Steve Brusatte, conseiller scientifique de Jurassic World : le monde d’après
Originaire des États-Unis, Steve Brusatte est l’un des paléontologues les plus célèbres du monde. Officiant depuis l’université d’Édimbourg, auteur de plusieurs livres, Steve Brusatte a récemment travaillé en tant que consultant en paléontologie sur le film Jurassic World : le monde d’après. Vivre au Lycée a eu l’occasion de lui poser quelques questions et d’en apprendre plus sur son métier, mais également sur les coulisses de l’un des films événements de l’année.
Votre carrière force le respect. Pouvez-vous nous parler de vos études ?
J’ai commencé à m’intéresser aux dinosaures à l’âge de 15 ans environ. Quelques années plus tard, j’ai entamé des études de géologie à l’université. Puis j’ai fait un master en paléontologie et j’ai poursuivi avec un doctorat. En tout et pour tout, je suis resté à l’université pendant 10 ans.
Quel genre d’élève étiez-vous au lycée ? Plutôt studieux ou dissipé ?
J’étais très studieux. Je prenais les cours et les devoirs avec le plus grand sérieux. Je savais que je devais avoir de bons résultats pour entrer dans une bonne université afin d’étudier la géologie, première étape de mon projet de devenir paléontologue. J’ai toujours été très motivé. Je voulais être performant en cours pour la simple et bonne raison que mes parents m’avaient appris la valeur du travail et l’importance de toujours faire de son mieux.
« Nous procédons comme les chercheurs d’or dans les années 1800 »
Comment vous est venue votre vocation ?
Chris, mon frère cadet, était obsédé par les dinosaures quand il était jeune. Il avait transformé sa chambre en véritable musée des dinosaures. Il possédait plus de cent livres sur le sujet dans sa bibliothèque. C’est en vivant avec lui, en l’entendant parler des dinosaures tous les jours que j’ai attrapé le virus à mon tour.
Quelles sont les qualités d’un bon paléontologue ?
Tous les scientifiques se doivent de garder l’esprit ouvert. Ils doivent être curieux et toujours se poser des questions. Vous devez ainsi être ouvert à de nouvelles expériences pour apprendre de nouvelles choses et toujours être prêt à accepter d’avoir tort si jamais de nouvelles preuves vous le démontrent. Ces qualités sont plus importantes que, par exemple, être vraiment bon en maths ou avoir des notes parfaites à l’école.
D’après vous, comment la profession de paléontologue a-t-elle évolué ces dernières années ? Notamment par rapport aux nouvelles technologies.
Trouver des fossiles équivaut toujours à utiliser la bonne vieille méthode. On explore et on découvre. Pour cela, nous procédons comme les chercheurs d’or dans les années 1800. Nous essayons d’identifier les types de roche susceptibles de renfermer des fossiles et nous nous déplaçons sur le site pour effectuer les recherches afin de savoir si quelque chose d’intéressant s’y cache. Par la suite, une fois que nous avons trouvé le fossile, nous pouvons en effet utiliser de nombreuses technologies plus modernes pour étudier nos trouvailles.
Nous pouvons par exemple utiliser le CAT-scan, une technique d’imagerie médicale consistant à mesurer l’absorption des rayons X par les tissus, afin de numériser pour reconstruire des images 2D ou 3D. Les rayons X nous permettent de voir à l’intérieur des os. Nous pouvons les scanner au laser pour savoir comment les dinosaures bougeaient ou se nourrissaient. Nous utilisons également la chimie pour procéder à des analyses et mieux comprendre la biologie de l’animal ainsi que pour déterminer sa température corporelle.
« Le réalisateur voulait rendre les nouveaux dinosaures conformes à ce qu’ils étaient vraiment »
Vous êtes notamment connu pour avoir travaillé sur l’affaire du monstre du Loch Storr. Pouvez-vous nous en parler ?
Le monstre du Loch Storr est le surnom qui a été donné à un ichtyosaure, une espèce de reptile aquatique qui vivait dans les océans à l’époque du Jurassique, quand les dinosaures étaient sur terre. Cet ichtyosaure en particulier a été découvert sur l’île de Skye en Écosse il y a quelques décennies. Son fossile a été emmené au National Museum of Scotland et nous avons commencé à l’étudier il y a seulement quelques années. C’était un animal incroyable. Il était aussi large qu’un hors-bord avec un long museau qui lui permettait de manger des poissons, et des palmes en guise de pattes.
Comment êtes-vous arrivé sur la production de Jurassic World : Le Monde d’après où vous avez été le consultant en paléontologie ?
J’ai écrit en 2018 un livre intitulé Le triomphe et la chute des dinosaures. Il a d’ailleurs été traduit en français l’année dernière. L’été de la même année, j’ai reçu un mail du réalisateur Colin Trevorrow. Il m’a dit qu’il avait lu mon livre et qu’il voulait venir à Édimbourg pour me rencontrer et parler des dinosaures. Quand nous nous sommes retrouvés, il m’a dit qu’il avait commencé à travailler sur un nouveau film et il voulait mon aide afin de rendre les nouveaux dinosaures réalistes et conformes à ce qu’ils étaient vraiment. C’était incroyable !
Avez-vous eu l’opportunité d’échanger avec Jack Horner, votre prédécesseur, qui a travaillé sur tous les films Jurassic Park et Jurassic World avant vous ?
Oui, je connais Jack plutôt bien. Je l’ai rencontré pour la première fois alors que j’étais au lycée. Il était venu pour une lecture et il m’a dédicacé un de ses livres. Depuis, j’ai appris à le connaître en tant que confrère scientifique. Nous avons un petit peu travaillé ensemble sur des projets de recherches. Il y a quelques années, Jack a pris sa retraite après une longue et fructueuse carrière. Quand Colin m’a demandé de travaillé sur le nouveau Jurassic World, j’en ai parlé à Jack. Il a été très gentil et m’a conseillé de foncer.
Pouvez-vous nous raconter votre expérience sur ce tournage ? En quoi consistait votre rôle ?
C’était surréaliste. J’ai adoré. Mon travail consistait à être disponible afin de répondre à toutes les questions que Colin Trevorrow, les scénaristes et tous les membres de l’équipe pouvaient se poser au sujet des dinosaures. Ils m’envoyaient des mails et m’appelaient et je répondais à leurs questions.
Ils m’ont également montré les brouillons des designs des nouveaux dinosaures pour avoir mes impressions. J’ai visité le plateau et j’ai eu l’opportunité d’assister à une partie du tournage. Mon rôle était de m’assurer que certains éléments relatifs à la vraie science, aux véritables fossiles et aux vrais dinosaures étaient à la disposition des génies d’Hollywood afin de les aider à réaliser leur film.
« Jurassic Park a rendu la paléontologie cool »
D’après vous, est-ce que les films Jurassic Park ont changé le regard du public sur votre profession ?
Oui, je pense. Jurassic Park reste l’un des choses les plus importantes qui soient arrivées à la paléontologie ces 50 dernières années. Le film a encouragé une nouvelle vision des dinosaures et fait de ces derniers de véritables superstars de la pop culture, à travers le monde. Cela a aussi permis de débloquer plus de fonds pour la paléontologie, de créer des emplois et de permettre à plus de musées d’organiser des expositions autours des dinosaures. Le film a également encouragé les universités à proposer plus de cours sur le sujet. Et puis Jurassic Park a aussi rendu la paléontologie cool.
Le premier Jurassic World introduisait pour la première fois un dinosaure inventé de toutes pièces. Dans Jurassic World : le monde d’après, ce sont les dinosaures à plumes qui font leur apparition. Pensez-vous que cet équilibre entre fiction et réalité scientifique est essentiel pour faire un film de pur divertissement comme Jurassic World : le monde d’après ?
Oui, définitivement. Il faut garder à l’esprit que ces films ne sont pas des documentaires animaliers ou des émissions scientifiques. Ce sont des blockbusters hollywoodiens avec des monstres. Ils sont conçus pour divertir.
Quand un personnage de dinosaure est créé, les réalisateurs doivent jouer sur plusieurs choses : les dinosaures doivent avoir une bonne apparence mais aussi de la personnalité. Il est également nécessaire qu’ils soient immédiatement identifiables sur l’écran. Ils doivent incarner l’histoire. Mais les dinosaures doivent également comporter une part de réalisme scientifique.
Plus personnellement, pensez-vous que les choses se passeraient comme dans le film si d’aventure les dinosaures et les hommes étaient amenés à vivre ensemble ?
Je pense que le nouveau film fait du bon boulot quand il s’agit d’explorer cette question. Que se passerait-il si les humains et les dinosaures devaient coexister dans notre monde ? Je ne peux pas donner de réponse mais oui, je trouve que beaucoup de choses qu’illustre le film pourraient bien arriver.
« L’une des nouvelles stars de Jurassic World est français »
Quels genres de dinosaures vivaient en France ? Avez-vous eu l’opportunité d’y travailler ?
La France est un merveilleux endroit pour trouver des dinosaures. On y fait des découvertes depuis plusieurs siècles maintenant. Des dinosaures de tous les âges ont été trouvés, du Trias, du Jurassique et du Crétacée. Beaucoup des œufs les plus célèbres ont été découverts en France. Un énorme sauropode au long cou et des carnivores dont la taille se rapprochait de celle d’un bus ont été mis à jour en France.
D’ailleurs, l’une des nouvelles stars de Jurassic World : le monde d’après est français : il s’agit du pyroraptor, un petit dromaeosauridae, cousin proche du vélociraptor. Il était intelligent, rapide et mortel ! Et il était aussi recouvert de plumes.
Allez-vous travailler à nouveau pour le cinéma ? Sur un nouveau Jurassic World peut-être ?
Jurassic World : le monde d’après est le dernier film de la saga Jurassic Park/Jurassic World. Je ne sais pas où va se diriger la franchise, ni même si elle va se poursuivre. Mais si ils sollicitent à nouveau mon aide, bien sûr je dirai oui !
Propos recueillis par Gilles Rolland
Le livre de Steve Brusatte, Le triomphe et la chute des dinosaures, est disponible aux éditions EPFL Press.