Laurent Karila : « C’est un super métier que de soigner les gens »
Figure emblématique de la télévision, où il intervient aux côtés de Faustine Bollaert dans l’émission Ça commence aujourd’hui sur France 2, chroniqueur heavy metal, créateur du podcast ADDIKTION (Mediawan) et auteur de multiples ouvrages (son dernier livre en date, Docteur : Addict ou pas ?, est sorti en début d’année aux éditions Harper Collins), le professeur Laurent Karila (Hôpital Paul Brousse (AP-HP), Université Paris Saclay) est surtout l’un des plus grands spécialistes de l’addictologie en France. Un expert passionné et passionnant, qui a accepté de répondre à nos questions.
Quel genre d’élève étiez-vous au lycée ?
Un élève studieux fan de heavy metal qui allait au lycée dans le Vieux Sarcelles dans le 95 ! Je bossais surtout les matières scientifiques et l’anglais. J’ai eu un bac scientifique (C à l’époque). Le prof de SVT m’avait déconseillé formellement de faire médecine.
Vous êtes diplômé en psychiatrie de la faculté de médecine Henri Warembrourg de Lille. Vous vous êtes par ailleurs spécialisé dans l’étude et le traitement des addictions. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce domaine en particulier vous a attiré ?
Je fonctionne au flash, à la passion. En 4ème année de médecine, j’ai fait un stage de psychiatrie. J’ai su que c’était pour moi cette discipline médicale. Dans ce service, il y avait des patients addicts, ils étaient un peu délaissés. Je m’en suis occupé. Le chef de l’unité m’a dit « Laurent, c’est fait pour toi ce type de patients ! ». J’ai passé le concours de l’internat et ai choisi la psychiatrie à Lille, qui est une super école. En 2001, quand est apparu le diplôme spécialisé d’addictologie, je l’ai tout de suite fait à l’Université Paris Saclay. Après les addictions m’ont toujours fasciné avec tous les artistes que j’adorais : Lemmy, Nikki Sixx, Tommy Lee, Phil Lynott…
D’après votre expérience, quelles sont aujourd’hui d’après vous les principales addictions auxquelles sont exposés les jeunes ?
Ce ne sont pas tellement des addictions mais surtout des consommations excessives d’abord. Côté substances classiques : cannabis, nicotine, alcool. Côté nouveautés, il y a le PTC (pête ton crâne) un cannabinoide de synthèse dangereux qui se fume dans une vape, le proto (gaz hilarant) avec des conséquences neurologiques importantes (paralysies, trouble de la marche…) et le lean, une boisson à base de limonade et de médicaments opioïdes… Côté comportements, il y a tout ce que le smartphone ou n écran génère : paris en ligne, sexualité virtuelle, achats, jeux vidéos, réseaux sociaux…
Comment l’avènement d’internet, des réseaux sociaux et des jeux vidéos connectés ont-il créé de nouveaux risques de dépendance chez les jeunes ?
Tout comportement peut être à l’origine d’un usage problématique voire d’un comportement addictif. Tout le monde ne deviendra pas addict. Internet offre tout, tout de suite. De la gratification immédiate mais des conséquences possibles.
Et d’ailleurs, quelles sont les conséquences de ces addictions « numériques », qui sont peut-être plus difficiles à identifier car moins souvent considérées comme nocives ?
Dès qu’une addiction s’installe, on est dans la maladie avec ses conséquences. On peut avoir des conséquences lors d’un usage excessif aussi. Elles sont nombreuses : maux de tête, troubles de la concentration, de l’attention, du comportement, insomnie, myopie comportementale, douleurs aux poignets, au cou, au dos, aux pouces, anxiété, dépression, faible estime de soi, isolement, trouble du comportement alimentaire…
Une addiction peut-elle en entraîner une autre ? Existe-t-il par exemple une corrélation entre la sur-connexion et la consommation de cannabis, d’alcool ou la mal-bouffe ?
Une personne vulnérable aux addictions peut avoir plusieurs comportements addictifs ou passer d’une addiction à une autre : prenez l’exemple de l’alcool et du tabac ou lorsqu’un fumeur de cannabis décide d’arrêter ou de réduire sa consommation, il peut augmenter sa consommation de tabac. Il existe des corrélations entre hyperconnexion et mal bouffe/ cannabis/ tabac
De manière plus générale, pourquoi tout le monde peut devenir addict à quelque chose et comment fait-on la différence entre une addiction destructrice et une addiction positive ? Pour cette dernière, je pense notamment au sport ou aux loisirs…
L’addiction est une maladie chronique comme une maladie cardiaque, un diabète par exemple. Pour faire le diagnostic d’addiction, il faut utiliser mon moyen mnémotechnique : les 5 C et les avoir pendant 12 mois.
- Perte de Contrôle du comportement de consommation
- Craving (envire irrésistible de consommer)
- Usage Compulsif (on ne peut pas s’empêcher de consommer)
- Usage Continu (quotidien ou presque)
- Malgré les Conséquences physiques, psychiques et sociales
Le sport peut être une addiction comportementale comme je l’ai écrit dans mon livre Docteur : addict ou pas ? le sport devient une drogue. J’ai développé le concept d’addiction positive car on peut avoir certains C des 5C sans être malade. C’est le cas de fans de musique par exemple.
Existe-t-il des personnalités plus sujettes à l’addiction ?
Plutôt des facteurs de risque.
De façon schématique, l’addiction naîtrait de la rencontre d’une personne avec un produit ou un comportement addictif dans un environnement susceptible de la déclencher. Il s’agit en réalité d’un phénomène complexe qui naît de l’interaction de 5 éléments majeurs : notre développement personnel, notre cerveau avec sa complexité, notre génétique (qui n’explique pas tout heureusement !), notre personnalité et notre fonctionnement psychologique et émotionnel, et notre environnement.
Comment parvenir à un équilibre pour justement ne pas tomber dans l’usage problématique concernant des domaines comme les écrans, internet ou encore les jeux vidéo ? Quels conseils donneriez-vous pour justement préserver le plaisir que peuvent procurer ces activités sans que ces dernières ne deviennent trop envahissantes ?
La question est très large.
Prenons les réseaux sociaux. Comme je l’écrivais dans Docteur : Addict ou pas ?
L’abstinence en médias digitaux et en consommation de ceux-ci ne peut pas être atteinte de manière réaliste dans un contexte d’usage problématique voire d’addiction aux réseaux sociaux, car Internet et les réseaux sociaux sont devenus des éléments essentiels de nos vies. Plutôt que d’arrêter définitivement les réseaux sociaux, l’objectif principal devrait se concentrer sur l’établissement d’une utilisation contrôlée de ceux-ci.
Essayez de limiter le temps que vous passez sur les réseaux sociaux.
Trouvez une limite de temps raisonnable et qui vous convient. Si vous remarquez que vous passez plus de temps que prévu, essayez de réduire encore plus votre utilisation. Vous pouvez également vous définir des limites de temps en n’utilisant les réseaux sociaux qu’à certains moments de la journée comme le soir, après le travail ou après le lycée, la faculté ou certains jours de la semaine. Vous pouvez utiliser votre chronomètre alarme ou une application qui vous aide à réguler votre temps de connexion sans vous frustrer.
Si vous vous sentez triste, en colère ou anxieux, évitez d’utiliser les réseaux sociaux.
Repérez les déclencheurs qui vous donnent envie d’utiliser les réseaux sociaux
Cela peut être l’ennui, la solitude, la colère, la procrastination. Si vous vous ennuyez, essayez de trouver une activité plaisante (lire un livre, écouter ou faire de la musique, dessiner, jouer à la console, sortir). Si vous vous sentez seul, appelez un ami ou un membre de votre famille.
Ne vous comparez pas aux autres sur les réseaux sociaux
Laissez votre smartphone, votre tablette et votre ordinateur hors de votre chambre.
Trouvez d’autres activités plaisantes à faire au lieu d’utiliser les réseaux sociaux. Ceci n’est pas un appel à bannir définitivement les réseaux sociaux de votre vie !
- Une activité physique appropriée peut vous aider à vous engager dans la vraie vie en douceur, et une bonne intensité d’exercice peut également permettre à votre corps d’être relaxé.
- Faites des pauses régulières sur les réseaux sociaux pour vous aider à (re)trouver des bases dans la vie réelle.
- Assurez-vous de voir vos amis et votre famille en personne lorsque cela est possible.
Concernant votre profession, quels conseils donneriez-vous à un jeune qui désire entamer des études de médecine ?
C’est un super métier que de soigner les gens. Il y a plein de domaines dans la médecine. Les études sont un peu longues mais à la fin, c’est gratifiant. On aura toujours besoin de médecins, pas de chômage en vue. On peut enseigner, faire de la recherche aussi. On ne s’ennuie pas ! On apprend constamment aussi pour être à jour.
Vous consultez, vous intervenez à la télévision, vous avez écrit de nombreux ouvrages… Comment faites-vous pour trouver le temps de dormir ?
Nous sommes plusieurs ! c’est mon moteur de vie avec ma vie avec ma femme et mes enfants. Mon hyperactivité me fait plaisir et les projets hospitaliers, universitaires, médias, musicaux m’animent. Mon podcast Addiktion en est à sa 4ème saison et j’en suis fier. Écrire dans Radio Metal aussi !
Quels sont les aspects qui vous plaisent le plus dans votre travail ?
La nouveauté, le côté rock n roll, « guérir » les gens, transmettre aux plus jeunes…
Vous êtes également populaire pour votre passion pour le heavy metal. Vous écrivez par ailleurs des chroniques pour le magazine en ligne Radio Metal. Pour faire le rapprochement avec les addictions, de nombreux musiciens et autres artistes sont justement concernés. Existe-t-il d’après vous un lien entre les addictions, ou en tout cas les substances illicites, et la création artistique ?
Être un artiste n’est pas simple. Leur registre émotionnel et cognitif a quelque chose en plus. Les plus vulnérables consomment malheureusement. On n’est plus à la grande époque sex, drugs, RnR mais les substances sont toujours présentes.
Et en enfin, dans un registre plus léger… S’il ne devait rester qu’un seul…
- Album de musique : Creatures Of Night, de KISS
- Une chanson : Master of Puppets, de Metallica
- Un film : The Dirt
- Une série : Friends
- Un livre : Le malade imaginaire, de Molière
- Un concert auquel vous avez assisté : Mötley Crue, ainsi que Skid Row au Zénith à Paris en 1989
>> Pour en savoir plus sur le Professeur Laurent Karila et ses travaux, direction son site officiel.