Un Fab Lab au service de l'inclusion
Au lycée Henri Nominé de Sarreguemines, en Moselle, un Fab Lab très original accueille des élèves souffrant de difficultés particulières et de handicaps. Ils y apprennent « à apprendre » en concevant, fabriquant et collaborant. Et parce qu'on leur a confié la gestion du lieu, celui-ci joue un rôle actif pour leur inclusion au sein de la communauté scolaire.
Ça a été le premier Fab Lab, ou laboratoire de fabrication, monté dans un établissement scolaire. Au lycée Henri Nominé de Sarreguemines, dans l'académie de Nancy-Metz, depuis 2014, l'ensemble de la communauté scolaire, soit quelque 1 300 élèves, 140 enseignants et tout le personnel administratif et technique, peut profiter de cet espace dédié à la fabrication d'objets en tous genres, grâce notamment à des équipements numériques.
Son originalité ? Il est situé au cœur de l'Ulis pro (Unité localisée pour l'inclusion scolaire), une section qui permet d'accueillir en petit groupe et de manière adaptée des jeunes lycéens présentant des besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap. Et il est géré par les élèves qui la composent, d'où son appellation d'ailleurs : le FabUlis.
C'est la rencontre de deux profs qui a été à l'origine du projet. Un prof en production, qui a souhaité ouvrir l'Ulis pro, et un enseignant en construction mécanique, Alexandre Benassar, qui avait déjà monté un Fab Lab associatif à Metz.
« Nous nous sommes rendus compte que l'inclusion de ces élèves allait être compliquée », raconte ce dernier,
« car il y avait une vraie méconnaissance du handicap, doublée d'une crainte face à des élèves en difficulté. Nous avons pensé nous appuyer sur un tiers lieu où l'on peut rencontrer tout le monde, y compris des personnes extérieures, professionnels, grand public, etc. Cela marche un peu comme un CDI, mais orienté nouvelles technologies. »
Fabriquer, expérimenter, avoir le droit à l'erreur et reprendre confiance en soi
Et au-delà de l'enjeu de l'inclusion, positionner ce FabUlis au cœur de cette nouvelle section était avant tout un moyen de permettre à ces élèves qui
« peuvent avoir des relations aux autres particulières, du mal avec les matières intellectuelles, comme c'est le cas chez ceux qui souffrent de troubles dys », de développer des projets artistiques, scientifiques grâce aux nouvelles technologies et au numérique qui permettent de contourner certains obstacles et que les élèves apprécient et savent déjà en partie utiliser.
Du côté des apprentissages, les avantages semblent indéniables, selon Alexandre Benassar. Le Fab Lab permet aux élèves d'expérimenter, de prendre des risques, d'apprendre avec leurs propres idées. Une démarche par projet qui leur permet de
« valoriser » des compétences autres que celles attendues par le système scolaire, comme
« la collaboration, la créativité, la résolution de problèmes, l'esprit critique, des compétences très attendues au 21e siècle », souligne encore l'enseignant.
De l'usinage de pièces automobiles à la fabrication d'un sapin en plexiglas
Des compétences plutôt d'ordre professionnel qu'ils peuvent développer également au travers de collaborations avec l'extérieur, associations, collectivités, start-up, PME... Ainsi, en 2016, les élèves de l'Ulis ont testé l'usinage de pièces dédiées à la pose de pare-brise pour l'usine automobile Smart, via une fraiseuse 3D, outil coupant qui permet d'usiner tous types de pièces mécaniques par enlèvement de matière, à l'inverse de l'imprimante 3D qui permet de fabriquer des pièces par ajout de matière.
Les élèves ont aussi eu l'occasion de gagner un concours en travaillant sur un presse-canette dédié au recyclage. Ils ont également fini 3e au concours scientifique national pour collégiens et lycéens
CGénial 2015 avec la création d'un potager vertical, un système de culture hors sol dans des lits d'argile. Et ils ont aussi réalisé un sapin de Noël en plexiglas avec une découpeuse laser pour le ministère de l'Industrie !
Une « inclusion inversée »
Surtout, le droit à l'erreur autorisé par cette démarche expérimentale permet aux élèves de prendre plus facilement confiance en eux, tout comme la mission de
« médiateur » qui leur est confiée. Chaque année, la promo - entre 10 et 14 élèves - est donc formée dès la rentrée à l'usage des outils numériques, notamment les tablettes et les applications mises à disposition, les scanners et l'imprimante 3D, afin de pouvoir se transformer en conseillers et accompagnateurs pour tous ceux qui viennent investir cet espace. Résultat, ici le numérique et les technologies de pointe permettent de pratiquer
« l'inclusion inversée », puisque grâce à ce fonctionnement ce ne sont pas les élèves en situation de handicap qui sont inclus, mais les autres personnes, aussi bien profs qu'élèves de BTS, BAC Pro, CAP et 3DP, qui s'intègrent à ce nouveau dispositif et se rapprochent ainsi des élèves de l'Ulis.
Même si l'enseignant regrette une fréquentation qui n'est pas encore à la hauteur de ce qui était espéré, Jean-François Reinert, le chef d'établissement, constate avec satisfaction que c'est devenu
« un véritable lieu d'échange » et que le
« partage » se fait
« au bénéfice de tous ». Notamment au bénéfice des jeunes de l'Ulis
« qui peuvent s'approprier des compétences scientifiques par des voies détournées, comme la programmation, et voient ainsi leur image d'eux-mêmes considérablement modifiée et reprennent ainsi confiance en eux ».
Et du côté des autres élèves amenés à se faire présenter l'usage de la structure et de ces équipements par les premiers, se développe une « ouverture d'esprit ». Car le lieu permet réellement de démythifier le handicap, comme le souligne encore Alexandre Benassar :
« La situation de handicap fait peur à beaucoup de gens. Mais les personnes qui viennent au FabUlis avec des attentes particulières voient ainsi ces élèves sous un autre œil, puisque ce sont eux qui vont leur apporter connaissances et savoir-faire. »
Camille Pons