« Dessiner, c'est comprendre »
Dessinateur de bande dessinée canadien, installé en France depuis plusieurs années, Niko Henrichon fait partie des grands talents du neuvième art. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il travaille aujourd’hui avec Marvel Comics. Depuis ses débuts, cet artiste s'est illustré avec des titres phares comme Les Seigneurs de Bagdad (Pride of Baghdad, Urban Comics), Fables (Vertigo) ou encore Star Wars Tales (Dark Horse Comics) et Barnum ! (Vertigo). Vivre au Lycée l’a rencontré pour qu’il nous parle de son parcours.
Comment devient-on dessinateur de BD ?
Chaque parcours est différent. Le mien est un peu particulier. J'ai fait une école d'art mais je dirais que pour être très bon en dessin, il faut y consacrer beaucoup de temps. Temps qu'il peut parfois être compliqué de trouver. L'idéal est de consacrer le plus d'heures possible à son dessin et à son art. Cela dit, j'ai beaucoup appris à l'institut Saint-Luc en Belgique. Surtout durant les cours de dessins d'après modèle.
« Il faut s'imposer une discipline d'enfer ! »
Faut-il avoir un « don » pour réussir ?
C'est le traditionnel débat entre l’inné et l'acquis. Oui, on peut avoir une certaine facilité, mais on trouve aussi des gens qui n'ont pas de talent particulier et qui, avec beaucoup de travail, s'en sortent. Cela dit, pour se hisser au niveau des quelques virtuoses qui font la pluie et le beau temps dans le milieu, cela nécessite probablement quelque chose en plus. Ils ont une telle facilité, une telle compréhension des choses... Combiné avec du travail, ils atteignent des sommets.
Mais on peut très bien faire carrière en ayant des capacités disons « normales », si on est prêt à y passer des heures. L'important, surtout en début de carrière, c'est de faire beaucoup de dessin d'après nature (modèle, extérieurs, bâtiments, voitures...). C'est la clé du succès. Dessiner, c'est comprendre. Il faut comprendre l’environnement qui t'entoure. Si tu ne comprends pas comment sont faites les choses de manière structurelle, tu ne peux pas dessiner. Quand tu dessines par exemple un arbre pendant plusieurs mois, tu vas finir par le comprendre. Une fois que tu as bien compris un élément ou un organisme, sa structure sous-jacente, tu peux le dessiner de mémoire et là tu deviens un dessinateur plus instinctif. Tu n'as pas toujours besoin d'un modèle. Dans mon cas, j'ai fait de la BD, mais tous les métiers du dessin ne sont pas reliés aux métiers de la BD. D'ailleurs, je ne sais pas si aujourd'hui la BD est au centre des préoccupations, avec les nouvelles technologies et les opportunités, peut-être plus séduisantes pour les jeunes, qui vont avec... Dans tous les cas, il faut s'imposer une discipline d'enfer !
Quel genre d'élève étais-tu ?
Un élève correct. Pas super intéressé au primaire et secondaire. Un peu plus par la suite. J'ai grandi au Canada. Là-bas, le système scolaire n'est pas structuré de la même façon qu'en France, avec le primaire et le secondaire. Après le secondaire, vers 16-18 ans, on passe deux ans (avant l'université) au collège [
équivalent du lycée français, ndlr], où on choisit une orientation. J'ai ainsi fait un collège en arts visuels et c'est là que mon intérêt s'est éveillé. Je faisais de tout à cette époque, du dessin, de la sculpture, de la peinture. J'étais alors beaucoup plus assidu. Après ces deux ans, j'ai intégré l'école Saint-Luc en Belgique.
Au collège, on étudiait tous les arts visuels, on touchait à tout et c'est là que j'ai découvert la BD. J'aimais déjà beaucoup le dessin mais je n'avais pas d’orientation spéciale. Quand tu dessines pas trop mal, tu réfléchis aux débouchés. J'ai lu beaucoup de BD au collège. Un ami m'a fait connaître
Moebius. Ce fut pour moi une révélation. Avant, la BD se limitait pour moi à Lucky Luke, aux Schtroumfs... Je n'avais lu aucune série de BD sérieuse. C'est vraiment à cette époque que j'ai « bouffé » de la BD comme jamais. Et c'est à la fin de ces deux années-là que je me suis dit qu'il fallait que je fasse une école d'art pour acquérir des techniques. Ce qui signifiait partir en France ou en Belgique. Les formations américaines étant bien trop chères.
Quelles sont tes principales influences ?
Au tout début, c’était beaucoup Moebius pour la passion du dessin, l'originalité du trait, l'espèce de monde qu'il a créé.
Métal Hurlant aussi. Un peu plus tard, beaucoup de comics de la nouvelle vague avec Frank Miller, John Romita. Alan Moore, etc. Toute cette vague de la fin des années 80. Et puis je me suis intéressé à l'âge d'or des comics bien plus tard. J'ai aussi lu beaucoup de mangas.
« Quand j'ai signé mon tout premier contrat avec DC, je n'en ai pas dormi de la nuit ! »
Que retiens-tu de ton expérience hollywoodienne, avec Noé ?
Ce n'est pas vraiment une expérience hollywoodienne. Disons que j'ai travaillé avec des gens d'Hollywood. C'est hyper surveillé, pas d'e-mail, tout est géré avec des serveurs spéciaux. Ce fut une expérience positive. Darren Aronofsky (le réalisateur du
film Noé, ndlr.) a scénarisé la BD mais n'est pas scénariste de BD à la base. Ce qui a demandé quelques ajustements. Pour
Noé, il me faisait passer le
screenplay que je devais transformer pour l'adapter au format bande-dessinée. Concernant le film, ce n'est pas mon film préféré d'Aronofsky, mais je l'aime bien. Je n'ai jamais réussi à le regarder de manière complètement zen. La première fois que je l'ai vu, je me demandais comment ils allaient faire les scènes que j'avais dessinées.
Est-ce que bosser avec Marvel ou DC Comics est-il aussi génial que cela en a l'air ?
Après toutes ces années, je ne le vois plus comme ça. Cela dit, quand j'ai signé mon tout premier contrat, c'était avec DC. Je n'en ai pas dormi de la nuit ! C'était pour dessiner
Vertigo. Ils travaillaient sur cette série avec beaucoup de scénaristes et dessinateurs du Royaume Uni. Mon tout premier contrat, c'était un spin-off de
Sandman. Je suis passé ensuite chez Marvel Comics après le succès des
Seigneurs de Bagdad, qui m'a fait remarquer. C'est là que j'ai commencé à dessiner des super-héros comme les X-men, Spider-Man, les 4 Fantastiques...