Auteur de romans noirs et réalisateur depuis une quinzaine d’années, Sébastien Gendron s’est fait un nom auprès des amateurs de polars jouant sur l’humour et l’absurde. Il est également l’auteur de romans jeunesse dont le troisième, Kaplan, attend ses lecteurs dans toutes les bonnes librairies. Vivre au Collège l’a rencontré.
Avec Kaplan (lire encadré), on sort clairement du polar ou du road trip comme dans Sur la route d’Indianapolis, pour un récit dystopique critique sur la société. L’ouvrage s’ouvre d’ailleurs sur une citation d’Orwell. Qu’est-ce qui vous a amené à sortir de vos thèmes plus habituels ?
La curiosité. J’écris pour la jeunesse depuis peu de temps et j’ai commencé par une enquête policière, ce que je n’avais pas essayé dans mes romans pour les adultes. Puis l’idée de
Sur la route d’Indianapolis m’est venue et je me suis rendu compte que c’était un roman d’aventure, jamais testé avant non plus. Les deux ont reçu un super accueil et à partir de là, je me suis dit : « Ok ! En jeunesse, tu vas te permettre d’explorer des genres que tu n’as jamais testé pour les adultes ».
Kaplan s’inscrit donc dans cette grande envie de m’essayer à des littératures.
«Avec l’humour et l’absurde, on fait mieux passer le message»
Vous écrivez des thrillers et des polars loufoques, sur un mode comédie, parfois en partant de situations absurdes qui permettent de construire une histoire. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces goûts et ces choix d’écriture ?
Je fais partie de ces gens qui, face à l’adversité, se réfugient dans l’humour. En sachant très bien qu’avec l’humour, avec l’absurde, on fait mieux passer le message. Derrière tous ces récits à priori déjantés, il y a surtout un écrivain en colère après le monde dans lequel il vit, comme la plupart des écrivains de polar. Il y a un siècle et demi, un type qui s’appelait Honoré de Balzac avait trouvé un titre à tout ça : « La comédie humaine ». Avec lui, on découvrait que « comédie » ne signifie pas toujours « drôle ».
On sent aussi chez vous une forme d’appétit pour la destruction jouissive – vous avez une manière bien à vous de concevoir la revalorisation des déchets 😊 –, notamment avec le personnage de Dick Lapelouse…
Dick Lapelouse, c’est un peu mon double littéraire. A l’époque où je l’ai créé, au début des années 2000, j’avais trouvé l’exutoire parfait. Un tueur à gage discount pour les pauvres, qui tue juste les salauds. C’était jouissif à écrire, mais c’était presqu’une blague. Sauf que voilà : y a un moment où j’ai eu envie d’écrire un second épisode aux aventures de Dick, dans lequel mon personnage se pose des questions sur le sérieux de son travail. Comme par hasard à la même période, j’étais en train de me dire qu’être écrivain n’était pas un passe-temps et qu’il était temps que je prenne ça au sérieux moi aussi.
Vous dites que c’est un peu votre « double littéraire ». Justement, quelle est votre part d’identification avec un personnage comme Dick ?
Avec Lapelouse, j’ai trouvé mon premier personnage capable d’exprimer ma propre colère. Ma première vraie
catharsis. Pas sûr que je l’ai intellectualisé comme ça, évidemment. Mais au fur et à mesure de l’écriture, ma propre colère devenait un moteur. C’est sans doute pour ça que j’ai eu envie, pour la première fois dans mes publications, d’écrire une suite, de faire en sorte que ce personnage évolue.
Pizzas et marteau-piqueur
On a envie de vous demander, à propos de Dick Lapelouse, où êtes-vous allé chercher un nom pareil !?
Ça vient d’une époque où je trouvais des noms un peu cons pour mes personnages. Après, il fallait que j’arrive à faire croire au lecteur que des types comme ça existaient vraiment. Cela étant, j’ai une anecdote sur Dick Lapelouse : j’ai tourné un court-métrage dont Dick était le héros. A l’époque, il n’était pas tueur à gage, mais détective privé. Pour le décor de son bureau, la chef déco m’avait fait une porte genre films noir américain des années 50 avec un verre dépoli sur lequel était inscrit « Dick Lapelouse – enquêteur privé ». J’avais récupéré ce panneau et je l’avais mis contre la vitre de mon bureau qui donnait sur la rue. En l’espace d’un an, trois personnes sont venues sonner chez moi pour me demander combien coutaient mes services. Comme quoi, même avec un nom aussi couillon que Dick Lapelouse, on peut faire de grandes choses.
Avez-vous « galéré » avant de vivre de vos romans ? J’ai lu que vous aviez enchaîné pas mal de jobs alimentaires…
Sincèrement, je pense que j’ai bien moins galéré que certains de mes camarades. Être écrivain, c’était un rêve de gosse. Du coup, j’ai commencé très tôt à écrire des histoires. Mais je voulais aussi être réalisateur. Ma chance, c’est d’avoir eu des parents qui m’ont suivi. J’ai pu écrire, faire une fac de cinéma, partir à Paris, monter les échelons qui mènent à diriger un film, écrire des manuscrits et faire le chemin de croix qui amène au premier éditeur. Quand je dis que mes parents m’ont suivi, ça ne signifie pas qu’ils m’ont tout financé. Juste que jamais ils n’ont remis mes choix en question et qu’ils m’ont encouragé. Alors oui, j’ai livré des pizzas, manié le marteau piqueur et vendu des listes de mariage par téléphone. Mais tout ça m’a permis une chose : décider que ce que je voulais faire dans la vie, c’était écrire des bouquins et réaliser des films, et pas livrer une 4 fromages froides à 23 heures, à l’autre bout de la ville, sur une mob foireuse.
« Je veux faire ça, parce ce que c’est ce que je suis et c’est tout ce que j’ai »
Donc, il ne faut pas se décourager ?
Surtout pas. La première idée, pour peu qu’elle vienne d’une véritable envie, est souvent la meilleure. Si c’est ça qui nous fait « kiffer », il faut s’écouter et trouver les chemins qui y mènent. Parce que si on hésite, il y a toujours quelqu’un pour vous dire que le secteur est bouché, que ce n’est pas un métier, qu’on ne fait pas une vie avec ça, etc. Dire ce qu’on a au fond de soi, même si ce n’est pas forcément facile, ça nécessite d’y aller franchement. Surtout, ça oblige à utiliser un verbe qui arrive en troisième position après « être » et « avoir » : « vouloir ». Je veux faire ça, parce ce que c’est ce que je suis et c’est tout ce que j’ai.
Vous animez des ateliers d’écriture, notamment avec des collégiens. Vous leur apprenez les principes de bases de l’écriture et de la construction d’une intrigue. Pourriez-vous résumer quelques principes ou « commandements » fondamentaux à l’adresse de ceux qui aiment écrire mais manquent de repères ?
C’est très compliqué de répondre à cette question en peu de mots. D’une part parce que l’écriture est une chose très personnelle. D’autre part parce qu’elle ne souffre pas de « commandements ». A part peut-être deux qui vont me permettre de répondre de manière succincte mais précise : d’abord pour écrire, il faut lire – ne serait-ce que pour comprendre comment ça marche. Ensuite il faut écrire sans complexe – parce qu’il y a forcément un moment où vous devrez faire lire. Vous voulez écrire ? Cool ! Faites-le comme s’il s’agissait de battre le record du monde de saut en hauteur ou de cuisson de crêpes à la minute. Vous n’y arriverez d’abord pas, mais on s’en f... ! L’essentiel, c’est de regarder comment on fait, de faire et de monter aux autres que vous êtes sûr de vous et que vous allez y arriver. Effectivement, si vous ne regardez pas des vidéos sur le saut en hauteur ou si vous ne demandez pas autour de vous comment on fait des crêpes, vous êtes mal barré. Eh bien pour écrire, c’est pareil. Pas le choix, il faut lire.
Parmi vos influences, il y a je crois Frédéric Dard, père de San Antonio, et l’humour absurde des Monty Python. Comment « vendriez » vous la lecture de Frédéric Dard à des ados ?
Quand j’étais môme, j’entendais mon père rire dans la chambre d’à côté à l’heure du coucher. Et un jour, j’ai découvert qu’il se bidonnait en lisant des livres. C’était San Antonio. J’ai alors compris qu’on pouvait se marrer avec la lecture. Que ça pouvait ne pas être sérieux. Il me tardait de savoir lire pour pouvoir lui piquer ses bouquins. Et quand ça a été possible, quand j’ai été en âge de comprendre cette délicieuse langue qu’est l’écriture de Frédéric Dard, je me suis mis à dévorer les aventures de « Sana ». Et j’ai beaucoup appris.
En quelques mots, quel est votre parcours scolaire ?
Un bac d’arts plastiques et juste derrière, une licence d’études cinématographiques que j’obtiens pile poil le jour où je commence à bosser comme stagiaire sur mon premier tournage, « Beaumarchais, l’insolent » d’Edouard Molinaro.
« Laissez-lui sa chance, c’est un gosse bien »
Au collège et au lycée, quel genre d’élève étiez-vous : plutôt turbulent sympa, paresseux, insolent… ?
La formule « turbulent sympa » me va pas mal. Les profs m’aimaient bien, j’avais le sens de la discussion. Dès qu’on sortait du cadre, je m’éclatais. Mais j’en fichais pas une ramée. Du coup, y avait toujours un prof pour croire plus en moi que je n’y croyais moi-même. C’est souvent d’ailleurs mes profs de français qui m’ont tiré vers le haut, qui disaient en conseil de classe : « Laissez-lui sa chance, c’est un gosse bien ».
Quel est l’événement ou l’anecdote le plus marquant de votre parcours scolaire ?
C’était en seconde, ma prof de français s’appelait Mlle Bayle. Un caractère de cochon, mais une femme exceptionnelle. Pendant un cours sur Rabelais, elle me « gaule » en train de ricaner avec un copain au fond de la classe. « Gendron, vous avez l’air de vouloir rire ! Lisez-nous donc à voix haute ce passage de
Gargantua. » J’ouvre mon manuel à la page indiquée et je me mets à lire pour toute la classe… le passage où Gargantua raconte de quelles manières et avec quelles choses il se torche le c.. une fois qu’il a fait ses besoins. Evidemment, je découvrais le texte en lisant. Le fou rire me prenait de plus en plus et je lisais, je riais, les larmes coulaient sur mes joues, la classe entière était pliée de rire et Mlle Bayle m’encourageait à poursuivre jusqu’au bout. C’était ma punition, comme un gage : lire en tenant mon sérieux. Ca a été formidable. Si bien que quelques mois plus tard, elle m’a « re-gaulé » en train de parler et elle m’a infligé le passage de « La vie devant soi » dans lequel Momo fait caca partout dans l’appartement de Mme Rosa. Et c’était reparti pour un tour. Une prof qui vous apprend l’humour scato à travers les chefs-d’œuvre de la littérature, c’est pas mal quand même, non ?
Quel rapport entretenez-vous avez le français et la littérature en général ?
Le français est une langue incroyablement plastique à manipuler. Sauf qu’on s’en rend pas forcément compte tout de suite. Oui, c’est vrai que les classiques de la littérature au collège et au lycée, c’est relou. Zola et ses copains, j’ai lu ça en diagonale. Mais j’ai lu, l’air de rien. Et quand j’ai pu prendre la tangente, je suis vite passé aux auteurs contemporains qui m’ont mené aux auteurs américains. Ça a forgé mon goût et ça m’a rendu curieux. Je détestais l’analyse de texte. Je ne comprenais pas de quel droit on pouvait penser à la place de l’auteur, surtout s’il était mort. Sauf que quand je me suis mis à écrire, je me suis rendu compte que tous ces trucs sur le style et ses figures avaient infusé et que je m’en servais comme d’un outil naturel. C’est grâce à Mlle Bayle, entre autre, que j’écris aujourd’hui. Et à cause d’elle et de ses consœurs (Mlle Couquiaux, tiens, tant que j’y pense) si j’ai quelques 1 400 bouquins dans ma bibliothèque aujourd’hui.
Quel livre vous a profondément marqué quand vous étiez ado, et dont vous recommanderiez absolument la lecture ?
A 16 ans, j’ai découvert Philippe Djian avec
37,2° le matin. Et ça a été un choc. La révélation de ce que pouvait être l’écriture. J’avais énormément envie d’écrire, alors je m’y suis mis juste après avoir refermé le livre. Et Djian m’a ouvert à toute une partie de la littérature que je dévore aujourd’hui encore. Et puis il y a
Martin Eden de Jack London, que j’ai lu beaucoup plus tard – et que j’aurais adoré découvrir à 16 ans, mais bon, on ne peut pas tout faire. Celui-là, je le conseille vivement. OK, c’est un peu classique sur les bords, mais bon sang comme c’est bon ! Le type a 17 ans quand tout commence. Il part de rien et il devient tout, juste parce qu’il tombe amoureux d’une petite nana à San Francisco qui se fout complétement de lui.
Quel est votre dernier coup de cœur musical ?
Rival sons, des types qui jouent aujourd’hui comme les premiers groupes de hard des années 70. Pour un pré-quinquagénaire comme moi, c’est bon. Mais des mômes qui font aujourd’hui du punk presqu’aussi bien qu’il y a 35 ans ça existe aussi :
Pogo Car Crash Control notamment. Eux, ils déboitent tout.
Propos recueillis par Fabien Cluzel.