Ramata Kapo : « Quand on parle d’excision, on parle avant tout de sexualité »
Parler, faire tomber les tabous, sensibiliser, lutter contre les violences faites aux femmes… Telles sont les missions de l’association Excision, parlons-en ! Au sein d’un réseau engagé, les bénévoles luttent au quotidien pour faire évoluer les mentalités et pour protéger le corps des femmes. Vivre au lycée est allé à la rencontre de la présidente de l’association, Ramata Kapo, qui nous a rappelé le rôle central que les jeunes ont à jouer. Parlez-nous de l’association Excision, parlons-en ! Comment est-elle née ? Excision, parlons-en ! est une association créée en 2013 par plusieurs experts qui travaillaient sur la thématique des Mutilations sexuelles féminines (MSF). Elle a été créée dans le but de contribuer à fédérer des associations et d’autres personnes morales ainsi que des personnes physiques sur la thématique de l’excision en France et dans le monde, et sur la défense des droits humains et des droits des femmes en particulier. Ces personnes ont souhaité créer un réseau d’associations travaillant sur les violences faites aux femmes, et plus particulièrement les MSF, pour ensemble mettre en place des actions pour lutter et pour parler de cette thématique. C’est d’ailleurs de là que vient le nom de l’association. Toutes les personnes qui travaillent au sein de l’association sont des bénévoles, nous n’avons aucun salarié. C’est quelque chose pour lequel on donne de notre temps en parallèle de nos vies familiales et professionnelles. De quoi parle-t-on exactement quand on parle d’excision ? Le terme “excision” est couramment utilisé pour parler des Mutilations sexuelles féminines (MSF). Mais si l’on veut être précis, il faut expliquer que l’excision est une forme de mutilation qui rentre dans les différentes MSF. Quand on parle d’excision, on parle avant tout de sexualité. Parce que ce qui se cache derrière les MSF, c’est le contrôle de la sexualité des femmes et le maintien de la domination masculine. Dans les communautés qui pratiquent l’excision, il est considéré qu’elle permet de maintenir la virginité des femmes jusqu’au mariage : on estime qu’une femme avec un clitoris intact est une femme qui ne sait pas tenir ses ardeurs. Quelles sont les conséquences des Mutilations Sexuelles Féminines ? Est-ce qu’elles créent des problèmes à long terme ? Les mutilations sexuelles féminines n’ont que des effets négatifs. Pour commencer, il existe des risques au niveau de l’acte en lui-même. Les MSF sont, dans la plupart des cas, réalisées par des exciseuses traditionnelles dans des situations précaires, avec du matériel précaire. Sachant qu’elles sont faites sans anesthésie, les MSF sont de fait très douloureuses. Elles peuvent entraîner des saignements qui peuvent aller jusqu’à l’hémorragie et, dans certains cas, causer la mort de l’enfant ou de la jeune fille. Ensuite, tout au long de la vie peuvent survenir des problèmes de santé : des infections urinaires, des risques de MST, de stérilité. Pour une femme qui a subi l’une des formes les plus graves de mutilation, l’infibulation, au moment de l’accouchement cela peut provoquer des déchirures, voire la mort pour la maman et son enfant. Certains pays ont médicalisé les MSF de sorte que les excisions sont pratiquées dans les hôpitaux. Ce n’est pas une solution et cela peut s’avérer être même plus grave étant donné que les MSF sont pratiquées par des professionnels de santé qui savent exactement ce qu’ils font et qui mutilent au maximum les jeunes femmes. Il y a également des conséquences sexuelles pour les femmes. Le clitoris est un organe ayant une seule fonction : procurer du plaisir à la femme. Une fois mutilées, certaines d’entre elles ont des rapports sexuels très douloureux, parfois sans plaisir. Et, bien sûr, à ces conséquences physiques s’ajoutent des conséquences psychologiques. C’est un traumatisme qui peut avoir des conséquences très fortes, en fonction des individus : des angoisses, de l’anxiété, de la dépression. Sommes-nous concernés par l’excision en France ? Si oui, dans quelle proportion ? L’excision est pratiquée partout dans le monde, sur quatre continents sur cinq. A l’échelle mondiale, on estime que ce sont plus de 200 millions de femmes qui ont subi une excision. En France, plus de 125 000 femmes vivant sur le territoire ont vécu une excision. Soit elles ont subi une excision dans leur pays d’origine et elles sont arrivées en France par la suite, soit ce sont des jeunes filles françaises, nées sur le territoire français, qui se font exciser ou mutiler lors d’un retour dans le pays d’origine de leurs parents. En France, trois jeunes filles sur dix dont les parents sont issus de pays pratiquant l’excision sont à risque. C’est la raison pour laquelle notre association a mis en place depuis 2016 la campagne #AlerteExcision, destinée aux adolescentes de 12 à 18 ans. Est-ce que certains clichés ou idées préconçues persistent autour de la thématique des MSF ? Oui bien sûr ! Il y a énormément d’idées reçues. La première est que l’excision est un acte qui est dicté par la religion musulmane et qu’elle n’est pratiquée que par les musulmans. C’est complètement faux. L’excision est pratiquée par des musulmans, des chrétiens et des animistes. Il est aussi courant d’entendre dire que c’est le Coran lui-même qui préconiserait l’excision. C’est également faux, ce sont des interprétations des textes qui préconisent cela, pas le Coran lui-même. Autre idée reçue : l’excision n’est pratiquée qu’en Afrique. Il est vrai que sur le continent africain il y a beaucoup de pays qui pratiquent l’excision. Elle est toutefois pratiquée également au Moyen-Orient, sur le continent asiatique et aussi en Amérique latine. Encore une fois, les MSF concernent donc tous les continents. Elles ont même d’ailleurs été pratiquées dans certains pays européens jusqu’au XIXe siècle par des médecins qui cherchaient à guérir les femmes de “l’hystérie”. Pouvez-vous nous présenter les missions de votre association, Excision, parlons-en ! ? Nous avons plusieurs champs d’action qui se divisent autour de trois grandes thématiques : la mutualisation des expertises, le plaidoyer et la sensibilisation et la communication. La mutualisation des expertises vise à favoriser les synergies, à encourager le partage d’informations, l’échange de bonnes pratiques et la mutualisation des ressources entre les expert(e)s du réseau. Il y a ensuite un travail de plaidoyer auprès des institutions. L’objectif est de placer la lutte contre l’excision à l’agenda des décideurs publics. Pour nous, il s’agit de faire en sorte que la thématique de l’excision ne soit pas oubliée. C’est une thématique qui est très taboue puisqu’elle concerne la sexualité de la femme. Notre rôle est donc de faire en sorte que les tabous tombent. On parle au maximum des MSF et, surtout, on implique et on intègre dans notre combat les communautés qui sont concernées, sans les stigmatiser. On donne aux personnes directement concernées des outils pour qu’à leur tour elles puissent convaincre leur communauté qu’il faut poser les couteaux. Ensuite, nous faisons un important travail de sensibilisation et de communication auprès du grand public et des publics à risque, notamment des jeunes de 12 à 18 ans. On doit les informer sur la pratique, ses dangers et comment la prévenir. Nous faisons notamment des interventions directement au sein des collèges et des lycées pour informer et sensibiliser sur la thématique des MSF. A ces trois missions principales s’ajoute travail de formation auprès d’acteurs de terrains et de professionnels. Les médecins, gynécologues et autres personnels de santé ne sont pas tous au fait des MSF. Nous proposons donc des formations auprès de ces professionnels pour leur donner les outils pour pouvoir parler de l’excision auprès des publics concernés. Concrètement, que pourraient faire des lycéens qui voudraient s’engager et agir en rapport avec cette thématique ? La première chose, la plus évidente, serait d’en parler autour d’eux et de partager l’information. Ils peuvent le faire en nous suivant sur nos réseaux (Instagram, Facebook, Twitter, TikTOK), en partageant nos informations et en prenant eux-mêmes la parole. Pour accompagner les jeunes qui souhaitent s’emparer du sujet, nous avons mis en place le programme Ambassadeurs. Il existe un Guide de l’Ambassadrice et l’Ambassadeur qui est disponible sur notre site internet. Et s’ils souhaitent mettre en place des actions concrètes au sein de leurs établissements, nous pouvons les accompagner. J’ai beaucoup été sollicitée par des lycéens et des étudiants pour organiser des séances de sensibilisation auprès de leurs camarades sur la thématique des MSF. Les jeunes peuvent également adhérer à notre association et nous accompagner ponctuellement sur nos missions de plaidoyer, de communication, de sensibilisation ou sur divers autres événements. Vers qui se tourner si on est concerné par l’excision ou qu’on connaît quelqu’un qui l’est ? Comment se faire aider ? Si des jeunes femmes sont concernées ou ont des questions ou des craintes, elles peuvent nous contacter directement sur nos réseaux sociaux ou à l’adresse contact@excisionparlonsen.org. Nous sommes en effet très souvent sollicités par des femmes ou des jeunes femmes qui sont concernées par le sujet. Quand on nous sollicite, nous réorientons vers nos associations adhérentes, vers des structures qui peuvent accompagner les femmes, notamment si elles souhaitent avoir un accompagnement médical (physique ou psychologique). Venez, posez-nous les questions et nous vous accompagnerons le mieux possible. Donnez-nous un exemple d’action mise en place par votre association au cours des dernières années ? Depuis 2016, nous avons mis en place la campagne Alerte Excision, qui s’adresse plus spécifiquement aux jeunes filles de 12 à 18 ans. Tous les ans, nous créons un clip vidéo dans lequel nous sensibilisons les jeunes et leur partageons de l’information par rapport à la thématique des MSF. Les vidéos sont disponibles sur nos réseaux sociaux. A la fin de chacune d’entre elles sont partagés des adresses et des numéros joignables pour avoir de l’aide. En partenariat avec l’association En avant toutes, nous mettons également à disposition, gratuitement et anonymement, un tchat sur lequel les jeunes peuvent aller poser des questions et échanger avec des professionnels que nous avons nous-mêmes formés à la thématique des MSF. Des ressources à nous conseiller pour en apprendre plus sur les MSF ? Le réseau End FGM a travaillé sur un petit fascicule qui s’intitule “Comment parler des Mutilations Génitales Féminines”. Il y a également beaucoup d’informations disponibles sur nos deux sites internet, excisionparlonsen.org et alerte-excision.org. Sinon, sur notre Instagram nous partageons régulièrement des recommandations culturelles, des témoignages de personnes intéressées et d’autres informations. En 2017, nous avons sollicité des dessinateurs du monde entier sur la thématique de l’excision. De cet appel est née une exposition de 12 dessins qui traitent de la thématique de l’excision. Donc, si les jeunes ont envie de mettre en place un projet dans leur établissement, nous pouvons aussi les accompagner en mettant en place cette exposition pendant un temps donné. Nous avons également une plateforme de formation, UEFGM, sur laquelle les personnes peuvent se former gratuitement sur la thématique des MSF. Est-ce qu’il y a des choses qui vous semblent importantes de préciser ? Il y a deux choses en effet qui sont essentielles à comprendre selon moi. La première, c’est que les personnes qui ont vécu l’excision ne sont pas que des victimes, elles sont bien plus que ça. La deuxième, c’est le rôle déterminant que les jeunes ont à jouer dans ce combat. Le changement arrivera d’eux et nous avons besoin d’eux. Ils sont donc évidemment les bienvenus pour nous aider à faire bouger les mentalités. Est-ce qu’un livre vous a particulièrement marquée pendant vos années de collège ou de lycée ? Dans ma jeunesse, j’étais fascinée par Bernard Werber et notamment par sa trilogie autour des fourmis. J’étais fascinée par ce mélange de philosophie et de spiritualité. Après chaque lecture je me questionnais sur la place de l’homme dans le monde. Une citation fétiche ou un leitmotiv à nous partager ? A choisir, je dirais : “Tout vient à point à qui sait attendre”. Souvent, on se lance dans un combat et on souhaite que tout réussisse tout de suite. Or, c’est à force de patience qu’on arrive à atteindre son objectif. Et c’est quelque chose qui est valable dans tous les domaines de ma vie. Pour prendre un exemple me concernant, j’ai arrêté l’école très jeune. J’ai repris mes études à l’âge de 25 ans et ça m’a pris du temps mais aujourd’hui je suis arrivée à ce que je voulais faire, c’est-à-dire travailler dans un milieu en lien avec les ressources humaines. En partant de rien, lentement mais sûrement, j’ai réussi à reprendre mes études, à avoir mon master en ressources humaines et à être aujourd’hui épanouie dans ma vie professionnelle, associative et personnelle. Propos recueillis par Fanny Aici Campagne 2021 : Impatiente à l’aller, mutilée au retour
“Ce qui se cache derrière les MSF, c’est le contrôle de la sexualité des femmes et le maintien de la domination masculine”
“A l’échelle mondiale, on estime que plus de 200 millions de femmes ont subi une excision”
“Si les jeunes souhaitent mettre en place des actions concrètes au sein de leurs établissements, nous pouvons les accompagner”
“Les personnes qui ont vécu l’excision ne sont pas que des victimes, elles sont bien plus que ça”