« Je poste, donc je suis » : comment soigner son identité numérique 2/2
C’est une évidence : on discute et on partage beaucoup en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. Or, les photos que vous postez, ce que vous écrivez, commentez ou encore le pseudo que vous choisissez laissent une « empreinte numérique » : une image de vous, qui peut donc susciter une opinion sur vous. Tout cela est à soigner, car cette e-réputation a des conséquences sur le web comme dans le monde physique. Voici quelques « clés » pour faire au mieux. Tout le monde a intérêt à soigner sa réputation numérique. On le soulignait déjà dans un précédent article. Certaines personnes ont vu leur destin basculer en postant de simples vidéos sur YouTube ou des commentaires sur Twitter. Il faut donc se poser un certain nombre de questions avant de « passer à l’action », c’est-à-dire avant de poster mais aussi en gérant ses comptes. Et bien réfléchir à ce qui va être visible se fait dès l’inscription. C’est d’abord bien penser sa photo de profil. Car elle donne une certaine image de soi. On peut d’ailleurs lui préférer un avatar tout en prenant soin qu’il ne renvoie pas une image non plus négative ! Autre question : j’utilise mon nom ou un pseudo ? Certains sites demandent votre vrai nom. C’est un moyen d’être trouvé ou un gage de crédibilité quand on publie des infos. Mais, parfois, un pseudo suffit, surtout dans le domaine des loisirs. Paramétrer pour bien choisir qui peut voir ou pas, commenter, ou pas… Autre nécessité, distinguez bien ce qui relève de l’intimité, à partager avec vos proches, de ce qui relève de la vie publique, à partager avec plus de monde. D’autant, il est vrai, que sur les réseaux la tentation est grande de cumuler les « amis ». On se retrouve facilement avec des centaines de contacts, dans des dizaines de groupes… mais peut-on vraiment parler d’amis ? Il ne faut donc pas hésiter, comme le conseille Christophe Alcantara, un chercheur de l’Université de Toulouse 1 Capitole spécialisé sur la e-réputation, à « créer des groupes de confiance : d’une part des amis, des proches et que l’on connaît réellement, et d’autre part des amis qui relèvent d’un cercle de popularité ‘narcissique’ [ceux avec qui on recherche la popularité, mais ne sont pas les vrais amis, ndlr]. » « Ne pas faire ce que l’on ne serait pas prêt à faire en face-à-face » Vous pouvez donc paramétrer le degré de confidentialité de certaines informations : qui peut voir ce que je publie ? Est-ce que je souhaite que mes like et nouveaux contacts soient connus de tous ?, etc. Sans jamais perdre de vue que les amis des amis peuvent représenter une partie conséquente des personnes et qu’un tweet ou un post peut facilement être relayé par un compte très suivi et se retrouver avec une audience phénoménale. Il est donc plus prudent de mettre le plus d’éléments possibles en mode « privé ». Et c’est aussi ne pas accepter les personnes inconnues, même les amis de ses amis, et les personnes que l’appli vous suggère par défaut. Chaque post amène toujours une question : je publie ou je ne publie pas ? Réfléchissez à ce que vous voulez que les autres sachent de vous, à ce que vous assumez dans votre vie privée mais pas en public. Là, l’un des bons moyens de trancher, c’est, comme le conseille le chercheur, de « ne pas faire ce que l’on ne serait pas prêt à faire dans le monde physique, en face-à-face ». Est-ce que ma mère, mon prof, un inconnu peut lire ma publication sans être choqué ? Est-ce que c’est vraiment mon choix de publier ceci ou est-ce juste pour avoir l’air cool ? « Une photo ‘rigolote’ à un moment de sa vie peut devenir compromettante à un autre » C’est une démarche essentielle car, comme avertit la Ligue des Droits de l’Homme dans un rapport de 2017 intitulé « Jeunes et réseaux sociaux, des espaces de liberté sous multiples surveillances », « une photo ‘rigolote’ à un moment de sa vie peut devenir compromettante à un autre. Il n’est pas certain que les photos ou messages ne seront pas retransmis ou sauvegardés ailleurs, ou même que l’on ne perdra pas l’accès à l’outil qui permettrait de le supprimer ». Et non seulement une publication peut un jour vous porter préjudice, mais « pire », poursuit l’association, elle peut « porter préjudice à un ami ! ». Il n’est pas non plus utile, conseille Christophe Alcantara, de tagger toutes vos photos, c’est-à-dire de les légender, car ce sont autant d’informations qui permettront de les faire réapparaître même des années après et, pourquoi pas, de les supprimer. Facile de s’exprimer → facile de déraper Cette prudence touche aussi les posts concernant les positions que l’on peut avoir sur des sujets de société ou politique, des actualités, des tendances, des articles, etc. : je donne mon opinion, je prends parti, je raconte… mais ce que j’écris m’engage auprès de tous. Et savoir repérer une fake news se révèle être aussi utile à ce titre (lire sur ce sujet l’interview de Fabien Tarissan, « Ce qui décuple la visibilité des Fake News, c’est la crédulité des utilisateurs »). Car, oui, les informations des autres, j’aime, je les fais suivre, je « retwitte », je partage…, mais je les vérifie avant ! Il faut savoir aussi, comme le souligne Twitter dans un guide élaboré tout récemment avec l’Unesco (Enseigner et apprendre avec Twitter), « rester empathique et respectueux » lorsqu’on se trouve face à des opinions avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Exprimer son désaccord, oui, mais il faut « le faire avec politesse » car « un débat ne doit pas systématiquement devenir un affrontement personnel et enflammé ». Pas besoin de faire un dessin, c’est comme dans le monde physique, quelqu’un qui parle « mal », on lui taille une réputation, qui va du « mal-élevé » à « irrespectueux », en passant par « grossier ». C’est pareil sur Internet. Tourner cinq fois la langue dans sa bouche ? La Ligue des Droits de l’Homme donne un conseil tout simple d’ailleurs : « tourner cinq fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». Bref, prendre un temps de réflexion avant de poster. Le problème, comme le souligne Christophe Alcantara, c’est que ces réseaux incitent à répondre très vite, à être dans « l’instantanéité ». Quelques petites « manips » peuvent aider à résister. Comme par exemple enlever les notifications, reçues par dizaines chaque jour, ou encore, « se déconnecter volontairement de temps en temps ». Certes, on subit « la pression sociale », celle « qui te dit : ‘j’attendais que tu lises’ ». Pour l’atténuer, n’hésitez pas à prévenir vos amis de ces moments d’interruption. Le conseil n’est pas à prendre à la légère car des échanges sur Internet, sans filtres, sans retenues, sans respect, peuvent avoir des conséquences graves. L’Agence France Presse avait relaté en 2013 l’histoire de trois lycéennes qui avaient twitté, en parlant de leur prof sans la citer nommément et en réaction à un projet de contrôle qui finalement ne s’est pas fait : « je ne réviserai pas pour sa vieille gueule, elle peut crever », « ma prof est une s… ». Ni une, ni deux, celles-ci avaient été convoquées en conseil de discipline, puis exclues de manière définitive du lycée. La même année, deux autres élèves avaient été renvoyés d’un lycée des Hauts-de-Seine pour avoir insulté leurs professeurs sur Facebook. Le fond… et la forme ! Pas toujours motivés par des intentions malveillantes, ces abus de liberté d’expression sur Internet peuvent également être dûs à « une certaine forme d’inconscience ou de manque d’empathie ». Certains messages peuvent ainsi tout simplement être mal compris par certains, alors que ceux qui les émettent estiment faire de l’humour. Hé oui, ce que j’écris est important, mais comment je l’écris aussi ! La ponctuation joue par exemple un rôle dans le ton que l’on donne aux messages. Si vous écrivez tout en majuscules ou avec beaucoup de points d’exclamation, les lecteurs peuvent avoir l’impression qu’on leur crie dessus. Privilégions donc les minuscules ou encore des smileys pour préciser nos émotions, montrer par exemple que ce qu’on écrit est du second degré, donc de l’humour ! Et faire attention à la forme c’est aussi : pas de gros mots, de mots vulgaires, insultants, blessants, injurieux ! Ne perdons jamais de vue qu’ « Internet n’est pas une zone de non-droit », comme le rappelle encore la Ligue, et qu’ « un grand nombre de règles existent qui viennent protéger la vie privée et donner un cadre à la liberté d’expression ». Et ces atteintes à l’intimité et à la vie privée, comme l’injure, les appels à la haine ou à la discrimination sont passibles de sanctions. Camille Pons Même en prenant des précautions sur ce que l’on rend visible et à qui, s’inscrire sur des plateformes expose à d’autres risques. Ainsi, prévient la Ligue des Droits de l’Homme, « il faut aussi envisager qu’un contenu transmis de façon ‘privée’ puisse un jour être vu par des yeux indiscrets en raison d’un bug ou d’un piratage ». Le piratage peut aussi donner lieu à une ursupation d’identité. Une personne qui va se faire passer pour une autre peut faire beaucoup de mal à la réputation de quelqu’un. Elle peut aussi obtenir plus d’informations sur vous, pour accéder à d’autres comptes (bancaires, courriels…), ou utiliser cette identité en dehors d’Internet. Ce qui implique donc, au-delà des paramètres de confidentialité, de sécuriser ses comptes pour bien protéger ses données. Cela passe par des mots de passe bien sécurisés. La CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) donne des conseils pour cela (donner au moins 12 caractères et 4 types différents, des minuscules, des majuscules, des chiffres et des caractères spéciaux, éviter de s’inspirer du nom de votre chien ou de votre film préféré…), des astuces pour mémoriser ces mots, les stocker en sécurité, et propose un générateur pour en concevoir en quelques secondes ! Bien se protéger, c’est aussi ne compléter le profil que si nécessaire. Lors d’une inscription, si l’information est présentée comme obligatoire, on peut s’interroger : en ont-ils réellement besoin ? S’il n’y a aucune raison à la demande, on peut choisir de donner des données inexactes ou incomplètes. C’est, par exemple, ne pas divulguer son âge, son adresse ou le nom de son lycée. Et faire attention aux cases cochées par défaut ! Enfin, c’est aussi penser à supprimer ou désactiver un profil quand on ne l’utilise plus. On n’a pas nécessairement conscience de l’image que les autres donnent à voir de nous. Pourtant, dès 2016, une enquête de Symantec, un éditeur de logiciels, montrait que sur les 69 % des Français âgés de 18 à 34 ans qui avaient déclaré avoir fait des recherches sur leur propre nom, 33 % d’entre eux avaient découvert un profil de réseau social qu’ils pensaient ne pas être accessible, 27 % avaient été surpris de voir des contenus publiés sans leur autorisation et 18 % s’étaient dit gênés de figurer sur certaines photos ou vidéos !
Sécuriser ses comptes pour éviter les risques d'usurpation d'identité
Ne pas sous-estimer ce que les autres véhiculent à notre insu