Nettie Stevens, découvreuse méconnue des chromosomes sexuels
Généticienne du début XXème siècle, Nettie Maria Stevens a fait l’une des découvertes les plus importantes de la biologie de son époque, à savoir que les chromosomes X et Y entrent en jeu dans la détermination du sexe des individus. Malgré l’importance de sa découverte, elle reste aujourd’hui peu connue, le mérite de ses travaux étant souvent attribué à deux de ses collègues masculins, Thomas H. Morgan et Edmund B. Wilson. Nettie Maria Stevens est la troisième enfant d’une famille aisée de la Nouvelle-Angleterre (Etats-Unis). Très tôt, durant ses études, elle se fait remarquer pour ses capacités de mémorisation et d’assimilation et son esprit de synthèse. Elle fait ensuite de bonnes études à la Westfield Normal School, dans le Massachusetts, études brillantes qu’elle suit en deux ans au lieu des quatre années prévues au programme. A 19 ans, elle entame dans cette même école une carrière d’institutrice qu’elle poursuit pendant 10 ans et devient ensuite bibliothécaire. Pendant tout ce temps, elle met de l’argent de côté afin d’assurer la réalisation de son réel objectif : se payer plusieurs années d’études scientifiques afin d’obtenir un diplôme universitaire. Un parcours universitaire peu commun En 1895, elle quitte la côte Est et part seule en Californie pour s’inscrire à l’Université de Stanford. Fait encore rare pour l’époque, Stanford accepte les femmes. Bien que relativement jeune, l’Université est déjà prestigieuse et c’est donc à 35 ans que Stevens y entame un cursus en biologie, dans une atmosphère éclairée et ouverte sur le monde, et décroche son master. Après avoir obtenu son diplôme en 1900, elle retourne sur la côté Est et entame un doctorat en biologie au Bryn Mawr College, une école réservée aux femmes qui dispose à l’époque d’un excellent programme en biologie cellulaire. Elle continue le travail qu’elle avait commencé à Stanford sur le cycle de vie et la microanatomie des ciliés (types particuliers de protozoaires unicellulaires). Une fois encore, elle se fait remarquer pour ses capacités intellectuelles. “Sa détermination et son zèle, combinés avec des pouvoirs vifs d’observation, sa prévenance et sa patience, unis à un jugement bien équilibré, expliquent en partie ses remarquables accomplissements”. – T. H. Morgan Environnementalistes vs internalistes Thomas Hunt Morgan, précurseur de la biologie cellulaire américaine, et successeur d’Edmund B. Wilson sur ce poste, est le professeur de Stevens au Bryn Mawr College. Après l’obtention de son doctorat en 1903, Stevens et Morgan entament une collaboration sur la question, controversée et non résolue, de la détermination du sexe de l’embryon. Ils étudient alors la relation entre la détermination du sexe et la source de nourriture chez les pucerons. Au début du XXème siècle, deux grandes écoles s’opposent dans le champ de l’embryologie. D’un côté, les environnementalistes défendent que le sexe de l’embryon est déterminé par des facteurs extérieurs qui interviennent sur l’œuf au cours de son développement (température ou nourriture par exemple). De l’autre côté, les internalistes considèrent que ce sont des facteurs internes qui déterminent l’orientation sexuelle de l’embryon. Tandis qu’elle continue ses recherches avec Morgan, Stevens poursuit également en parallèle des recherches traitant de la possibilité que le sexe soit déterminé par un ensemble spécifique de chromosomes. Morgan et Wilson, qui sont encore de fervents défenseurs de la théorie environnementaliste, lui laissent faire seule ces recherches. Une bonne chose pour elle, en définitive, car cela lui permettra plus tard de publier ses recherches sous son nom uniquement. Une découverte fondamentale En 1905, elle publie les résultats de ses recherches, “Studies in spermatogenesis” (« Études de la spermatogenèse”), qui devient le cœur de ses travaux. Pour ces recherches, elle s’appuie sur des travaux antérieurs, ceux de Clarence Erwin McClung qui, en 1901, avait déterminé qu’un chromosome “accessoire” était responsable de la détermination du sexe chez l’insecte pyrrhocoris. Stevens arrive alors à démontrer l’hérédité des chromosomes et leur influence dans la détermination du sexe en étudiant des coléoptères. C’est elle qui est à l’origine de la découverte du rôle joué par le chromosome Y dans la détermination du sexe. Elle conclut en effet de ses travaux que cette détermination est liée à la présence ou à l’absence du chromosome Y : « Puisque les cellules somatiques des larves femelles contiennent 20 grands chromosomes alors que le mâle en contient 19 plus un petit, il semble clair que la détermination sexuelle se fait, non pas par un chromosome « accessoire », mais par cette différence observée dans la paire chromosomique des spermatocytes de premier ordre : les spermatozoïdes qui contiennent le petit chromosome déterminent le sexe mâle et ceux qui contiennent le grand chromosome déterminent le sexe femelle ». Un nom passé sous silence La découverte de Stevens, qui s’avérera plus tard déterminante dans le champ de la biologie, n’est alors pas reconnue comme d’une importance majeure. La même année, Edmund B. Wilson fait une découverte similaire. C’est cette double affirmation qui permettra à la communauté scientifique d’admettre l’idée, révolutionnaire pour l’époque, de la détermination chromosomique du sexe. Thomas Hunt Morgan, le chef du Département de biologie du Bryn Mawr College sera prix Nobel de physiologie en 1933 pour ses découvertes sur le rôle joué par le chromosome dans l’hérédité. Ces travaux, il n’aurait pas pu les mener sans les découvertes de Nettie Stevens. Cela ne l’empêchera pas, après la mort de celle-ci, de déclarer publiquement que Stevens était davantage une technicienne, une chercheuse, plutôt qu’une réelle scientifique. Morgan a donc contribué à rendre célèbre la paire de chromosome XY découverte par Stevens et, bien qu’ils aient publié sur le sujet la même année, c’est la majorité du temps à Wilson que l’on accorde la découverte de la détermination du sexe par les chromosomes, alors qu’il avait à l’époque publié ses travaux uniquement parce que les premiers écrits de Stevens l’avaient encouragé dans ce sens. Un héritage qui perdure Le nom de Nettie Stevens est donc majoritairement oublié, alors même qu’elle a fait l’une des découvertes les plus importantes de son époque en biologie. Ses travaux sont d’ailleurs fondateurs dans le domaine de la cytogénétique (étude des phénomènes génétiques au niveau de la cellule). Enfin, il est notable que sa contribution va au-delà des ses découvertes. Bien que morte relativement jeune, à l’âge de 51 ans, elle a eu le temps de marquer son époque en devenant l’une des premières scientifiques de sexe féminin des Etats-Unis à être reconnue pour ses découvertes, dans un milieu scientifique très majoritairement masculin. Un exemple qui a certainement suscité des vocations, dont certaines encore à éclore. Et si c’était la vôtre, chère lectrice ? Fanny Aici Crédit photo : Bryn Mawr College Special Collections, Public domain, via Wikimedia Commons.