« Je poste, donc je suis » : pourquoi il faut soigner son identité numérique (1/2)
En ligne, ce que l'on poste se commente, se note, se partage, de manière démultipliée, très vite, sans frontières géographiques. Toutes ces actions contribuent à fabriquer une image. Cette e-réputation parce que construite en ligne, elle peut avoir des conséquences sur Internet comme dans le monde physique. Soigner son identité numérique, c'est d'abord comprendre les règles qui régissent Internet.
Guillaume Sire est chercheur spécialisé en sciences de l'information et de la communication, membre de l'Idetcom (Institut de droit de l'espace, des territoires, de la culture et de la communication), un laboratoire de l'université Toulouse 1 Capitole. Quand on l'interroge sur ce qu'est la e-réputation, son premier réflexe est de souligner l'ambiguïté du mot. « Le terme laisse supposer qu'il y a une e-réputation et une réputation et que ce n'est donc pas la même chose que dans la vie physique. Or, il n'y a pas un autre monde, pas de cyberespace. Internet, c'est le monde des interactions numériques, mais pas un monde à côté », commente le chercheur.
Comprendre qu'il n'y a pas de cyberespace et que « le numérique n'est qu'un instrument dans le monde global » est déjà une première condition indispensable, selon lui, pour prendre soin de sa réputation en ligne. Car sinon, « croire qu'il est localisé, c'est se permettre des choses qu'on ne ferait pas dans le monde réel ».
La réputation se travaille en effet partout, mais dès lors qu'on y adjoint le « e », elle désigne l'image d'un individu, d'une entreprise ou d'une marque, etc., renvoyée sur le web à partir de tous les contenus laissés par cette personne ou ceux qui gèrent la dite entreprise ou marque, mais aussi par d'autres, sur des sites, des blogs, des réseaux sociaux…
Des stars imprudentes ont eu des surprises…
Tout le monde a intérêt à soigner sa réputation numérique. Car elle peut être tout autant un levier de popularité que source de catastrophes si elle est mal gérée. Les exemples de personnes qui se sont faites virer suite à des posts contenant des déclarations ou poses trop personnelles, discutables, injurieuses... ne manquent pas : Julien Courbet remercié par France Télévision en 2013 après avoir critiqué la direction sur Twitter suite à l'arrêt de son émission « Seriez vous un bon expert ? » ; un cadre de Paypal licencié en 2014 pour avoir notamment traité un dirigeant de « manager inutile » et de cadre de « merde » sur ce même réseau ; le footballeur Serge Aurier mis à pied en 2016 par son entraîneur, Laurent Blanc, pour l'avoir traité de « fiotte » et s'en être pris à ses coéquipiers, comme Di Maria présenté comme « un guignol », sur l'application Periscope...
Au-delà de pouvoir faire du tort à votre future image professionnelle (ceux qui recherchent leurs futurs employés se renseignent eux aussi sur le web), une utilisation non maîtrisée, notamment des réseaux sociaux, peut avoir aussi des conséquences personnelles : rumeurs, tentatives d'intimidation, voire vol d'identité.
Rien ne s'efface
En fait, en ligne, l'enjeu est d'arriver à faire cohabiter dans un même espace l'ensemble de nos identités, la familiale, l'amicale, la scolaire, la professionnelle, celle des loisirs... alors que celles-ci ne se « croisent » pas dans les mêmes lieux dans le monde physique, comme le résume Christophe Alcantara, du même laboratoire et spécialisé sur cette question.
La difficulté, c'est que derrière un écran, il est plus tentant de se lâcher que face aux gens. Car « la distance est très désinhibante, alors que ce n'est pas parce que c'est perçu à distance que l'on n'est pas en interaction », commente le chercheur. Résultat, « on se retrouve dans des proximités parfois coupables ». C'est, par exemple, partager des blagues de mauvais goût sur un réseau social en oubliant qu'au-delà du cercle intime, elles le sont avec aussi des moins proches, voire des inconnus qui peuvent partager loin du cercle...
Face à cet enjeu, il faut donc bâtir « une stratégie » et se poser notamment deux questions : • qui je prive de quoi et comment ? C'est-à-dire quels contenus je rends invisibles ou pas, à quelles personnes et comment, • qu'est-ce que j'enregistre ou est enregistré sur moi susceptible de provoquer une « inégalité » avec les autres ?
Guillaume Sire compare cette démarche à la gestion d'un capital, un « capital réputationnel » que l'on peut « faire fructifier ou au contraire pourrir », comme son capital financier ou son capital culturel. Mais, pour ce faire, il faut d'abord « comprendre ce qui est observé et observable, comprendre les règles ».
Quand sur le net, on t'incite à être impulsif
Ces règles sont rarement abordées au-delà du discours classique d'avertissement du genre « un recruteur verra votre profil Facebook ». Première d'entre elles : vos actions sont enregistrées et ces traces ne s'effacent pas. « On vous dit que vous allez être effacés. Mais c'est faux. Vous n'êtes pas visibles mais toujours sur le serveur. Donc c'est toujours exploitable par l'entreprise ou le réseau social », explique Christophe Alcantara. Le temps ne donne pas non plus la certitude de tomber dans l'oubli. « La mémoire du web est infaillible. On peut ne plus voir certaines informations pendant des années et les retrouver plus tard. »
Autre règle à laquelle vous êtes exposés : « on sollicite en permanence votre affectivité ». Et non seulement à cet âge on a plus facilement tendance à être « emporté par l'immédiateté », observe Christophe Alcantara, mais les dizaines de notifications reçues chaque jour sont aussi autant d'injonctions à répondre tout de suite, tout le temps... Résultat, « aujourd'hui, on est dans l'émotif, y compris les hommes politiques, alors qu'on devrait être dans la réflexion », observe le chercheur, qui invite à « ne pas tomber dans l'impulsivité ». Et à ne pas répondre, par exemple, à des attaques de trolls sur les forums, réseaux, blogs, qui polluent volontairement les espaces de discussions par des messages provocateurs.
La dictature de la note
Enfin, sur Internet, tout se joue de plus en plus sur la « note » et les avis des internautes. Un sondage IFOP montrait déjà en 2015 que 80 % des personnes se renseignaient sur le web avant de faire un achat, et que près d'1 internaute sur 3 renonçait à cet achat après avoir consulté des contenus négatifs. Les réseaux sociaux font tout de leur côté pour vous inciter à recueillir un maximum de ces « notes » en donnant plus de visibilité aux contenus likés, partagés, followés.
C'est comme s'ils soufflaient dans l'oreille « parle de toi, sois populaire ». Mais est-ce pour autant pertinent, pour sa réputation, de rentrer dans ce jeu qui consiste à stimuler les comportements narcissiques, alors que, comme le souligne Christophe Alcantara, « on entretient volontairement une fausse légitimité à travers ce postulat de popularité, car on n'est pas sur du qualitatif mais sur du quantitatif » ? Doit-on accepter qu'une réputation se constitue par la valeur chiffrée, les like sur les réseaux, les sondages pour évaluer les hommes politiques, etc., et se laisser diriger par des systèmes qui nous conduisent à forger une image artificielle, voire hypocrite ?
Black Mirror a vu juste
Un épisode de la saison 3 de Black Mirror illustre cette dérive possible en décrivant un monde futuriste où, à chaque interaction, chacun se note d'une à cinq étoiles en fonction de son comportement (le serveur par celui qu'il a servi, celui qui est servi par le serveur...), pour gagner l'accès au quartier de ses rêves, le droit de prendre l'avion... Monde où cohabitent des gens superficiels et des gens déchus par le système pour lesquels des faux pas ont conduit au dégringolage de leur note...
Un système similaire de notation de relations sociales existe déjà en Chine. Et 23 millions de Chinois qui ont commis des infractions et des incivilités se sont déjà vus interdits d'avion et de train !
Ailleurs, on participe déjà à des systèmes de surveillance sans en avoir conscience. Ce sont les notes que l'on donne au logement et à son hôte sur Airbnb ou encore à son chauffeur Uber... Chauffeur qui peut perdre son accès à la plate-forme si sa note est trop faible. Certains pays vont déjà plus loin en appliquant aussi une sanction aux « mauvais clients ». En Australie et en Nouvelle-Zélande, les clients notés en dessous de 4 étoiles sur 5 ne peuvent plus demander de chauffeur pendant 6 mois !
Prochainement, Vivre au Lycée continuera de vous parler de e-réputation en s’intéressant aux outils et astuces qui permettent de la soigner. A suivre !
Camille Pons
Les réseaux sociaux chez les jeunes
• Les jeunes de 15 à 18 ans utilisent massivement les réseaux sociaux, les filles davantage que les garçons (près de 92 % d'entre elles contre près de 88 % des garçons)
• Les réseaux les plus utilisés sont Snapchat (83,5 % des filles et 82 % des garçons), Instagram (73 % des filles et 56 % des garçons) Facebook (93 % des garçons et 82,5 % des filles)
• Près de 33 % ont plus de 200 contacts et 15 % plus de 400
Source : Étude Génération numérique « Les 11-18 ans et les réseaux sociaux », 2016
Et pour apprécier la réputation des autres ?
Comprendre ce qui se joue sur Internet n'a pas pour seul intérêt d'apprendre à construire sa réputation, mais peut aussi permettre d'apprécier plus justement la réputation des autres (individus ou marques). Ainsi, par exemple, une réputation peut se bâtir en se servant des règles de référencement choisies pour le moteur Google. Celui-ci fait d'abord remonter les fichiers qui se chargent plus vite. Il utilise aussi le critère dit du PageRank : plus des liens sont faits vers un contenu, plus ce dernier remonte dans Google. Ce qui induit un effet : « un contenu remonte, c'est lui que l'on cite, donc il remonte encore plus haut et devient autorité sur tel ou tel sujet ! », explique Guillaume Sire.
Mais ceux qui remontent sont-ils aussi ceux qui offrent la meilleure qualité ou la meilleure référence dans un domaine ? C’est loin d’être sûr…