Le Blocus de Berlin (1948), première crise de la Guerre froide
Le 24 juin 1948, l’Union soviétique fait fermer tous les accès aux zones de Berlin contrôlées par les alliés occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France). Officiellement, pour protester contre l’introduction d’une nouvelle monnaie dans Berlin-Ouest, le Deutsche Mark, qui, selon Moscou, va définitivement diviser la ville. L’enjeu du Blocus de Berlin, c’est aussi le devenir de l’enclave occidentale de Berlin-Ouest dans la partie Est de l’Allemagne contrôlée par les Soviétiques.
Le contexte des blocs de l’Est et de l’Ouest
La fin de la Seconde Guerre mondiale et le partage des zones d’influences par les vainqueurs (Conférence de Yalta puis Conférence de Potsdam) a permis à Staline de prendre le contrôle des pays de l’Est de l’Europe. Les partis communistes, qui se sont engagés dans la résistance face aux Allemands, sont très actifs dans les démocraties de l’Ouest. Washington craint leur influence et que des pays d’Europe de l’Ouest ne se rallient au communisme.
En 1947, le président américain Harry Truman inaugure une politique d’endiguement de l’influence soviétique en Europe puis lance le Plan Marshall d’aide économique à la reconstruction de l’Europe. Il s’agit d’une générosité bien calculée, puisque les milliards de crédits accordés sont conditionnés à l’importation équivalente d’équipements et de produits américains.
En réaction, côté soviétique, la doctrine Jdanov postule que le monde est désormais séparé entre les « forces impérialistes menées par les Etats-Unis », et les « pacifistes » rassemblés derrière l’URSS.
En 1948 a lieu le Coup de Prague : occupée par l’armée rouge, la Tchécoslovaquie est le dernier pays d’Europe de l’Est à ne pas avoir politiquement rejoint le bloc communiste, malgré un parti communiste puissant, mais qui n’est pas majoritaire. Fait aggravant, elle a accepté l’aide américaine du Plan Marshall ! Staline s’y oppose fermement et soutient les communistes locaux qui forcent le président Edvard Beneš à leur céder le pouvoir.
L’enclave berlinoise, un caillou dans la chaussure
Depuis la victoire des alliés, l’Allemagne est divisée en quatre zones contrôlées par les Soviétiques à l’est, et par les Américains, les Britanniques et les Français à l’Ouest :
Au cœur de la zone allemande contrôlée par les Soviétiques, qui deviendra l’Allemagne de l’Est, l’ancienne capitale Berlin est également partagée en quatre zones de contrôle, dont Berlin-Ouest (plus de 2 millions d’habitants) par les trois alliés occidentaux. Militairement parlant, c’est un théâtre d’opération indéfendable
Zones de contrôle de Berlin.
Dans un contexte de méfiance réciproque, et malgré d’intenses négociations, les vainqueurs n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le statut définitif des zones qu’elles occupent (politique économique conjointe, montant des réparations de guerre imposées à l’Allemagne, gouvernement…).
En 1947, les trois alliés occidentaux décident de fusionner économiquement leurs zones d’occupation. L’année suivante, ils prennent des mesures visant la création à terme d’un Etat allemand de l’Ouest. En juin 1948, une nouvelle monnaie, le Deutsche Mark, est mise en circulation à l’Ouest, puis à Berlin-Ouest, malgré l’opposition soviétique.
C’est la goutte d’eau pour les Russes, qui, depuis début 1948, ont déjà pris des mesures drastiques pour gêner le transit entre Berlin-Ouest et l’autre côté du « Rideau de fer », selon la métaphore de Churchill.
Les Russes tentent alors de jouer la carte de la politique du fait accompli : en ordonnant le blocus de Berlin le 24 juin, Staline espère que la zone Ouest va naturellement finir par tomber dans son escarcelle. Il n’imagine pas en effet les alliés se lancer dans une guerre pour défendre Berlin-Ouest, ni capables d’assurer le ravitaillement de ses habitants, alors que seuls les couloirs aériens ne sont pas bloqués. Il espère un pourrissement de la situation et, à l’usure, un retrait des Occidentaux. A noter toutefois que Staline prend un grand risque car à cette époque l’Union soviétique ne dispose pas encore de l’arme atomique – sa première bombe explosera en août 1949.
Dessin du caricaturiste de presse américain Dick Spencer, 1948.
Un risque d’escalade
L’événement modifie les représentations : les habitants de Berlin ne sont plus perçus par l’Ouest comme des vaincus qui doivent continuer d’expier le nazisme, mais comme des victimes et un symbole de liberté à préserver derrière le Rideau de fer. Abandonner Berlin serait un très mauvais signal adressé aux démocraties occidentales soutenues par les Etats-Unis.
Les alliés occidentaux doivent donc réagir, mais ils craignent une escalade pouvant conduire à la guerre.
Un pont aérien existait déjà depuis les premières restrictions imposées par les Soviétiques, mais celui qui va alors être mis en place sera d’une nature exceptionnelle, et même spectaculaire ! A partir du 24 juin, Américains et Britanniques vont organiser une rotation d’appareils de transport permettant de livrer dès juillet 2 000 tonnes par jour de ravitaillement, pour aller jusqu’à 8 000 tonnes quotidiennes en mai 1949, à la veille de la fin du blocus : il s’agit principalement de vivres, de charbon, de blé, d’essence et de médicaments.
Au total, cela représentera 2,2 millions de tonnes de fret et près de 280 000 vols, soit un atterrissage toutes les trois minutes en moyenne !
De nouvelles alliances militaires
Pendant les 10 mois que dure le blocus, les négociations entre les deux parties sont infructueuses. Les Occidentaux demandent la levée du blocus sans préalable. Les Russes exigent le retrait du Deutsche Mark de Berlin-Ouest et sont réticents quant à la formation d’un régime propre à l’Allemagne de l’Ouest, qui progresse à grand pas sous la férule des alliés. Puis, finalement, le blocus prend fin le 12 mai 1949, après que les quatre parties se sont accordées sur la tenue d’une conférence des quatre ministres des Affaires étrangères à compter du 23 mai. Staline a perdu son bras de fer, les Berlinois respirent.
La réussite des alliés occidentaux et le constat que l’Allemagne est définitivement divisée (au moins jusqu’en 1990) va accélérer la mise en place, à l’Ouest, de la République fédérale allemande, proclamée le 23 mai 1949, ainsi que son réarmement. En réaction, à l’Est, la République démocratique allemande (RDA), dite Allemagne de l’Est, est fondée le 7 octobre 1949.
Mais l’épilogue stratégique le plus important est indéniablement l’initiative occidentale de rassembler les nations non-communistes dans une alliance militaire, le Traité de l’Atlantique nord, qui fonde l’OTAN en avril 1949, alors que le blocus est toujours en cours. De facto, la présence américaine en Europe, et a fortiori en Allemagne, est pérennisée. D’occupants, les vainqueurs occidentaux sont devenus des protecteurs, et bientôt des alliés, puisque l’Allemagne de l’Ouest rejoint l’OTAN en 1954, avec pour conséquence la création à l’Est d’une alliance similaire, en 1955, le Pacte de Varsovie.
La question berlinoise se posera de nouveau en 1961, avec la construction du Mur de Berlin. Ce ne sera pas une autre histoire, mais la même qui continue…
Fabien Cluzel
Article 5 du Traité de l’Atlantique Nord
« Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales. »
Membres signataires en 1949 : États-Unis, Canada, France, Royaume-Uni, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Portugal.
Crédit photo image de Une : National Museum of the U.S. Air Force