La culture au bout des pouces des lycéens
Immédiateté, facilité d'accès, gratuité et rapidité de consommation des œuvres : c'est la règle de 4 qu'applique la nouvelle génération (vous !) pour accéder à la culture. Avec l'explosion des équipements numériques, notamment nomades, et le déploiement du haut débit, la culture se consomme majoritairement devant les écrans. Mais vous faites bien plus que simplement vous y divertir. Vivre au Lycée a enquêté sur vos pratiques !
« Deux pouces et des neurones ». Derrière ce titre, un ouvrage, paru en septembre 2014 à La Documentation française. Une sociologue, Sylvie Octobre, spécialiste des pratiques culturelles des jeunes, y dresse un portrait de la génération des natifs du numérique. Numérique qui a modifié la façon de « consommer » la culture.
Car oui, le premier « terminal » pour y accéder, c'est aujourd'hui le smartphone, suivi de près par la tablette et l'ordinateur. Avec vos deux pouces, vous y consommez des jeux, de la musique, des films et des séries en streaming, des vidéos YouTube, amusantes, de vulgarisation scientifique...
En tête des biens culturels consommés ainsi (en dehors de jeux), on trouve la musique. Pas étonnant. Les nouvelles possibilités de stockage, d'échange ou de transfert sur des supports d'écoute multiples, du téléphone portable à l'ordinateur en passant par le lecteur MP3, font que la musique rythme désormais le quotidien à toute heure, au domicile, pendant les temps de transport...
« Je n'ai pas besoin d'acheter, j'ai une plus grande liberté, j'ai mon ordinateur près de moi, je n'ai pas besoin de me lever pour changer de morceau, je peux passer d'un style à un autre instantanément... », confirme d'ailleurs Marion Cluzel, lycéenne en terminale littéraire à Castres (81), habituée à écouter sa musique exclusivement par ce biais. « Et ça m'a permis de découvrir davantage de styles, rap, électro, slam, rock, métal, variété..., énormément d'artistes, comme Angerfist, car YouTube affiche des recommandations en fonction des vidéos que l'on écoute. Je peux être attirée par un titre, l'image, je clique, et si j'aime, je vais me renseigner sur l'artiste, sa discographie... »
Des outils qui favorisent la pratique, la création, l'expression
Et si vous êtes tentés par la découverte, vous l’êtes aussi par la pratique amateur, voire la création. Celle-ci s’est « démultipliée », observe Sylvie Octobre, « car les ados ont accès à bien plus d'outils » : tablettes pour filmer, logiciels de montage, de dessin, de graphisme, pour composer des morceaux de musique... « La manière d'aborder la culture est radicalement différente. Alors qu'avant la création venait d'une pratique artistique amateur, suivie avec un prof, là, ils se forment entre eux, visionnent des tutos, s'inspirent de leaders YouTubeurs..., en dehors des institutions de formation, en marge des adultes. Ce qui ne veut pas dire contre ! »
Avec un plus, « la mise en commun », la diffusion de l'auto-production « qui fait aussi partie du cycle créatif ». Par exemple autour des univers du livre, de la BD et des mangas, sur des plateformes telles que Wattpadd, qui permet de partager des histoires que l'on écrit, de commenter, annoter. Ce qui permet aussi de tisser des liens autour de passions communes. Marion Cluzel confie s'y être fait ainsi deux « vrais amis ». Et aujourd'hui, ce sont ses dessins qu'elle partage sur Instagram.
Les ados pratiquent aussi l'échange d'astuces, de bons plans : ils postent des vidéos sur YouTube pour la réparation d'un téléphone, une recette, des astuces pour les jeux vidéos, regarder des films en streaming gratuitement, télécharger des musiques... Inspirés notamment par les Youtubeurs comme Norman, Cyprien, Natoo, Swann et Neo.
Du divertissement à la connaissance
Et ces youtubeurs peuvent aussi être des sources de connaissances « instructives » comme le souligne Marion qui évoque Squeezie, son préféré, qui « peut réagir à l'actu, parler de ce qu'il aime, la culture, l'espace, les voyages... ». Autre youtubeur qui séduit, Léo Grasset, le concepteur de DirtyBiology, parce qu'il fait de la vulgarisation scientifique, mais sous un registre drôle ou décalé. Près de 830 000 abonnés aiment visionner ses « vidéos de science sur des sujets mindfuck, crades, ou juste rigolos ». Rien que les titres sont une incitation à cliquer : La Terre pourrait-elle être un Donut ? Les (bonnes ?) surprises du changement climatique ; Êtes-vous sûrs d'être vivant ? La pire erreur de l'humanité (l'agriculture)...
Certains en profitent même pour réviser leurs cours. Sur « Les bons profs », par exemple (https://www.youtube.com/user/lesbonsprofs), en visionnant des vidéos faites par de « vrais » profs de l'Éducation nationale, qui proposent même des conseils et des informations pour les examens, sur l'orientation, la réforme du lycée général...
YouTube a d'ailleurs aussi servi à Marion pour réviser : « un bon moyen de trouver d'autres explications pour apprendre, car c'est moins technique, plus simple d'approche. C'est incroyable, grâce à Internet on a accès à des ressources quasi-infinies, cinéma, musique, sciences... ! On peut s'éduquer tout seul à condition que les sources soient vérifiées. »
Films et séries en VO = progrès en langues !
Parce qu'ils veulent aussi consommer sans attendre séries ou films, il faut passer par le streaming et donc souvent en version originale. Résultat, les jeunes ont fait des « progrès substantiels » en langues, confirme Sylvie Octobre, qui a enquêté à ce sujet avec Vincenzo Cicchelli (« L'amateur cosmopolite », 2017).
Néanmoins, les jeunes lisent moins. C'est vrai. Mais, commente encore Sylvie Octobre, déjà les générations précédentes « ne lisaient pas beaucoup ». Les discours du type « ils ne savent plus écrire, plus penser » l'« agacent » aussi un peu. Les générations précédentes se sont trémoussées sur Bananasplit, chanson de Lio des années 80 bien « suggestive », ou ont regardé des séries comme Starsky et Hutch sans pour autant devenir idiots. Et à ce titre d'ailleurs, beaucoup de séries actuelles s'avèrent « bien plus complexes, ne serait-ce que pour la compréhension scénaristique ». De plus, avec ces nouveaux outils, force est de constater qu'« on n'a jamais autant communiqué, écrit » en postant, commentant, textotant...
Certes, mais est-ce que la qualité de ce que l'on voit ou partage est au rendez-vous ? Réponse de Sylvie Octobre : « Prenons l'exemple du selfie : c'est faire de la photo. Certes, peut-être pas très artistique. Mais les jeunes des autres générations avaient-ils tous la démarche de soigner le cadre, la lumière, etc. ? », interroge la chercheuse. Quant à la pratique amateur, elle n'a pas vocation à faire des génies, de toute façon « toujours rares ».
Compétences et « marketing de soi »
La vraie question, c'est plutôt comment accompagner ce changement. Trop d'offres, d'abord. Dans laquelle les adultes doivent aider à faire un tri. Autre difficulté, faire face « à un discours contradictoire : la culture, c'est bien pour l'émancipation personnelle ; mais dans la réalité, la culture doit être rentable pour réussir scolairement. Et c'est Madame Bovary [de Gustave Flaubert, ndlr] qui va tomber au bac ! » Aux adultes aussi de tenir alors « un discours audible, ». Et de ne pas dire « Louis Amstrong [musicien afro-américain de jazz, ndlr] c'est mieux que le rap Kpop, mais 'je pense que...' » Enfin, autre dérive à éviter, passer son temps devant les écrans.
Pour la sociologue, ces pratiques et ces formes d'expressions nouvelles sont, quoi qu'il en soit, « intéressantes à valoriser ». Car au-delà du simple divertissement, elles contribuent à « développer des formes d'expressivité, des compétences technologiques, en langues. Et les jeunes deviennent aussi très forts en marketing de soi : ils soignent la mise en forme, les mots-clés pour être attractifs. Nous, il a fallu qu'on l'apprenne à 30 ans, eux ils le vivent ! »
Camille Pons
Portrait d'une culture jeune
- - 85 % des 12-17 ans ont un smartphone.
- - À partir de 10 ans, ils abandonnent les biens culturels matérialisés (jeux de plateaux, poupées, CD, DVD...).
- - Plus de contraintes de temps et recherche de l'intensité immédiate : ils n'attendent plus le passage de leur série favorite à la télévision pour la visionner ; ils veulent pouvoir quitter le « bien culturel » et y revenir quand ils veulent et privilégient les programmes courts (des séries de 35-40 minutes plutôt que des films de 2 h).
- - Seules exceptions : le cinéma, les concerts, les livres papiers et jeux sur console.
- - La musique issue du marché numérique rythme les journées dès l'âge de 8 ans et au fur et à mesure qu'ils avancent en âge, les ados ne peuvent s'en passer.
- - Une partie de la jeunesse tire parti des opportunités des nouveaux médias pour apprendre, se construire et partager, mais une autre reste en retrait des nouvelles propositions culturelles.
Sources : enquête Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) « Exploration des pratiques culturelles dématérialisées des très jeunes consommateurs » (2017) ; Baromètre du numérique, CGE – Arcep – Agence du Numérique (2016).