Rationalisme VS empirisme
Depuis toujours, les philosophes se posent une question fondamentale : comment atteindre la vérité ? Il n’y a ni réponse simple ni méthode unique pour y répondre. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècles (durant le fameux siècle des Lumières), émergent deux courants de pensée opposés : le rationalisme, qui place la raison au centre de toute connaissance, et l’empirisme, qui place l’expérience comme seule source légitime du savoir. Ces deux courants de pensée forment la grande opposition de la philosophie classique.
Alors, faut-il préférer une approche empiriste ou rationaliste pour tenter d’atteindre la vérité ?
Les grandes idées du rationalisme
Le rationalisme naît avec Descartes (le père du doute méthodique), qui cherche à fonder la connaissance sur la raison. Lui qui fait une distinction nette entre le corps et l’âme, place la pensée au-dessus de l’expérience sensible.
Pour les rationalistes, la raison humaine est la principale source, voire l’unique, de la connaissance véritable : certaines vérités universelles et nécessaires peuvent être atteintes par la raison, indépendamment des incertitudes de l’expérience.
Les principes fondamentaux du rationalisme sont :
- La prééminence de la raison : la raison permet d’atteindre des vérités fondamentales par déduction logique, sans recours à l’expérience qui, elle, nous donne accès à des données sensorielles souvent trompeuses et qui peuvent changer ;
- Les vérités nécessaires : le rationalisme accorde de l’importance aux vérités nécessaires (celles qui ne peuvent pas être autrement que ce qu’elles sont), qui sont indépendantes de toute expérience. Si par exemple vous définissez un triangle comme un polygone à trois côtés, c’est une vérité nécessaire, car cela est toujours vrai, quel que soit le contexte. Si à l’inverse vous affirmez qu’aujourd’hui il pleut, c’est une vérité contingente, car elle dépend des circonstances.
- Les idées innées : les rationalistes considèrent que certaines idées ou principes sont présents à notre esprit dès la naissance et qu’ils servent de point de départ pour construire d’autres connaissances. Descartes, par exemple, affirme que les idées de Dieu, d’infini ou de perfection sont des idées innées et non pas acquises par l’expérience, car elles dépassent ce que nous pouvons apprendre par l’expérience du monde.
Descartes, fondateur du rationalisme
Parmi ces grandes figures, on pense évidemment à Descartes, qui est considéré comme le fondateur du rationalisme moderne. Dans son œuvre majeure au sein de laquelle il cherche à déterminer la vérité absolue, le Discours de la Méthode, il écrit cette très fameuse phrase : “je pense donc je suis”.
Pour lui, rien ne résiste au doute méthodique, c’est-à-dire que nous pouvons douter de tout (de nos sens, de ce que nous percevons du monde, du monde lui même), mais si l’on peut douter de tout, c’est bien qu’il existe une chose pour douter, une chose pensante. S’il y a une chose qui peut résister au doute, c’est donc bien le doute lui-même. C’est pour cela que Descartes affirme que puisqu’il doute, c’est qu’il existe. Par cette réflexion, il affirme la primauté de la conscience et de la raison sur les sens.
Spinoza, autre figure majeure du rationalisme, radicalise cette approche dans son Éthique. Il affirme que l’univers entier, y compris Dieu et la nature, est gouverné par des lois rationnelles. Pour lui, la vérité ne se trouve pas dans l’expérience empirique, mais dans la compréhension des principes universels qui régissent l’ordre du monde. Sa méthode est déductive et géométrique : il structure son raisonnement à travers des définitions, des axiomes, des propositions et des démonstrations rigoureuses, comme le ferait un mathématicien. L’affirmation de Galilée, selon laquelle « le grand livre du monde est écrit en langage mathématique », illustre parfaitement l’horizon de la pensée rationaliste.
Les fondements de l’empirisme
En opposition au rationalisme, les empiristes affirment que la totalité des connaissances naît de l’expérience sensible, interne ou externe. Cette vision est incarnée par John Locke, Georges Berkeley et David Hume, qui remettent en question l’idée selon laquelle la vérité peut être connue indépendamment des données sensorielles.
Ils s’opposent à l’innéisme (le principe des idées innées, évoqué plus haut) car, pour eux, toutes les idées sont acquises par l’expérience et donc a posteriori et pas a priori comme le pensent les rationalistes. Les empiristes considèrent que l’esprit humain est une “tabula rasa”, une table rase, à la naissance, et que l’expérience est ce qui permet à l’esprit d’acquérir des idées, des concepts et des connaissances.
Les principes fondamentaux de l’empirisme sont :
- L’expérience est la source de toute connaissance : ce que nous savons du monde ne vient pas de la réflexion pure ou de la raison seule, mais de notre expérience, donc de ce que nous voyons, entendons, touchons, etc. ;
- Les idées complexes sont composées d’idées simples : il existe des idées simples, qui sont la base de notre connaissance, et qui sont reçues directement par les sens (une couleur, un son, une forme, etc.). C’est à partir de ces éléments simples que l’esprit peut créer des combinaisons et donner naissance à des idées complexes. Par exemple, l’idée d’un chat combine des idées simples de forme, de couleur, et mouvement, etc.
- L’induction comme méthode : l’induction est une méthode qui consiste à observer des phénomènes particuliers pour déduire des règles générales. Par exemple, en observant le soleil tous les jours, on peut en déduire qu’il se lèvera encore demain.
John Locke, penseur de la tabula rasa
John Locke, l’un des fondateurs de l’empirisme, distingue deux formes d’expériences : la sensation, qui est le processus par lequel nos sens nous fournissent des informations sur le monde extérieur, et la réflexion, qui est la capacité de l’esprit à réfléchir sur ses propres idées, à les analyser et à les combiner. Ainsi, celui pour qui l’esprit humain est, à la naissance, une table rase, considère qu’il n’y a pas d’idées innées, mais que c’est l’interaction avec le monde extérieur qui permet d’acquérir des idées simples. Ces idées simples, une fois combinées et traitées par l’esprit, forment des idées complexes et constituent notre savoir.
David Hume, autre figure majeure de l’empirisme, va plus loin encore dans la réflexion en affirmant qu’il n’y a aucune justification rationnelle pour croire en la causalité. L’observation du soleil vous faisait tout à l’heure dire qu’il se lèverait encore demain. Pour Hume, cette observation ne prouve en rien le fait que ce sera le cas. Il remet ainsi en question les fondements mêmes de la science de la connaissance : on ne peut pas compter sur la connaissance causale, car elle est fondée sur l’expérience passée et non pas sur une démonstration logique.
Rassembler rationalisme et empirisme avec Kant ?
Emmanuel Kant, dans sa philosophie critique, propose une synthèse entre rationalisme et empirisme. Sa démarche, connue sous le nom de « philosophie transcendantale », cherche à montrer que la connaissance humaine repose à la fois sur les données de l’expérience et sur les structures de la raison.
Kant admet, comme les empiristes, que la connaissance commence par l’expérience. Sans les données sensibles fournies par nos perceptions, il n’y aurait rien à connaître. Mais il critique l’idée selon laquelle toute connaissance dériverait exclusivement de l’expérience. Bien que nécessaire, celle-ci ne serait pas suffisante pour produire des connaissances universelles et nécessaires, comme celles des mathématiques ou des lois de la nature.
Il partage donc avec les rationalistes l’idée qu’il existe des éléments a priori, c’est-à-dire des structures de la pensée et de la perception qui précèdent toute expérience et rendent celle-ci possible. Ces éléments a priori ne viennent pas du monde extérieur, mais de l’esprit humain lui-même. Selon Kant, ce sont ces structures elles-mêmes qui permettent d’organiser et de donner un sens aux données brutes de l’expérience.
Alors, faut-il préférer une approche empiriste ou rationaliste pour tenter d’atteindre la vérité ? Êtes-vous plutôt rationaliste ou pensez-vous que vos connaissances sont construites uniquement par votre expérience ? Ou peut-être, comme Kant, préférez-vous faire la synthèse de ces deux courants philosophiques ?
Fanny Aici
Crédit photo : Cottonbro Studio-Pexels