S’informer sur les réseaux sociaux : oui mais pas trop ?
Une enquête réalisée par l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès et la Fondation Reboot montre que les jeunes sont particulièrement nombreux à douter de la science et à adhérer aux thèses conspirationnistes et aux croyances irrationnelles. Les plus « touchés » ? Ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux…
Les Américains ne sont jamais allés sur la lune… 20 % des jeunes le pensent. À l’époque antique, les pyramides égyptiennes ont été bâties par des extraterrestres… 19 % des jeunes y croient. Il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde… 16 % des jeunes le pensent. Mais oui, ces chiffres sont bien réels. Et récents, puisqu’ils sont tirés d’une enquête réalisée début novembre 2022 par l’IFOP pour les Fondations Jean Jaurès et Reboot (qui travaille à promouvoir le développement de l’éducation au raisonnement critique). Et oui, « les adeptes des thèses conspirationnistes et plus généralement des croyances irrationnelles sont particulièrement nombreux chez les jeunes, notamment chez ceux qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux », comme le souligne François Kraus, le directeur du pôle politique de l’IFOP, au regard de cette enquête qui a également cherché à voir de quelle manière l’utilisation des réseaux pouvait influer sur l’adhésion à ces « vérités alternatives ».
« Particulièrement nombreux chez les jeunes », on peut en effet l’affirmer car l’IFOP est allé poser les mêmes questions à des seniors et force est de constater que la proportion de ceux qui adhèrent à ces thèses, Moon Hoax, Alien Theory, platisme, astrologie, créationnisme, sorcellerie…, est 3 à 4 fois plus élevée que ce que l’on mesure chez les seniors (à titre d’exemples, 6 % des seniors croient à la première affirmation, 5 % à la seconde, 3 % à la 3e).
La jeunesse française adhère aussi à celles plus récentes, comme le climato-scepticisme ou le vaccino-scepticisme, même si pour celles-là, leurs « aînés » peuvent y adhérer également en nombre. Et, au total, 69 % des jeunes croient au moins à une thèse conspirationniste ou à une croyance irrationnelle.
À peine 1 jeune sur 3 pense que la science apporte à l’homme plus de bien que de mal
Cette défiance (croissante, en outre) de la jeunesse française à l’égard de la science est « loin d’être une illusion d’optique » poursuit l’analyste, puisque à peine un jeune sur trois (33 %) a aujourd’hui l’impression que « la science apporte à l’homme plus de bien que de mal », alors qu’ils étaient une majorité à le penser il y a cinquante ans (55 % en 1972) ! Et inversement, la proportion de jeunes estimant que son apport à l’humanité est plus nocif que positif a triplé, passant de 6 % en 1972 à 17 % en 2022.
Trois éléments influeraient sur ces croyances, selon François Kraus :
- L’effet de conditions sociales défavorables (qui joue sur le niveau de diplôme donc de culture) ;
- Le degré d’importance donnée à la religion pour expliquer le monde (entre autres exemples, l’idée selon laquelle « les êtres humains ne sont pas le fruit d’une longue évolution d’autres espèces […] mais ont été créés par une force spirituelle (ex : Dieu)» se retrouve soutenu en masse par les sondés se disant « religieux ») ;
- L’utilisation très régulière des réseaux sociaux, sachant que la proportion de jeunes adhérant à au moins une de ces contre-vérités « atteint des sommets chez les utilisateurs pluriquotidiens de réseaux sociaux de microblogging» (81 % contre 68 % chez les non-utilisateurs de ces plate-formes), et chez ceux de TikTok en particulier (74 %).
Des sommets atteints chez les utilisateurs pluriquotidiens de réseaux sociaux de microblogging
Comment influe le réseau social sur ces croyances ? Par « le ‘biais de confirmation’ des croyances, les algorithmes mettant en avant des publications et du contenu qui vont plaire à l’utilisateur et qui correspondent à ce qu’il apprécie, ne remettant donc pas en cause ce qu’il pense », explique François Kraus. Un effet à ne pas sous-estimer alors qu’aujourd’hui 64 % des jeunes utilisent Internet comme source principale d’information. À ne pas sous-estimer non plus, poursuit François Kraus, à l’heure où des réseaux sociaux comme TikTok sont accusés de faire la promotion de remèdes à base de plantes pour avorter sans risque « alors même qu’ils n’ont pas été vérifiés » et que cette idée est partagée par un quart des jeunes et jusqu’à plus d’un tiers des utilisateurs pluriquotidiens des réseaux sociaux de microblogging !
Les jeunes sont également sensibles aux influenceurs, 41 % des jeunes qui utilisent TikTok comme moteur de recherche adhérant à l’affirmation selon laquelle un influenceur qui a un nombre important d’abonnés a tendance à être une source fiable.
Si on doit donc être attentif à la façon dont on « consomme » les réseaux sociaux, ne soyons pas trop « alarmiste » non plus face à cet état qui pourrait être un effet d’âge et de génération, et donc pourrait s’estomper avec le temps, tempère François Kraus. En effet, les études menées depuis des décennies sur le rapport à la science montraient déjà qu’avant l’ère du numérique les jeunes étaient plus sensibles à ces croyances. Internet viendrait donc « sans doute accentuer la perméabilité traditionnelle des jeunes générations à ces croyances surnaturelles ».
En savoir plus sur l’enquête et son analyse (https://www.jean-jaures.org/publication/la-mesinformation-scientifique-des-jeunes-a-lheure-des-reseaux-sociaux/)