Le Mur de Berlin (1961-1989) : de la Guerre froide à la fin des deux blocs
Lorsque les Berlinois de l’Ouest et de l’Est se réveillèrent le matin du 13 août 1961, une mauvaise surprise les attendait : pendant la nuit, les autorités de Berlin-Est avaient fait édifier une séparation totale (mur, grillages, barbelés) des deux côtés de la ville, empêchant toute circulation sans passer par des points de contrôles étroitement surveillés.
L’origine des événements remonte à novembre 1958, lorsque le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev demanda aux alliés occidentaux administrant Berlin-Ouest (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France), que soit effective sous 6 mois l’abrogation du statut quadripartite de la ville (lire notre article sur le Blocus de Berlin de 1948), mais surtout sa démilitarisation : de fait, cela impliquait le retrait des alliés occidentaux.
L’objectif politique de cet ultimatum était qu’à terme la ville intègre naturellement la République Démocratique allemande (RDA, dite Allemagne de l’Est), sous la coupe soviétique.
Non seulement les alliés refusèrent d’emblée mais, considérant cet ultimatum menaçant, ils adressèrent à Khrouchtchev une réponse formelle réfutant les arguments du Kremlin et réaffirmant leur droit d’être à Berlin, tout en laissant ouverte la possibilité de négociations sur le cas de l’Allemagne en général. C’est le début de ce qu’on appelle la Crise de Berlin.
3 millions d’émigrants de l’Est vers l’Ouest
Dans le même temps, et cela depuis la fin de la guerre, l’exode massif et continu d’Allemands de l’Est vers l’Ouest posait un grave problème à la RDA et à l’URSS, notamment parce que le pays, dont l’économie de reconstruction était très fragile, voyait fuir une main d’œuvre précieuse.
Les chiffres de cette immigration sont éloquents : autour de 3 millions d’Allemands (de 2,6 à 3,6 selon les sources) ont fuit la RDA pour rallier l’Ouest de 1949 à 1961. Un chiffre considérable pour un pays qui comptait au départ 18,8 millions d’habitants.
De fait, les frontières entre les deux Allemagnes étant rigoureusement gardées, beaucoup d’Allemands de l’Est profitaient du statut ouvert de Berlin pour passer à l’Ouest. Il suffisait alors juste de prendre le métro ! Ce que faisaient d’ailleurs beaucoup de Berlinois tous les jours pour aller travailler, et ce dans les deux sens. D’ailleurs, cette facilité de circulation a aussi servi à nombre de Polonais et de Tchèques pour fuir l’Est pour l’Ouest.
Enfin, le statut ouvert de la ville se prêtait à des trafics de devises et de marchandises préjudiciables à l’économie est-allemande, dont les résultats sous le régime de la planification étaient déplorables.
Chars russes et américains face-à-face
C’est donc dans la nuit du 12 au 13 août 1961 que les autorités est-allemandes, au terme d’un programme tenu secret (dont le nom de code était… « Muraille de Chine » !), firent poser des grilles et des barbelés, puis ériger des murs, sans oublier de murer les portes et façades des immeubles traversant le tracé de la frontière, pour empêcher toute circulation entre les deux côtés de Berlin, hormis des points de passages stricts et contrôlés. Des portes et façades d’immeubles traversant le tracé de la frontière furent également murées.
Pendant cette opération, près de 15 000 membres de forces armées bloquent les accès menant à Berlin-Ouest (rues, routes, voies ferrées), tandis que des troupes soviétiques se massent près des postes frontières des occidentaux. Le jour même, 60 000 Berlinois de l’Est perdent leur emploi à l’Ouest, et 10 000 de l’Ouest leur emploi à l’Est.
Le 16 août, une manifestation de protestation de 300 000 Berlinois se déroule à l’appel du maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt.
Dans la mesure où l’initiative de la RDA ne remet pas en cause les droits d’accès des Occidentaux à la partie Est de la ville, les alliés réagissent mollement à l’édification du mur, par des déclarations symboliques plus que par des menaces ou des sanctions.
Toutefois, la tension franchit un cap le 27 octobre 1961. Ce jour-là, sur le point de contrôle américain Checkpoint Charlie, les gardes-frontières de la RDA exigent de pouvoir contrôler les membres des forces alliées qui veulent se rendre en secteur soviétique, en violation du principe de libre-circulation dans la ville des forces armées des quatre vainqueurs.
Les esprits s’échauffent et, fait inédit, des chars russes et américains vont se poster de part et d’autres du Checkpoint (ci-dessous). La situation est explosive…
Un « mur antifasciste »
Au terme de quelques jours de tension, les chars des deux côtés se retirent. Aucun des deux camps ne veut prendre le risque d’une escalade vers une guerre ouverte. La libre circulation entre forces occupantes est rétablie à Checkpoint Charlie. Dans le même temps, la situation se fige. Sur 81 points de passage précédemment existant, il n’en existe plus que 7, sévèrement gardés.
Un mur de 43 kilomètres sépare donc durablement la ville. Il s’agit sur de grandes portions d’un double mur de 3,6 mètres de haut. Entre ces deux murs, quelques dizaines de mètres de no man’s land remplis de barbelés et surveillés de jour comme de nuit depuis des miradors (plus de 300) et des chemins de ronde, par 14 000 gardes et 600 chiens. Ironie de l’Histoire, le nom officiel que lui a donné la propagande est-allemande est « mur de protection antifasciste ».
Et « Gorby » arriva…
En 1985, l’arrivée au pouvoir en URSS de Mikhaïl Gorbatchev va profondément modifier les relations entre l’Est et l’Ouest.
L’heure est à la détente. Plus jeune que ses prédécesseurs et surtout moins dogmatique, Gorbatchev entend réformer le communisme soviétique (c’est la Perestroïka), et changer l’image de l’URSS, en la montrant plus moderne et respectueuse des droits des individus. Le nouveau chef du Kremlin sait aussi qu’il ne peut plus suivre le rythme effréné de course aux armements imposé par les Etats-Unis, en particulier au regard de leur Initiative de défense stratégique lancée en 1983.
En 1989, le Rideau de fer commence à se fissurer : la Hongrie assouplit ses règles aux frontières, bientôt imitée par la Tchécoslovaquie, tandis que la Pologne s’achemine vers la démocratie en élisant un président non communiste.
A l’été 1989, 25 000 Allemands de l’Est prétextent les vacances pour rejoindre la RFA via la Hongrie ou la Tchécoslovaquie.
Le climat de libéralisation qui traverse certains pays de l’Est touche les Allemands de l’Est : le 2 octobre à Dresde, 20 000 personnes manifestent dans les rues contre le régime – du jamais vu !
De passage à Berlin-Est le 7 octobre 1989 à l’occasion du 40e anniversaire de la RDA, Mikhaïl Gorbatchev avertit ses dirigeants que tout recours à la force contre le peuple est exclu.
De nouvelles manifestations ont lieu, malgré les promesses du pouvoir de se réformer : à Berlin-Est le 9 octobre, à Leipzig le 16 octobre…
Une déclaration valant révolution
L’étincelle qui mettra le feu aux poudres, ou plutôt aux fondations du Mur, est une déclaration « maladroite » (selon le côté où l’on se situe). Le soir du jeudi 9 novembre, un membre du parti au pouvoir déclare lors d’une conférence de presse retransmise en direct à la télé : « Les voyages privés vers l’étranger peuvent être autorisés sans présentation de justificatif – motif du voyage ou lien de famille ». Et à la question d’une journaliste concernant la date d’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition, il répond : « Immédiatement ».
On apprendra par la suite que cette mesure était extraite d’un projet de décision du conseil des ministres qui ne devait être rendu public que le lendemain. Quoiqu’il en soit, l’information se répand, les médias radio et télés annoncent « Le Mur est ouvert ! » et, au cours de la soirée, les Berlinois de l’Est vont se presser par milliers aux postes frontières du mur pour les traverser en toute liberté. Les gardes-frontières, en pleine confusion et sans instructions claires, laissent passer les foules.
Durant cette nuit historique, les Berlinois de l’Ouest sortiront aussi massivement de chez eux pour participer à une liesse populaire spectaculaire. Des centaines de gens monteront sur le mur, et commenceront même à le détruire !
Un événement désormais rentré dans la mémoire allemande comme « die Wende », le Tournant.
Ironie de l’histoire, un autre événement majeur de l’histoire de l’Allemagne s’était déroulé dans la nuit du 9 au 10 novembre… C’était en 1938.
Une réunification expresse
Preuve que les régimes de l’Est sont pour la plupart mûrs pour tomber et rejoindre le bloc des démocraties occidentales, c’est dès le 29 novembre que le chancelier de la RFA Helmut Khol annonce un plan de réunification des deux Allemagnes. Le 12 septembre 1990, le Traité de Moscou entérine officiellement cette réunification de la RFA et de la RDA.
A noter que toujours en 1989, à Prague, la Révolution de Velours a mis fin au pouvoir communiste en quelques semaines. En Bulgarie, les staliniens sont écartés au profit de communistes plus modérés. En Roumanie, Ceausescu est mis à mort au terme d’une révolution plus brutale. Plus à l’est, les Etats Baltes proclament en 1990 leur indépendance de l’Union soviétique, bientôt suivis par d’autres républiques.
Deux ans seulement après la chute du Mur de Berlin, l’URSS était officiellement dissoute. Quand l’Histoire est en marche et que le temps d’une idée est venu (en l’occurrence la liberté et la démocratie), rien ne lui résiste.
Kennedy : « Ich bin ein Berliner »
Le président Kennedy se rendit à Berlin-Ouest le 16 juin 1963, à l’occasion des 15 ans du Blocus de Berlin. Son discours depuis le balcon de l’hôtel de ville, resté célèbre (le discours, pas l’hôtel, suivez un peu…), avait pour objectif de témoigner du soutien des Etats-Unis aux Allemands et aux Berlinois de l’Est, afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés dans leur enclave cernée par les régimes communistes. En voici des extraits emblématiques :
Il y a beaucoup de gens dans le monde qui ne comprennent pas ou qui prétendent ne pas comprendre quel est le grand problème qui sépare le monde libre du monde communiste. Qu’ils viennent à Berlin ! Il y en a qui disent que le communisme est la voie de l’avenir. Qu’ils viennent à Berlin ! Il y en a qui disent, en Europe et ailleurs, que nous pouvons travailler avec les communistes. Qu’ils viennent à Berlin ! Il y en a même quelques-uns qui disent que le communisme est certes mauvais, mais qu’il permet le progrès économique. Lass sie nach Berlin kommen ! Qu’ils viennent à Berlin !
(…)
Vous vivez sur un îlot de liberté, mais votre sort est lié à celui du monde. C’est pourquoi je vous demande de songer non pas aux dangers d’aujourd’hui mais aux espoirs de demain, non pas seulement à la liberté de votre ville ou à votre pays, mais aux progrès de la liberté dans le monde entier, non pas au mur mais au jour où viendront la paix et la justice, non pas à vous-mêmes et à nous-mêmes, mais à toute l’humanité.
La liberté est indivisible, et quand un homme est esclave, aucun n’est libre. Quand tous seront libres, votre ville sera réunie, votre pays et votre ville le seront, votre pays et votre continent le seront dans un monde de paix et d’espérance. Quand ce jour viendra, et il viendra, le peuple de Berlin-Ouest connaîtra la fierté d’avoir été sur le front pendant près de deux décennies.
Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont les citoyens de Berlin, et c’est pourquoi je déclare avec fierté, en homme libre : Ich bin ein Berliner [Je suis un Berlinois]
Vidéo : l’histoire du mur de Berlin, de la guerre à la chute
https://www.youtube.com/watch?v=UQcKMxpU2bQ%20