Le Horla de Maupassant
Régulièrement, Vivre au Lycée vous présente des classiques de la littérature francophone afin de développer votre culture littéraire et de renforcer vos bases en vue des épreuves de français. Aujourd’hui, nous partons à la découverte du très célèbre Horla de Maupassant, une nouvelle fantastique qui dépeint la déchéance d’un narrateur hanté par une créature invisible.
Repères biographiques
L’écrivain et journaliste français Guy de Maupassant naît en 1850 en Normandie. Très jeune, il est baigné dans la littérature, à laquelle l’initie sa mère, Laure le Poittevin. À l’âge de 13 ans, il intègre l’Institution ecclésiastique d’Yvetot et commence à écrire des poèmes. Il y restera jusqu’à ses 18 ans, âge auquel il en sera expulsé. Il intègre alors le lycée de Rouen où il fait la connaissance de Gustave Flaubert, qui le prend sous son aile. Après le lycée, il rejoint la capitale pour étudier le droit, mais la guerre franco-prussienne éclate et Maupassant doit partir au combat.
À son retour de la guerre, il regagne Paris et profite de sa vie, qu’il aime occuper en allant chasser, en faisant la fête, en multipliant les conquêtes et en faisant du canot sur la Seine. En parallèle de ses amusements, Maupassant fait la rencontre d’autres personnalités littéraires de son temps, dont Émile Zola, Stéphane Mallarmé et Edmond de Goncourt. En 1877, il présente sa première pièce de théâtre À la feuille de rose, maison turque. La même année, il apprend qu’il est atteint de la syphilis.
Deux ans plus tard, en 1879, il publie son premier roman, Histoire d’un autre temps. C’est cependant l’année d’après qu’il lancera réellement sa carrière avec la nouvelle Boule de Suif, publiée dans le recueil collectif Les Soirées de Médan, auquel contribue également Émile Zola. Dans les dix années qui suivent, il continue d’écrire et de publier (pas moins de 130 nouvelles et 6 romans) et parcourt le monde en tant que journaliste. Il connaît un important succès littéraire auprès du public qui lui procure une aisance matérielle et une reconnaissance sociale qui lui permettent d’intégrer la haute société. Après une décennie d’excès, d’écriture et de voyages, Maupassant est rattrapé par sa maladie et perd la tête. En 1892, il tente de se suicider et est interné dans la clinique parisienne. Il y décédera un an plus tard à l’âge de 43 ans, le 6 juillet 1893, des suites d’une paralysie générale.
L’œuvre en contexte
L’œuvre de Maupassant est profondément ancrée dans son temps et reprend les codes des courants réaliste et naturaliste, le premier s’attelant à représenter la réalité le plus fidèlement possible sans idéaliser ni romantiser les personnages et leur histoire, le second prolongeant le premier en faisant du romancier un fin observateur dont le travail repose sur la documentation et l’étude des milieux naturels et sociaux, ajoutant ainsi un but scientifique à l’expression littéraire qui permet d’étudier les mécanismes de la société et de restituer la vérité, indépendamment du souci esthétique.
Reprenant ces codes en décrivant le détail de la vie quotidienne de ses personnages et leur comportement, il s’en détache aussi d’une certaine façon pour aller creuser dans l’intimité et fait basculer certains de ses récits dans le fantastique en les construisant autour d’un détail d’apparence anodin ou d’une obsession. Le monde que décrit Maupassant dans ses textes est très pessimiste. Les hommes y sont égoïstes, cruels et avides. On y retrouve les thématiques de la peur, du doute et de la folie.
Le narrateur, reflet de l’auteur
Dans Le Horla, Maupassant met en scène, sous la forme d’extraits d’un journal intime, l’histoire d’un homme poursuivi par une créature invisible, le Horla, dont il va tâcher de prouver l’existence. Au fil des mois, l’apparition progressive d’un double à ses côtés mène à l’aggravement de l’état psychotique du narrateur, effrayé par la folie qui le gagne et cherchant désespérément à se défaire de l’emprise de l’intrus.
La forme du journal intime permet renforcer le réalisme de la nouvelle et d’ancrer l’ambiguïté quant à l’existence du Horla, si bien que le lecteur peut se demander si celui-ci existe réellement ou s’il est simplement le fruit d’un esprit malade. Mais l’ambiguïté est aussi forte entre ce que vit le narrateur et ce qu’a vécu l’auteur. Maupassant, ayant lui-même souffert d’une dégradation de son état psychique et ayant vu son frère se faire interner dans un établissement psychiatrique, semble créer avec son narrateur un double qui est aux prises avec les mêmes questions que lui, qui est une projection de son espace réflexif interne.
« Je suis certain, maintenant, […] qu’il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d’eau, qui peut toucher aux choses, […] doué par conséquent d’une nature matérielle bien qu’imperceptible pour nos sens et qui habite comme moi, sous mon toit ».
Le Horla, la figure du double
La figure du double apparaît à plusieurs niveaux. Si le narrateur peut être vu comme un double de l’auteur, lui-même est en prise avec son double invisible, le Horla. S’il est invisible, cela ne l’empêche pas, bien au contraire, d’être hyper-présent au point d’envahir complètement l’esprit du narrateur.
Le double du narrateur, le Horla qui est « Hors » et « Là », est à la fois intérieur et extérieur au sujet. Il est un objet étranger qui prend la forme du Moi du narrateur. Cela se traduit, sur le plan narratif, par l’alternance du « je » et du « on ». Ainsi quand le narrateur écrit « 6 juillet. – Je deviens fou. On a encore bu toute ma carafe cette nuit ; – ou plutôt, je l’ai bue ! Mais est-ce moi ? », la distinction entre le sujet et l’objet devient floue. Si le narrateur passe plusieurs mois à tenter de démontrer l’existence de cet être invisible qui existe hors de lui et qui n’est pas lui, à la fin de la nouvelle, une fois sa maison brûlée, il découvre qu’il ne fait qu’un avec le Horla, qu’il ne peut lui échapper, et que la seule issue est la mort. « Alors… alors… il va donc falloir que je me tue, moi !… ».
Une référence du conte fantastique
Le Horla est un conte fantastique, en cela qu’il dépeint des phénomènes inexplicables qui s’ancrent dans un décor familier et réaliste, laissant dans ce cas précis au lecteur la possibilité d’interpréter et de douter de la véracité de ces faits inexplicables.
« Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. » – Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique
Le Horla est un être invisible et, malgré sa capacité à interagir avec le monde physique, on ne connaît rien de son apparence ou de sa forme. Cela, couplé avec son omniprésence et l’introduction d’éléments surnaturels (l’eau disparue de la carafe, la rose cueillie par une main invisible ou encore les pages d’un livre se tournant toutes seules), assoit le sentiment d’angoisse et d’étrangeté et renforce le malaise, ancrant plus encore la nouvelle dans le genre fantastique.
Image : Nada-Wikimedia