Paul Tremblay : l’auteur de La Cabane aux confins du monde, adapté au cinéma par M. Night Shyamalan
« Il faut lire. Lire, lire et encore lire. »
Romancier américain évoluant dans le genre fantastique horreur, Paul Tremblay est déjà l’auteur de sept romans et de nombreuses nouvelles comme Possession, Le Chant des Survivants et bien sûr le récent La Cabane aux confins du monde, adapté à l’écran sous le titre Knock At The Cabin par M. Night Shyamalan.
Salué par ses pairs, dont Stephen King, qui ne tarit pas d’éloges à son propos, Paul Tremblay a remporté à plusieurs reprises le prestigieux prix Bram Stocker et s’impose aujourd’hui comme un auteur majeur de la littérature américaine. Un romancier inspiré et inspirant qui a accepté de répondre à nos questions…
Quel genre d’élève étiez-vous au lycée ?
J’étais un bon élève, du moins assez calme. Je suivais toutes les règles et faisait tout ce qu’on me demandait. Je n’étais pas un adolescent très confiant et sociable donc mes années au lycée ont principalement consisté à garder la tête baissée. J’ai pris beaucoup plus d’assurance et je suis vraiment devenu moi-même à l’université.
Vous avez un Master en mathématiques, que vous avez par la suite enseignées et pourtant, vous travaillez aujourd’hui dans les lettres. Les mathématiques jouent-ils néanmoins un rôle dans votre processus créatif ?
J’ai enseigné les mathématiques au lycée pendant plus de 25 ans. Je suis actuellement en congés sabbatique. C’est la première fois depuis que j’ai 3 ans que je ne suis pas à l’école. C’est d’ailleurs un peu étrange pour être honnête.
Avant tout, l’enseignement des mathématiques a été pour moi une manière de m’assurer une certaine sécurité financière. Cela m’a permis parallèlement d’apprendre à écrire, d’apprendre comment je voulais écrire et sur quels sujets je voulais le faire, à mon rythme. Je me suis toujours dit que si mes écrits ne fonctionnaient pas, j’aurais toujours un travail et une déplorable assurance maladie américaine.
Cela dit, peut-être que j’aborde mon écriture d’une manière plus analytique que d’autres écrivains. J’aimerais faire partie de ces écrivains qui arrivent à rédiger rapidement un brouillon et le réécrire plusieurs fois mais j’en suis incapable. J’écris lentement. Habituellement, je me fixe comme objectif quotidien d’arriver à écrire 500 mots. Le lendemain, j’y reviens, je retravaille les mots de la veille et je passe à autre chose. Si j’écris un roman, je reviens généralement au début du chapitre ou du saut de page et j’ajoute des éléments. J’avance plutôt lentement. Ainsi, quand j’ai un brouillon complet, il a déjà été quelque peu réécrit et retravaillé.
Avez-vous toujours voulu être un écrivain ? Comment vous est venue votre vocation ?
Quand j’étais enfant, je voulais être Larry Bird (un basketteur star de la NBA connu pour son agilité au tir ayant officié chez les Boston Celtics de 1979 à 1992. ndr) mais ce n’est pas arrivé. J’ai ensuite voulu devenir une star du punk ou du rock mais malheureusement, ce n’est pas arrivé non plus. Quoi qu’il en soit j’ai essayé et aujourd’hui, je me dis qu’au moins, je sais jouer de la guitare.
Je ne suis pas tombé amoureux de la lecture avant d’avoir 22 ans, quand j’étais à l’université. Pour un cours, j’ai lu Where Are You Going, Where Have You Been ? : Stories of Young America, de Joyce Carol Oates. Je me souviens avoir pensé « je ne savais pas que des gens pouvaient écrire des histoires comme celle-là ». Peu de temps après, ma petite amie (qui est aujourd’hui devenue mon épouse) m’a offert Le Fléau, de Stephen King. Ces deux histoires m’ont transformé en lecteur passionné et vorace. Après deux ans d’études des mathématiques durant lesquelles j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver de King, de Peter Straub, de Clive Barker et de Shriley Jackson, l’envie d’essayer à mon tour d’écrire une histoire a commencé à me démanger.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune lycéen qui aimerait devenir écrivain ?
Il faut lire. Lire, lire et encore lire. J’ai appris à écrire en lisant et en lisant un peu de tout. Je lis entre 60 et 80 livres par an depuis 2000.
Soyez également patient et n’espérez pas devenir excellent (ou en tout cas aussi bon que vous l’espérez) rapidement. Soyez bienveillant envers vous-mêmes. Il y a de l’honneur et de la valeur dans le processus même de l’écriture, même si à la fin, les histoires que vous écrivez ne vous semblent pas convaincantes.
Votre roman, Possession, réinvente brillamment certains thèmes au centre de L’Exorciste, le livre de William Peter Blatty. Comment avez-vous eu l’idée de ce roman ?
Merci ! J’ai eu l’occasion de lire un livre qui regroupait des essais sur le film L’Exorciste (The Exorcist : Studies in the Night Film, Centipede Editions). La plupart de ces essais portaient sur la politique du film et sur l’époque à laquelle il est sorti. Je n’avais jamais pensé à ce film en ces termes auparavant et cela m’a encouragé à me demander comment je pourrais moi-même écrire une histoire de possession. Ma réaction immédiate a été d’aborder ce sujet d’un point de vue sceptique/laïc, tout en restant dans un dialogue avec William Peter Blatty, l’auteur du roman et les films d’horreur en général. Par la suite, j’ai trouvé l’idée des deux sœurs et le livre s’est vraiment développé à partir de là. J’ai eu beaucoup de chance que l’idée me soit venue si vite.
Dans Le Chant des Survivants, que vous avez écrit avant la pandémie de Covid-19, vous décrivez avec une acuité étonnante des événements qui, d’une certaine façon, se sont véritablement produits (les gouvernements dépassés, les théories du complot, etc.). Comment avez-vous réussi à être aussi clairvoyant ?
Et bien je pense que nous savions tous, tout en le craignant, que tôt ou tard, nous serions amenés à vivre une pandémie. Tout ce qui dans le livre relève des prédictions d’un point de vue médical est à mettre au crédit de ma sœur Erin, qui est infirmière dans un grand hôpital de Boston. Je me suis appuyé sur elle pour effectuer les recherches afin d’établir comment un hôpital pourrait réagir face à une épidémie de grande ampleur. En 2014 déjà, Erin avait eu une brève frayeur avec le virus Ebola. Elle pensait que son hôpital pourrait bien être celui où les patients seraient envoyés, bien que personne n’ait vraiment été formé pour les recevoir et les soigner. Son expérience a été intégrée au roman.
Concernant les réactions des gouvernements et l’émergence des théories du complot, j’ai l’impression que ce n’était pas très difficile à prédire, honnêtement. Je pense même au contraire que j’ai sous-estimé à quel point l’administration Trump pouvait se montrer horrible et à quel point les conspirateurs prendraient de l’importance dans un tel contexte.
« Quand j’écris un roman, je ne peux pas m’empêcher de faire en sorte que les histoires, qu’elles comportent ou non des éléments surnaturels, restent connectées avec le réel. »
Possession et Le Chant des Survivants sont, d’après moi, marqués par leur côté réaliste. Malgré les éléments fantastiques et horrifiques très présents dans l’histoire, vous semblez attaché à la réalité. La peur que vos histoires encouragent n’en devient alors que plus grande. Pouvez-vous nous en parler ?
Merci. Quand j’écris un roman, je ne peux pas m’empêcher de faire en sorte que les histoires, qu’elles comportent ou non des éléments surnaturels, restent connectées avec le réel. Que ferait une famille en difficulté financière si elle pensait que sa fille était peut-être possédée ? Comment pourrions-nous faire face à des zombies très proches des humains ? Pour cela, je mets les personnages au centre des histoires. Si elles fonctionnent, c’est donc avant tout grâce aux personnages.
Si jamais j’étais amené à vivre un événement surnaturel, je pense que ce serait vraiment subtil. Comme un dérapage. J’aurais probablement du mal à savoir ce qui s’est passé et j’essayerais certainement de le rejeter ou de l’expliquer de manière rationnelle. C’est la ligne de conduite que j’essaie de suivre dans beaucoup de mes livres.
Votre roman, La Cabane aux confins du monde vient juste de sortir en France. Le film que M. Night Shyamalan en a tiré aussi. Film qui reste d’ailleurs très proche de votre livre. M. Night Shyamalan vous a-t-il consulté durant la production ?
Il m’a posé quelques petites questions mais je n’ai pas été consulté au sujet du scénario qu’il a écrit. Pour la plupart d’entre nous, les romanciers qui voient leurs livres être adaptés, nous nous contentons de remettre nos romans, nous leur disons au revoir et nous espérons qu’ils nous reviendront intacts ha ha.
Mais oui, sinon, le film reste en effet fidèle au livre jusqu’au troisième acte.
« Pour moi, ce fut une opportunité incroyable de voir travailler les acteurs, M. Night Shyamalan et toute son équipe. »
J’ai lu que vous aviez eu l’opportunité de vous rendre sur le plateau de tournage. Est-ce que le fait d’assister au processus de production vous a un peu rassuré quand au fait que votre histoire allait être respectée ?
J’y suis allé parce qu’on m’a invité. Je n’avais pas d’arrière-pensée dans la mesure où l’histoire est restée la même. Il y a un dicton aux États-Unis : « ce cheval avait déjà quitté la grange ». Même si je n’ai ni cheval ni grange.
Pour moi, ce fut une opportunité incroyable de voir travailler les acteurs, M. Night Shyamalan et toute son équipe. Je n’avais jamais été sur un plateau de tournage auparavant alors me rendre sur celui du film qui adaptait mon roman ! J’ai vraiment apprécié la visite. Tout le monde a été très aimable et plein d’attentions à mon égard.
Vous avez écrit au sujet des démons, d’un virus, de la fin du monde mais qu’est-ce qui vous effraie le plus ? J’ai l’impression, en lisant vos livres, qu’au fond, rien n’est aussi effrayant que l’être humain…
Tout me fait peur. Je fais encore des cauchemars peuplés de monstres et de démons. Les gens bien sûr, peuvent être effrayants, compte tenu des horreurs indescriptibles dont il se sont révélés coupables tout au long de notre sanglante histoire. Pourtant, les gens peuvent aussi être nobles et héroïques.
Je suis fasciné par les décisions que peuvent prendre les gens, en particulier dans une histoire d’horreur, car c’est dans ce contexte qu’ils se voient poser les questions les plus difficiles.
Pour finir, pouvez-vous choisir un livre, un album, un film et une série TV ?
Livre : Notre part de nuit, de Mariana Enriquez (aux éditions Points chez nous)
Album : Zen Arcade, de Hüsker Dü
Série : The X-Files ou Hannibal.