Depuis (beaucoup) plus d’un siècle, la science-fiction fait rêver. Aujourd’hui, elle multiplie les gros succès de librairie et s’est fait une place chez les ados. Elle est en revanche moins connue et appréciée des amoureux de la littérature, qui lui reprochent bien des défauts, y compris ceux qu’elle n’a pas.
Tentons tout d’abord une courte définition de la S-F : elle met en scène, dans des espaces-temps variables (Terre du futur proche ou lointain, galaxie(s), …) des faits imaginaires en partie non compatibles avec la science, mais dépendants de celle-ci et de découvertes récentes lorsqu’elles ouvrent la voie à des spéculations propices à l’imagination.
Dès le IIe siècle déjà !
Partant de là, qui a inventé le genre ? La réponse risque de vous surprendre (et vos profs aussi !) : c’est Lucien de Samosate qui, le premier, à la fin du II
e siècle, imagine dans son Histoire véritable une conquête de l’espace à l’occasion de laquelle on découvre sur la Lune un peuple plus avancé que les Terriens !
Il faut ensuite attendre le XVII
e siècle et Francis Godwin (
L’Homme dans la Lune), le grand astronome Kepler (
Somnium, premier essai de « hard S-F ») ainsi que Cyrano de Bergerac et ses histoires comiques des Etats et Empires de la Lune puis du Soleil, pour voyager à nouveau dans l’espace. Dans la foulée, Fontenelle disserte dans ses
Entretiens sur la pluralité des mondes habités (1686), puis Voltaire fait venir des extraterrestres en provenance de Saturne et Sirius, avec
Micromégas (1752).
Comme quoi, la S-F n’est pas un caprice de gratte-papier à l’imagination trop fertile mais, dès ses débuts, un genre cultivé par les fines plumes et les grands esprits…
De Frankenstein à Jules Verne
La S-F se conjugue aussi au fantastique, aujourd’hui comme par le passé : c’est le cas dans
Frankenstein de Mary Shelley (1817), d’ailleurs souvent considéré comme le premier véritable roman de S-F car son scénario ne relève pas du simple surnaturel mais d’une expérience scientifique. Stevenson en donnera une autre illustration avec
Docteur Jekyll et Mister Hyde (1886).
Dans le même temps, fin XIX
e, la S-F va accroître sa popularité avec H.G. Wells (
La machine à explorer le temps, La guerre des mondes,…) et bien sûr Jules Verne (
De la Terre à la Lune, La Journée d'un journaliste américain en 2889, L'Île à hélice,…).
Un terme inventé en… 1851
Au début du XX
e, le genre se cherche un nom : Rosny aîné parle de « roman scientifique », Wells de « scientific romance » et Gernsback de « scientifiction » : mais c’est lui qui vulgarise en 1929 le terme définitif de « science fiction » emprunté à un certain William Wilson, qui l’a utilisé pour la première fois en… 1851 ! Il ne s’imposera qu’à partir des années 50, notamment en France où il est en concurrence avec le terme « anticipation ».
La France est d’ailleurs la patrie de la S-F de la deuxième moitié du XIX
e à 1940, avec Jules Verne, Rosny aîné et biens d’autres, qui ouvriront la voie à des talents tel que celui de René Barjavel. Pourtant, c’est aux Etats-Unis que le mouvement devient véritablement populaire : première revue spécialisée en 1926, première anthologie en 1937, première convention internationale de fans en 1939... La S-F n’est alors qu’une littérature de magazine, mais elle accède pleinement au livre dans les années 40. Elle n’est pourtant pas encore un genre, mais plutôt une « sous-culture ».
Elle gagne progressivement ses lettres de noblesse avec l’arrivée de grands auteurs (Ray Bradbury parmi d’autres), jusqu’à être enfin reconnue comme littérature en 1970 lorsqu’est fondée la première association de chercheurs en science-fiction. Il faut également reconnaître le rôle joué en France par Gérard Klein, directeur de la collection dédiée à la S-F chez l’éditeur Robert Laffont, qui a largement contribué à l’essor de la S-F comme littérature.
Un reflet des angoisses du moment
Contrairement à une idée reçue, la S-F n’est pas qu’un récit distrayant qui projette le lecteur dans des mondes imaginaires, mais elle reflète bien souvent les préoccupations d’une époque :
Micromégas est ainsi un prétexte à dresser le tableau d’un monde déraisonnable. Les
Chroniques martiennes (Ray Bradbury) donnent à penser sur le rapport à l’autre.
Plus globalement, la S-F se fait l’écho des angoisses ou des espérances de son temps : de la même manière qu’aux XVI
e et XVII
e siècles, Thomas More ou Francis Bacon pensaient les sociétés idéales dans l’
Utopie (1516) et
La Nouvelle Atlantide (1627), la S-F continue de projeter les utopies, mais aussi les contre-utopies, certaines annonçant d’ailleurs des sociétés totalitaires (
Le meilleur des mondes de Huxley en 1932,
1984 de Georges Orwell en 1949).
Aujourd’hui, ce sont risques technologiques et environnementaux qui stimulent l’imagination des auteurs. Espérons qu’ils seront moins prophétiques que Jules Verne…
F.C