La fondation d’Israël (1947-1948) : une terre pour deux peuples ?
Après le vote par l’ONU le 29 novembre 1947 d’un Plan de partage de la Palestine en un Etat juif et un Etat arabe, prévoyant une administration internationale de Jérusalem, l’indépendance de l’Etat d’Israël était proclamée le 14 mai 1948. Le lendemain éclatait la première guerre israélo-arabe.
Le contexte du sionisme
Le sionisme est un mouvement politique national et religieux né dans les années 1880. Dans la Bible hébraïque, Sion désigne à la fois des lieux qui symbolisent la présence du dieu Yahvé, tandis qu’un mont du même nom se situe à Jérusalem.
Le sionisme (mot apparu seulement en 1886) est né dans la culture juive dans le contexte d’une diaspora multiséculaire, en forgeant progressivement l’idée que les juifs dispersés – et persécutés – finiraient par se retrouver sur une même terre dont ils sont originaires, Israël. Un slogan récurrent va d’ailleurs accompagner cet idéal : « Une Terre sans peuple pour un peuple sans terre ». On verra que la réalité géopolitique n’est pas si simple…
C’est à la fin du XIXe siècle que le sionisme comme mouvement prend une dimension politique sous l’impulsion de son fondateur Theodor Herzl, journaliste austro-hongrois qui publie en 1886 L’Etat juif. Correspondant de presse à Paris, Herzl a assisté à la condamnation à tort pour traîtrise du capitaine Dreyfus (l’Affaire Dreyfus) et en a définitivement conclu que les Juifs, où qu’ils se trouvent et aussi assimilés qu’ils soient, seront toujours traités comme des citoyens de seconde zone. C’est lui qui va réunir et présider le Premier congrès sioniste à Bâle, en Suisse, en 1897. L’objectif est, à terme, de fonder un foyer national juif en Palestine.
Un antisémitisme virulent en Europe
Attardons-nous sur les motivations de Theodor Herzl, qui sont au cœur de sa doctrine : il est important de comprendre qu’une des motivations principales du sionisme part du constat que, dans la majorité des pays d’Europe, les Juifs, même parfaitement intégrés et assimilés socialement, continuent – comme ils l’ont été en particulier pendant tout le Moyen Âge – d’être victimes d’antisémitisme et d’être accusés de fomenter d’hypothétiques complots pour contrôler le monde.
D’innombrables publications antisémites circulent dans toute l’Europe à la fin du XIXe siècle et du début du XXe, avec une forte audience. Un texte antisémite célèbre circule au début du XXe siècle, Les Protocoles des Sages de Sion : ce faux, réalisé par la police secrète du Tsar (il y a beaucoup d’antisémitisme et de pogroms en Russie), est censé relater les décisions prises par une assemblée juive internationale qui élabore un programme de domination mondiale. On a su qu’il était faux, car quantité de passages de ce texte sont des copiés-collés d’autres textes et pamphlets antérieurs à sa publication.
Mais cela n’a pas empêché l’ouvrage d’avoir une grande postérité et d’être utilisé par de nombreux médias et « intellectuels » antisémites. Sans surprise d’ailleurs, ce texte servira, parmi d’autres, à la « justification » de la doctrine nazie… Et, pour être politiquement incorrect mais tout à fait factuel, on peut préciser que cet ouvrage se vend toujours beaucoup dans le monde arabe, où de nombreux éditeurs et responsables politiques le considèrent comme authentique. En Palestine, le mouvement Hamas (qui contrôle la Bande de Gaza) y fait référence dans sa charte fondatrice.
L’impuissance britannique
Au début du XXe siècle, entre 50 et 80 000 Juifs vivent en Palestine – dont certains arrivés avec de récentes vagues d’émigration issues de Russie. Sous-contrôle de l’Empire ottoman depuis quatre siècles, la Palestine est conquise par les Britanniques en 1917. La même année, la célèbre Déclaration Balfour, du nom du ministre britannique des Affaires étrangères, se prononce en faveur de la création d’un foyer national juif.
Placée par l’ONU sous mandat britannique en 1920, la Palestine va accueillir plusieurs vagues de migrants : ces colons vont fonder une armée, une université, et différentes institutions, prémices d’un véritable Etat. Majoritaires sur le territoire, les Arabes, sans unité politique, dénoncent l’immigration juive comme une conquête de leurs terres. Des émeutes anti-juives ont d’ailleurs lieu à Jérusalem et Jaffa en 1920 et 1921, puis encore en 1929.
Une vaste révolte arabe éclate de 1936 à 1939 pour revendiquer la fin du mandat britannique, la création d’un Etat arabe indépendant et la fin de l’immigration juive. Elle échoue, avec pour conséquence le démantèlement des forces paramilitaires arabes par les Britanniques, le renforcement de celles des colons juifs, et l’exil de nombreux leaders arabes. Les Arabes palestiniens obtiennent toutefois des concessions politiques : prévoyant des quotas d’immigration juive, le Livre blanc de 1939 appelle à la création d’une Palestine indépendante dans les dix ans, intégrant un foyer national juif, et à son administration conjointe par les Arabes et les Juifs. Mais ces mesures ne satisfont aucune des parties, et la Seconde Guerre mondiale vient figer la situation.
Le mandat des Britanniques est vécu comme une occupation par une partie des Juifs installés en Palestine, en particulier par des mouvements nationalistes virulents, qui s’opposent par ailleurs avec violence aux populations arabes.
En 1945, après les persécutions et l’Holocauste des Juifs perpétrés par les nazis, la Palestine héberge environ 600 000 Juifs, majoritairement immigrés pendant le mandat britannique, et 1 200 000 Arabes, tandis qu’entre 250 et 300 000 survivants des camps d’extermination s’apprêtent à la rejoindre.
Le 22 juillet 1946, l’organisation extrémiste et paramilitaire juive Irgoun fait exploser une bombe dans l’hôtel King David, où sont installés les bureaux des autorités britanniques, faisant près de 100 morts. La situation est devenue ingérable, et la Grande-Bretagne se tourne vers l’ONU pour lui trouver une issue.
Une guerre civile annoncée
Le 29 novembre 1947, l’ONU adopte un Plan de partage de la Palestine en un Etat juif et un Etat arabe, prévoyant une administration internationale de Jérusalem. L’État juif regrouperait une majorité de Juifs (558 000 et 405 000 Arabes), tandis que l’Etat arabe comprendrait 804 000 habitants, dont 10 000 Juifs.
Dès le lendemain, conformément aux « avertissements » lancés par les milieux arabes (en Palestine et en dehors), la guerre civile éclate. Elle oppose des forces paramilitaires juives, des arabes palestiniens et des soldats volontaires de l’Armée de libération arabe, majoritairement Syriens.
Cette guerre civile, qui durera 6 mois avant que n’éclate officiellement la première guerre israélo-arabe, est perdue par les Arabes : entre 350 et 400 000 Palestiniens prennent le chemin de l’exode. Soit pour fuir les combats, soit chassés de leurs villages par des Juifs, en particulier par des mouvements extrémistes farouchement décidés à chasser les Arabes des terres qu’ils considèrent désormais comme les leurs. C’est dans ce contexte qu’a lieu le 9 avril 1948 le massacre de Deir Yassin, un village arabe à quelques kilomètres de Jérusalem (dont les quartiers juifs sont soumis à un blocus par les Arabes). 120 combattants de milices juives extrémistes attaquent ce village, modérément défendu, faisant entre 100 et 120 morts, dont une majorité de civils non-armés, mais aussi des prisonniers exécutés.
Pendant ce temps, les Britanniques n’interviennent quasiment plus et organisent leur retrait…
Israël étend son territoire
Le dernier jour du mandat britannique, le 14 mai 1948, le président de l’Agence juive David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël, dont il devient chef d’Etat provisoire, puis Premier ministre à l’issue des premières élections législatives en janvier 1949 (le 11 mai 1959, le pays deviendra le 59e membre des Nations Unies).
Fait important pour ce pays naissant démographiquement très en retrait par rapport à ses voisins, le nouvel Etat proclame la « loi du retour », l’alya, selon laquelle tout Juif dans le monde a le droit de venir s’installer en Israël.
Le lendemain de la proclamation de l’Etat éclate la première guerre israélo-arabe : Transjordanie, Egypte, Syrie et Irak déclarent la guerre à Israël et leurs armées franchissent les frontières de la Palestine. Du 15 mai au 11 juin 1948, elles sont à l’offensive mais les Israéliens, bien que peu nombreux et sous-équipés (5 000 soldats réguliers) résistent.
Accusant de lourdes pertes, les deux camps acceptent une trêve d’un mois proposée par l’ONU : elle permet aux israéliens, à bout de force, de mobiliser trois fois plus de combattants, mieux équipés. Les hostilités reprennent le 10 juillet et, là encore, les pays arabes, divisés et mal préparés, sont mis en échec. Les israéliens parviennent même à prendre le contrôle de zones qui étaient dévolues aux Arabes dans le plan de partage initial.
En 1949, Israël signe des accords de cessez-le-feu avec ses voisins arabes, à l’exception de l’Irak (qui n’est pas un pays frontalier).
Migrations croisées
Cette défaite des pays arabes restera perçue dans les consciences populaires comme une « catastrophe », Al Naqba. La plupart des dirigeants arabes impliqués quitteront bientôt le pouvoir, de gré ou de force, notamment sous la poussée du nationalisme arabe.
A l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, près de 730 000 Arabes palestiniens sur les 900 000 vivants sur des territoires contrôlés par Israël ont quitté la Palestine. Sur 900 000 Juifs qui vivaient dans les pays arabes limitrophes, et qui sont désormais vus comme des ennemis, 600 000 prennent la direction d’Israël, dont les revendications territoriales vont désormais bien au-delà du Plan de partage de 1947.
Le pays va continuer d’accueillir de plus en plus de nouveaux citoyens (1,3 million de personnes font leur Alya de 1948 à 1954), lui permettant de se développer et de renforcer ses capacités de défense, faisant d’Israël une puissance militaire désormais majeure au Proche Orient, comme les prochaines guerres israélo-arabes le confirmeront en 1956, 1967 et 1973.
Fabien Cluzel
A lire, le roman de la fondation d’Israël
« Ô Jérusalem » est un roman captivant ! Ses auteurs, Dominique Lapierre et Larry Collins, qui ont mené un considérable travail de recherche et d’entretiens avant de le rédiger, ont choisi de raconter les événements de différents points de vue afin d’en restituer la complexité : on suit ainsi le récit depuis les côtés arabe, juif et britannique, ou d’un soldat israélien, d’un étudiant juif jusqu’à Ben Gourion lui-même.
Doit-on écrire Juif ou juif ?
On écrit chrétien, juif, musulman lorsque l’on parle des croyants. Mais le judaïsme est un cas à part, puisqu’il s’agit d’une « religion-nation », dont l’identité est la judéité (qui se transmet par la mère). Lorsque l’on parle des Juifs en tant que peuple, on emploie une majuscule, et lorsque l’on parle des juifs en tant que croyants, une minuscule.