Peter Farris : le nouveau maître du roman noir
Ancien étudiant de la prestigieuse université de Yale, Peter Farris est aujourd’hui l’un des écrivains américains les plus passionnants. Auteur de romans comme Dernier appel pour les vivants, Le Diable en personne et Les Mangeurs d’argile, il revient aujourd’hui avec Le Présage, son nouveau livre, édité comme les précédents chez Gallmeister.
Porté sur le heavy metal et la contemplation d’une nature qu’il sait rendre tour à tour inquiétante et fascinante, Peter Farris n’a pas manqué d’impressionner son monde avec son dernier roman en date. Intitulé Le Présage, celui-ci prend place dans une Amérique plus divisée que jamais, au sein de laquelle des personnages tentent d’œuvrer pour le bien. Un auteur de talent qui a accepté de nous accorder un peu de son temps pour une interview où il est question du métier d’écrivain, de son dernier roman mais aussi de musique !
« Toute activité créative est une loterie et je pense qu’il est important de contrôler ses attentes. »
Quel genre d’élève étiez-vous au lycée ?
J’étais un peu un original. J’aimais la musique mais j’étais vraiment concentré sur mes études et sur le sport. Je n’étais quoi qu’il en soit pas cool du tout. Le basket-ball était toute ma vie mais je prenais les études très au sérieux et j’ai eu de bonnes notes tout au long de mes années lycée.
Vous avez étudié à Yale. Ici en France, l’université de Yale est sujette à beaucoup de fantasmes véhiculés par le cinéma et les séries TV. Pourriez-vous nous raconter votre expérience ?
C’est un endroit spécial qui grouille de gens brillants. J’ai été étonné par l’assurance et l’intelligence de plusieurs de mes camarades de classe. Yale offrait alors et offre toujours d’impressionnantes possibilités concernant les études. Après bien sûr, il y avait aussi quelques sociopathes qui ont fini à Wall Street et en politique (rires).
Comment es-tu devenu écrivain ?
Mon père était romancier. J’ai donc grandi au son de la machine à écrire dans notre maison. Après l’université, j’ai commencé à prendre au sérieux l’écriture de fiction et j’ai aussi commencé à lire avec un but, tout en écrivant des paroles de chansons, de la poésie… puis de la fiction courte et finalement un roman. Ce n’était pas génial mais avec le recul, je me rends compte que je traversais alors une période d’apprentissage indispensable pour quiconque veut écrire de la fiction. Cela dit, c’est quand j’ai découvert les écrits de Larry Brown, Flannery O’Connor puis Cormac McCarthy pour la première fois que j’ai réalisé les possibilités qu’offrait la fiction.
Quel conseil donneriez-vous à un lycéen qui veut devenir écrivain ?
En ce qui concerne la fiction… Apprenez un métier ou poursuivez une carrière et écrivez par passion, sans vous soucier de rechercher la gloire et la fortune. Toute activité créative est une loterie et je pense qu’il est important de contrôler ses attentes. Le talent et le travail acharné sont importants mais lorsqu’il s’agit de vivre d’une activité artistique comme l’écriture, je pense que le succès (quelle que soit votre définition) peut dépendre uniquement de la chance.
Votre premier roman, Dernier appel pour les vivants, est, je crois, inspiré d’un événement survenu alors que vous travailliez dans une banque. Pouvez-vous nous en parler ?
Je venais de sortir de la fac. Je jouais dans un groupe (Peter Farris est le chanteur du groupe de metal Cable. Ndr) et je travaillais dans une banque. J’étais en poste depuis quelques semaines quand la banque a été prise pour cible par un cambrioleur. Un homme ivre a fait irruption avec une arme à feu dans sa poche, a fait passer une note et l’enfer s’est déchaîné. La police, le FBI… Beaucoup d’agitation. Heureusement, personne n’a été blessé mais j’ai su après cette expérience que je voulais écrire un roman sur ce cambriolage.
Vous faites partie de Cable, un groupe de metal. Séparez-vous complètement cette activité de celle de romancier ou considérez-vous que les deux sont liées ?
Du côté de Cable, la porte est ouverte. S’ils décident d’écrire un nouvel album… Je chérie cette opportunité. Cela dit, je suis quand même globalement à la retraite de mon activité de hurleur (rires). Je pense qu’écrire des paroles de chansons et écrire de la fiction sont étroitement liés. Ces deux activités font partie du plus grand continuum d’être un conteur d’histoire.
Je trouve que votre musique véhicule le genre d’ambiance que l’on retrouve parfois dans les recoins les plus sombres de vos livres. Le Présage en particulier, est marqué par une noirceur abyssale. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas eu à travailler dur pour retranscrire la terreur et la tension que l’on retrouve dans Le Présage. Je l’ai écrit pendant les jours les plus sombres de la pandémie et ce malaise et ce désespoir étaient toujours présents d’un chapitre à l’autre. Mauriac a écrit que ses personnages venaient des parties les plus confuses et troublées de son esprit et c’est particulièrement vrai concernant ce roman. En plus de l’atmosphère sinistre d’alors…
Vous faites du heavy metal mais vous considérez-vous comme un écrivain metal ?
Le côté metal est vraiment subjectif je pense mais oui, je n’écris pas de mignonnes comédies ou des romances. Je n’ai rien contre ce type de livre mais mon travail tend vers l’obscurité… et la nature. Parce que nous savons tous que la nature est metal.
Comment est né votre nouveau roman Le Présage ? L’histoire contient de perturbants éléments qui font écho à la situation actuelle dans le monde.
J’ai été inspiré à l’origine par l’histoire d’un homme originaire de Géorgie du Sud qui dirigeait la quincaillerie familiale tout en menant une vie « secrète » en tant que photographe. Il se promenait dans la ville avec son appareil photo, documentant les personnes qu’il aimait, tout en travaillant dans son commerce. J’ai construit le personnage de Toxey à partir de lui. Mais tout le reste vient vraiment de mon subconscient et renvoie à la double calamité Trump-pandémie. Le roman illustre mon inquiétude à propos de mon fils. Quel genre de personne sera-t-il et dans quel genre de monde ?
Mettre en évidence : « Je n’écris pas de mignonnes comédies ou des romances. Je n’ai rien contre ce type de livre mais mon travail tend vers l’obscurité… »
Souvent, dans vos écrits, la noirceur est à l’ordre du jour. Cela dit, la lumière parvient malgré tout à filtrer. Tout particulièrement dans Le Diable en personne et peut-être plus discrètement dans Le Présage.
La fin du livre m’a donné du mal mais j’ai suivi mon instinct et mon subconscient et il me semblait juste de conclure avec le court chapitre sur le personnage de Shorty Teague. Je ne voulais pas que Le Présage soit un roman à usage unique. J’espère que cela donnera aux lecteurs matière à débattre et à analyser. Je dois dire que je ne comprends pas totalement ce roman mais je devais l’écrire car cela avait du sens.
L’histoire du Présage s’étale sur plusieurs décennies. Cependant, j’ai l’impression qu’à la fin, le message est un peu le suivant : plus les choses changent et plus elles restent les mêmes…
Il y a de ça en effet. D’un autre côté, le livre souligne aussi la question de notre destin face à une dure réalité et celle qui est relative à notre date d’expiration en tant qu’espèce. Le Présage m’a permis à bien des égards de concilier les côtés nihilistes et pessimistes de ma nature.
Quel genre d’écrivain êtes-vous ? Écrivez-vous régulièrement, tous les jours ? Suivez-vous une méthode particulière ou laissez-vous votre instinct vous guider ?
Quand je suis dans le « groove », j’essaye de trouver 3 ou 4 heures dans la journée pour écrire et je pense en permanence au roman sur lequel je suis en train de travailler. Sinon, j’essaye de trouver des petits moments pour noter une ligne de dialogue qui permet d’ouvrir une scène ou d’esquisser un chapitre pour l’étoffer plus tard. Quoi qu’il en coûte. Le premier brouillon est toujours le plus difficile. C’est à ce moment-là qu’il faut fournir le gros du travail. Après, j’ai hâte d’en finir pour pouvoir passer à la partie amusante, à savoir l’édition.
Concernant l’écriture, quelles sont vos influences principales ?
Cormac McCarthy, Larry Brown, Flannery O’Connor, Harry Crews et Ron Rash figurent dans mon Mont Rushmore.
Et maintenant, quelques questions rapides !
Megadeth ou Metallica ?
Avec tout le respect que j’ai pour Megadeth, impossible de surpasser Ride The Lightning de Metallica. Stephen King ou Dean Koontz ?
Stephen King John Fante ou Charles Bukowski ?
John Fante
Ozzy Osbourne ou Ronnie James Dio ?
Ahhhhh… Les 6 premiers albums de Black Sabbath son sacrés mais Mob Rules et Heaven and Hell sont vraiment spéciaux pour moi. Je choisis donc Ozzy mais avé Ronnie James Dio !
Motörhead ou AC/DC ?
Une autre question difficile… Motörhead !
Cannibal Corpse ou Morbid Angel ?
Cannibal Corpse a sa place dans l’histoire du death metal et j’apprécie leur musique (tout spécialement au moment d’Halloween, ma fête préférée), mais je choisis Morbid Angel… jusqu’aux disques de Steve Tucker (Formulas Fatal to the Flesh et Gateways to Annihilation). L’album Blessed are the Sick fait aussi partie de mes préférés de tous les temps. Chanter ou écrire ?
Écrire Henry Rollins ou Glenn Danzig ?
Waouh, encore un choix difficile. Black Flag (le groupe d’Henry Rollins. Ndr) est essentiel dans ma vie (j’ai même un tatouage Black Flag), mais le groupe est plus grand qu’Henry Rollins. J’adore les Misfits, Samhain et les quatre premiers albums de Danzig. Je choisis donc Glenn Danzig.
Écrire en silence ou en musique (et quel genre de musique) ?
Toujours en musique. De l’ambiant, des musiques de films… Mais oui, il y a toujours de la musique quand je travaille.
Et finalement…
Un livre ?
Luminous Spaces: Selected Poems & Journals, d’Olay Hauge (non publié en France)
Un album ?
Soundtracks for the Blind, de Swans
Une chanson ?
Echoes, de Pink Floyd
Un film ?
Vers la joie, d’Ingmar Bergman
Une série TV ?
Twin Peaks
Tous les livres de Peter Farris sont disponibles aux éditions Gallmeister.
Crédits photos : Gallmeister/Peter Farris