1962, la crise des missiles de Cuba
A l’automne 1962, des vols de reconnaissance d’avions espions américains au-dessus de Cuba révèlent la présence de missiles nucléaires soviétiques pouvant frapper les Etats-Unis. Immédiatement, le président John Kennedy ordonne le blocus de l’île par la marine américaine. Après des négociations tendues et la peur, partagée dans le monde entier, que n’éclate la troisième guerre mondiale, l’URSS s’engage à retirer ses missiles de l’île… et les Américains les siens de la Turquie.
Située à 150 km des côtes de Floride, Cuba est un caillou dans la chaussure des Etats-Unis depuis la fin des années 50. Début 1959 en effet, une guérilla communiste conduite par Fidel Castro et Che Guevara a renversé le dictateur Battista soutenu par les Etats-Unis et des entreprises qui avaient fait de l’île une affaire florissante, tant dans l’exploitation de ressources naturelles que dans le tourisme débridé.
Bien qu’initialement reconnu par les Etats-Unis, le régime cubain, après avoir entrepris des réformes agraires et nationalisé les entreprises américaines, va faire l’objet de rétorsions de la part de Washington. Les relations diplomatiques sont rompues, un embargo commercial sera prononcé (février 1962), tandis que les Etats-Unis ne cessent d’accueillir par milliers des exilés cubains en Floride.
Le fiasco de la Baie des cochons
Castro, qui se rapproche des soviétiques, devient l’ennemi à abattre et, outre de nombreux projets d’assassinats par la CIA qui resteront lettre morte, une tentative d’invasion de l’île dans la Baie des cochons par des réfugiés cubains anticastristes, soutenus par le gouvernement américain, échoue piteusement le 17 avril 1961. L’événement jette encore davantage Castro dans les bras de l’URSS, dirigée par Nikita Khrouchtchev, qui place Cuba sous sa protection et lui assure des débouchés économiques.
En 1962, Khrouchtchev fait parvenir sur l’île des missiles nucléaires, découverts par les Américains le 15 octobre de la même année. Bien que déjà à portée des missiles balistiques intercontinentaux soviétiques, le fait de voir des missiles nucléaires à 150 km de leurs côtes est un camouflet pour les Américains. De plus, ces derniers sont ulcérés de voir l’URSS enraciner sa présence dans un pays d’Amérique latine, qu’ils considèrent comme leur chasse gardée…
Après avoir rendu publique la « provocation » soviétique le 22 octobre (lire encadré en fin d’article), le président Kennedy ordonne le blocus maritime de l’île par les navires de la Navy et exige le retrait des missiles par l’Union soviétique.
Ce que le monde ne sait alors pas, car cette opération s’est faite dans le plus grand secret, c’est que les Etats-Unis ont fait la même chose l’année précédente en Turquie, frontalière de l’URSS, en y déployant 15 missiles nucléaires Jupiter…
Le Monde retient son souffle
Le 24 octobre, le blocus de Cuba est opérationnel et des navires militaires soviétiques en route vers l’île sont forcés de s’arrêter, tandis que les forces armées américaines sont en état d’alerte avancée. Dans le même temps, le président Kennedy a obtenu des pays membres de l’OTAN, dont la France et la Grande-Bretagne, leur soutien aux côtés des Etats-Unis en cas de guerre ouverte contre l’URSS.
Le 26 octobre, Khrouchtchev confie à son entourage, tout en sachant que les Américains le sauront, qu’il est prêt à aller jusqu’à la guerre. Bluff ? Peut-être… Dans le même temps, ses services de renseignement l’informent que les Etats-Unis sont sur le pied de guerre. Ils le savent notamment parce qu’ils ont appris que les hôpitaux de la côte Est des Etats-Unis ont reçu des instructions pour se préparer à un éventuel flux massif de soldats blessés.
Le 27 octobre, un avion de reconnaissance américain U-2 est abattu au-dessus de l’île, accroissant la tension à un point culminant. Mais Kennedy n’ordonne pas de représailles, tandis que le même jour, une communication de Khrouchtchev laisse entendre qu’il est prêt à négocier.
Dans les toutes dernières heures de la crise, une rencontre informelle entre Robert Kennedy, frère de John et ministre de la Justice, et l’ambassadeur soviétique à Washington, permet d’entrevoir un compromis. Certains historiens relèvent toutefois que, selon les archives soviétiques, les termes de ce compromis ne seraient arrivés sur le bureau du dirigeant soviétique qu’après ses ultimes décisions. Ce genre de petit détail montre que l’Histoire met du temps à être racontée de la manière la plus fiable possible et que le doute reste la règle !
Quoiqu’il en soit, le 28 octobre, alors que les Etats-Unis envisagent de bombarder dans les 24 heures les sites de missiles soviétiques cubains, Khrouchtchev accepte de retirer ces derniers en échange, notamment, de la promesse des Etats-Unis de ne pas tenter d’envahir l’île. Mais cet accord comprend une clause tenue secrète pendant des années, et qui fait finalement de Khrouchtchev le véritable vainqueur de ce bras de fer : les Etats-Unis s’engagent à retirer les missiles qu’ils ont déployés en Turquie, ainsi que d’autres en Italie tournés vers des pays du Bloc de l’Est.
Qui perd gagne
Pourtant, Khrouchtchev sort affaibli de cette crise auprès des pays communistes – sauf auprès des dirigeants qui savent ce qu’il a réellement obtenu – tandis que John Kennedy remporte un immense succès médiatique.
Mais le fait d’être passé si proche d’une apocalypse nucléaire, pendant 13 jours qui ont tenu le monde entier en haleine, va inciter les deux ennemis de la Guerre froide à inaugurer une détente réciproque, notamment avec la signature le 5 août 1963 d’un traité prohibant les essais nucléaires en mer, dans l’atmosphère et dans l’espace.
Et accessoirement, c’est à l’issue de cette crise que sera mise en place une ligne de communication directe entre la Maison Blanche et le Kremlin, le fameux « téléphone rouge », pour faciliter la gestion d’éventuelle nouvelle crise entre les deux superpuissances.
Il faudra attendre une quinzaine d’années pour qu’un épisode similaire se produise, cette fois-ci en Europe, avec la crise des euromissiles, à la fin des années 70 et le début des années 80. Mais c’est une autre histoire…
Fabien Cluzel
Déclaration télévisée de John F. Kennedy, le 22 octobre 1962
« Cette décision soudaine et clandestine d’entreposer pour la première fois des engins en dehors des frontières soviétiques constitue une provocation délibérée et une modification injustifiée du statu quo que nous ne saurions accepter. […]
Les années 1930 nous ont donné une leçon : un comportement agressif, s’il n’est ni réfréné ni contesté, mène inévitablement à la guerre. […] Nous ne voulons pas prendre prématurément ou inutilement le risque d’une guerre nucléaire mondiale coûteuse dans laquelle même la victoire aurait un goût de cendres, mais nous ne nous déroberons pas devant ce risque s’il se présente. […]
Afin de mettre un terme à l’implantation de ce dispositif d’agression, nous allons établir, autour de Cuba, un système de quarantaine extrêmement strict destiné à intercepter tout bâtiment, de toute provenance, se dirigeant vers Cuba. […]
Notre politique nous obligera à considérer toute attaque atomique dirigée contre l’un des pays de l’hémisphère occidental comme une attaque directe de l’URSS contre les États-Unis et appellera de ce fait des mesures de représailles dirigées contre l’URSS. […]
J’adresse un appel à M. Khrouchtchev pour lui demander de mettre fin à cette menace sournoise, téméraire et intolérable pour la paix dans le monde. »