Platon et La République – partie 2

Dans un précédent article, nous avons vu que dans La République, Socrate tente d’esquisser les traits de la Cité idéale et définir la justice. Dans le premier livre, il se confronte aux idées de Céphale, de Polémarque et de Thrasymaque, ce dernier affirmant que la justice n’est rien d’autre que l’intérêt du plus fort. Socrate, quant à lui, affirme que le juste est sage et bon et que sa vie est plus heureuse que celle de l’injuste.
Plongeons-nous à présent dans les livres 2 à 7 de La République, à la rencontre de philosophes-rois, d’hommes forgés dans le fer et d’autres capables de contempler le monde des Idées.
Livre 2 : l’injuste est-il gagnant ?
Pour étudier la justice, les protagonistes s’interrogent sur les avantages et les inconvénients qu’elle procure face à l’injustice. Glaucon se prête à l’exercice et défend l’idée selon laquelle il vaut mieux pratiquer l’injustice, car la vie de l’injuste est supérieure à celle du juste. En effet, l’individu injuste qui se fait passer pour juste acquiert une bonne réputation auprès des hommes et cumule même des privilèges qui lui permettent de réparer ses fautes auprès des dieux par des dons et des sacrifices. “Évoquons à côté de lui l’homme juste, […] qui ne consent pas à seulement paraître homme de bien, mais qui veut être tel”, propose Glaucon. Celui-ci, “dépouillé de tout, sauf de la justice”, n’en tirera pas les honneurs et se retrouvera donc en moins bonne posture que l’injuste.
Socrate propose d’étendre la recherche de la justice à la cité pour ensuite poursuivre le raisonnement de la même manière dans l’individu pris séparément. Les individus sont impuissants à se suffire à eux-mêmes quand il s’agit de leurs besoins principaux : manger, se loger, se vêtir. Les premières fonctions de la cité sont donc celles de l’agriculture, de la maçonnerie et du tissage. Pour permettre à chacun de profiter des aptitudes des autres, il faut introduire des commerçants, des marchands et des négociants. Or, la création de richesses amène nécessairement un désir de possession dont résulte inévitablement la guerre. Il faut donc que la cité forme des gardiens.
Pour Socrate, il faut que les gardiens soient “doux à l’égard des leurs, tout en étant hostiles à leurs ennemis”. Pour leur éducation, il faut choisir avec soin les fables racontées aux futurs gardiens, car “l’enfant ne peut discerner ce qui est allégorie et les opinions qu’il reçoit à cet âge deviennent d’ordinaire indélébiles et inébranlables”.
Livre 3 : d’or, d’argent ou de fer
Après avoir éloigné tout ce qu’il faut supprimer des fables, les protagonistes en arrivent à la conclusion que les poètes doivent proposer des récits de forme simple qui célèbrent les vertus nécessaires aux gardiens. Pour ce qui est des gouvernants, il faut les choisir parmi les vieux gardiens, ceux d’entre eux qui ont de l’autorité et de l’intelligence et qui sont dévoués à l’intérêt public.
Pour que chacun joue son rôle sans en déroger et sans le remettre en question, il faut créer un mythe fondateur. Ainsi, les gouvernants et les magistrats appartiennent à la race d’or ; les gardiens appartiennent à la race d’argent ; les artisans et les laboureurs appartiennent à la race de fer.
Livre 4 : sagesse, courage, tempérance
Les protagonistes en arrivent à conclure que la Cité idéale possède trois vertus essentielles : la sagesse, qui permet aux gouvernants de faire preuve de prudence dans leurs délibérations ; le courage, qui fait les bons guerriers ; la tempérance, qui est assurée par la classe inférieure. Ces trois vertus sont nécessairement complétées par la justice, définie ici comme le principe qui ordonne à chacun de remplir sa propre fonction.
“Ne devons-nous pas, dit Socrate, reconnaître nécessairement que ces trois mêmes espèces et ces habitus qui se trouvent dans la cité existent aussi en chacun de nous ?”. Ainsi, en harmonisant les trois principes qui l’animent – le plus élevé, le plus bas et le moyen -, l’homme devient un être “entièrement unifié, modéré et en harmonie”. Il y a justice dans la cité comme dans l’âme lorsque chacune de ses parties assure la fonction qui lui est propre.
Livre 5 : les philosophes-rois
Imaginer une Cité idéale, c’est une chose. Mais celle-ci est-elle réalisable ? Pour qu’elle le soit, il faudrait, selon Socrate, que les philosophes deviennent rois ou les rois philosophes. Il définit les philosophes comme ceux qui aiment le spectacle de la vérité, qui contemplent les essences des choses. Par exemple, le philosophe ne se contente pas d’apprécier les choses belles mais cherche à aller vers le beau lui-même. Ceux qui s’arrêtent aux belles choses sont quant à eux des rêveurs.
“Par conséquent, n’aurions-nous pas raison d’affirmer que sa pensée est connaissance, parce qu’elle est la pensée de quelqu’un qui connaît, et que celle de l’autre est opinion, puisqu’il s’agit de la pensée de quelqu’un qui opine ?”, interroge Socrate.
Ici, se dessine la différence entre connaissance et opinion, entre ce qui est fondé sur la science et ce qui est fondé sur les apparences. Il existe deux types d’hommes : l’homme du commun qui aperçoit la multitude des belles choses mais n’aperçoit pas le beau et le philosophe qui lui se montre capable de s’élever à la contemplation des essences, comme la beauté et la justice.
Livre 6 : monde sensible et monde des Idées
Il faut donc que les philosophes gouvernent la Cité, car eux seuls sont capables d’atteindre la connaissance de l’immuable et d’appliquer les lois du bon, du beau et du juste. Pour cela, il faut qu’ils reçoivent une haute éducation au cours de laquelle ils devront chercher le modèle parfait dont devra s’inspirer la Cité.
Nous entrons ici dans l’une des idées fondamentales de La République et de la pensée de Platon, à savoir la distinction entre le monde sensible et le monde des Idées. Il existe le monde matériel et sensible, dans lequel vivent les hommes. Ce monde est un monde d’illusions dans lequel les choses changent et finissent par disparaître. Il existe également le monde des Idées, qui comporte les idées parfaites, les modèles parfaits des choses matérielles et sensibles. Les choses du monde sensible ne seraient qu’une forme dégradée de ces modèles parfaits, qui sont éternels et immuables.
Livre 7 : l’Allégorie de la caverne
Au livre 7, Socrate introduit L’Allégorie de la caverne, une métaphore du chemin qu’empruntent les hommes pour accéder à la connaissance, au monde des Idées. Il imagine des hommes enchaînés dans une caverne, le regard porté vers le mur du fond. Derrière eux, des “montreurs” projettent des ombres au fond de la grotte. Les hommes, enchaînés ici depuis leur naissance, n’ont jamais rien vu d’autre que ces ombres, qui sont la seule réalité qu’ils connaissent.
Imaginez alors que l’un d’entre eux soit détaché et amené à l’extérieur. Ébloui, il souffrira d’abord de la lumière et voudra retourner dans la caverne. Mais, très vite, des ombres puis des objets se distingueront. Ici, l’obscurité de la caverne renvoie symboliquement l’ignorance, mise en opposition avec la lumière qui, elle, est associée à la connaissance et à la vérité. Cet homme qui sort de la caverne représente le philosophe, celui qui est capable de percevoir ces fameuses essences du monde des Idées. Pour une analyse plus en détail de ce très fameux passage de La République, consultez notre article dédié à l’Allégorie de la caverne.
Les philosophes-rois doivent, selon Socrate, doivent recevoir une éducation spécifique, dont la discipline centrale est la dialectique. Elle est pour lui au sommet de la hiérarchie des connaissances. Elle vise en effet à confronter plusieurs positions de manière à dépasser l’opinion pour parvenir à la vérité. Ainsi, le dialecticien “saisit pour chaque chose la raison de son essence”.
Dans un prochain article, nous nous pencherons sur les derniers livres de La République, dans lesquels Socrate tâchera de nous convaincre des bienfaits de la justice.
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