La Nuit de cristal (9-10 novembre 1938), tournant de la politique antisémite nazie
Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, une vague de violence assimilable à un pogrom s’est abattue sur les synagogues, les commerces et les foyers juifs dans toute l’Allemagne nazie ainsi qu’en Autriche, annexée au Reich quelques mois plus tôt. « Bilan », au moins une centaine de morts, 7 500 magasins saccagés et pillés, 30 à 35 000 juifs arrêtés et envoyés dans des camps. Dans quelle logique s’inscrit cet événement, la « Nuit de cristal », et de quoi est-il le prélude ?
Depuis l’accès au pouvoir du parti nazi et la promulgation des lois antisémites de Nuremberg (1935, lire encadré), les juifs sont persécutés en Allemagne et plusieurs dizaines de milliers ont fui le pays. Mais aux yeux des autorités nazies, qui veulent faire de l’Allemagne un pays « judenrein», « nettoyé de ses Juifs », cette émigration est trop lente.
Un « faux » mouvement populaire spontané
Le 9 novembre 1938, la mort d’un diplomate allemand grièvement blessé par arme à feu deux jours plus tôt à Paris par un exilé juif polonais de 17 ans est publiquement annoncée. En ce jour anniversaire du putsch manqué de la brasserie de Munich, devant une assemblée nazie réunie à Munich, le ministre de la Propagande Josef Goebbels tient un discours virulent contre les Juifs, appelant les Allemands à s’en prendre à leurs commerces et lieux de culte.
Des membres du parti nazi, des SA (plus d’un million de membres à cette époque), des Jeunesses hitlériennes se mobilisent, mais beaucoup sont en tenue civile afin de laisser croire qu’il s’agit d’un mouvement populaire spontané.
Les autorités transmettent des ordres clairs pour faciliter cette flambée de violence, ainsi que pour faire arrêter autant de Juifs que les prisons locales peuvent en contenir : police, SS et Gestapo procèdent à l’arrestation de 30 à 35 000 juifs, de préférence des hommes jeunes ou des Juifs fortunés. Les pompiers reçoivent quant à eux pour instruction de ne pas tenter d’arrêter les feux de synagogues tant qu’ils ne menacent pas les bâtiments voisins.
Avec le recul, l’examen de la précision des instructions transmises témoigne de l’existence d’un plan préparé en amont de l’assassinat du diplomate, qui sert de prétexte aux événements.
Une nuit de pogrom
C’est le « spectacle » des éclats de vitrines et des fenêtres brisées qui donnera à cet événement le nom de « Nuit de cristal ». Mais à cette expression qui peut être jugée euphémisante (elle amoindrit la perception dramatique de l’événement), certains historiens préfèrent celle de « Pogrom de novembre », ce qui est factuellement plus juste, car il s’agit bien d’un pogrom (émeutes, pillages, humiliations et massacres de Juifs).
L’événement fait officiellement 91 morts selon les autorités nazies, mais il y en eu plusieurs centaines, voire plusieurs milliers selon l’historiographie contemporaine, sans parler de nombreux suicides et de ceux qui mourront de leurs blessures ou dans des camps.
Le 10 novembre, les autorités demandent de mettre fin au pogrom et les forces de police qui, après avoir laissé faire, « réapparaissent » dans les rues pour ramener le calme.
Dans les jours qui suivent (avant même la fin du mois de novembre), de nouvelles lois répressives seront promulguées, visant à exproprier les Juifs de leurs biens, à leur interdire d’avoir des magasins, à leur interdire l’accès à certaines professions et à les chasser de l’espace public (accès règlementé aux transports publics, accès interdit aux écoles « allemandes » et aux théâtres, salles de concerts et de cinéma…). En prélude à leur extermination, il s’agit bien de les éliminer de la vie économique et sociale du pays…
Le gouvernement allemand va jusqu’à rendre les Juifs responsables de ces événements : non seulement il interdit que leurs assurances leur remboursent les dégâts (ces remboursements sont confisqués par l’Etat), mais il inflige une amende massive « de réparation » à la communauté juive allemande !
Colonne de Juifs allemands arrêtés à Baden-Baden
L’émigration des Juifs se heurte à la politique des quotas des Etats
Parmi les réactions internationales, le président américain Franklin Roosevelt déclara le 15 novembre : « J’ai moi-même eu du mal à croire que de telles choses puissent avoir lieu dans une civilisation du XXe siècle ». Il rappela dans la foulée son ambassadeur en Allemagne – ce fut le seul chef d’Etat à le faire. Mais cela ne changea pas pour autant la politique de quota des Etats-Unis en matière d’accueil de réfugiés juifs – non pas par mauvaise volonté de Roosevelt, mais en raison de l’opposition du Congrès.
Car évidemment, comme le souhaitait le gouvernement nazi, l’inédite vague d’arrestation de masse de Juifs de la Nuit de cristal va entraîner une accélération de l’émigration des Juifs allemands, qui se heurteront hélas, pour beaucoup, aux refus de nombreux Etats d’assouplir leur politique d’accueil.
En Europe comme dans le reste du monde, malgré de nombreuses protestations diplomatiques et la violence de l’événement, les Etats vont en effet s’en tenir à la politique des quotas réaffirmée lors de la Conférence d’Evian à l’été 1938.
Ironie de l’Histoire, la nuit du 9 au 10 novembre est une date majeure de l’Histoire de l’Allemagne à un autre titre, plus réjouissant : en 1989, le soir du 9 novembre, les Allemands de Berlin-Est se déplaceront en masse pour abattre le Mur de Berlin. Mais c’est une autre histoire…
Fabien Cluzel