie de ses relations. Je lui ai demandé de glisser mon nom s’il en avait l’occasion, sans y croire. Un an plus tard, alors que je n’y pensais plus, j’ai reçu un mail. La petite voix dont je parlais au début m’a d’ailleurs poussé à consulter mon courrier. Le mail était adressé à deux autres forgerons et disait que le premier qui répondait pourrait participer à l’émission aux États-Unis. J’ai répondu et j’ai été pris. À titre personnel, ça a été génial mais dans le milieu de la coutellerie française, on ne m’a pas fait de cadeau. Il y a eu énormément de jalousie. On m’a appelé en plein milieu de la nuit, j’ai reçu beaucoup de messages très violents.
C’est d’ailleurs marrant, car même si l’émission a été diffusée plus de 20 fois uniquement en 2022, c’est la dernière diffusion qui a eu le plus d’impact au niveau du public. Après ma participation au Meilleur Forgeron, j’ai d’ailleurs fait un reportage pour France 3 et personne n’en a parlé. Cela ne fait que cinq jours que je reçois plein de messages super gentils de personnes qui me disent que je les ai rendues fières. Ça fait plaisir.
Le mot de la fin ?
Je pense sincèrement qu’à chaque fois qu’on vit quelque chose, on apprend. À chaque moment de notre vie, on apprend. C’est l’un des seuls points communs que tous les êtres vivants partagent. On gagne en expérience avant d’enseigner à quelqu’un de plus jeune pour l’aider à grandir. On transmet notre savoir à quelqu’un d’autre qui est amené à faire mieux, à mieux s’adapter et à mieux résister. Il est important d’essayer de toutes ses forces de vivre pour être heureux. Il faut apprendre pour mieux comprendre notre environnement. En tout cas, sachez que tout peut changer du jour au lendemain. Pour revenir sur mon expérience aux États-Unis, quand je suis parti, j’avais tout perdu. Je n’avais plus rien. Je suis sûr que ce n’est pas une coïncidence et je reste persuadé qu’au bout du compte, on est tous responsable de qui on est et de qui on devient.
Aujourd’hui, je transmets mon savoir. La personne en face se l’approprie avec sa propre expérience et sa propre sensibilité, tandis que moi, je ne perds rien. Par la suite, il améliore ce savoir et rend les choses plus belles. Le savoir augmente à mesure qu’il circule. C’est une question d’échange et de transmission.